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France : des imams formés pour maîtriser « les textes et le contexte »

Une nouvelle école de formation des imams de France, à Strasbourg, a été créée pour combler le déficit considérable d’imams et pour limiter les influences étrangères
La nouvelle formation des imams dure trois ans, sous forme de cours du soir et de séminaires (AFP/Sébastien Bozon)
La nouvelle formation des imams, dispensée en cours du soir et séminaires, dure trois ans (AFP/Sébastien Bozon)
Par AFP à STRASBOURG, France

La France manque d’imams et les mosquées font souvent appel à des cadres religieux étrangers ou mal formés : pour remédier à ce problème et prévenir les dérives, une école vient de voir le jour à Strasbourg, dans l’est du pays, afin de former des imams maîtrisant « les textes et le contexte » de la République.

« On a quinze étudiants, c’est la première promotion, on avait prévu d’en avoir une vingtaine mais avec le COVID… Pour l’année prochaine, on envisage d’en avoir 40 », explique Abdelhaq Nabaoui, le directeur de l’École nationale des cadres religieux et aumôniers militaires (ENCRAM).

Il espère un développement exponentiel, jusqu’à « 400 à 500 étudiants dans cinq ans, pour couvrir toute l’Europe, tous les pays francophones ».

La formation dure trois ans, sous forme de cours du soir et de séminaires. Les élèves se réunissent trois fois par semaine dans la banlieue de Strasbourg, ou en visioconférence, par exemple pour cette élève de La Réunion, île française de l’océan Indien, l’une des trois femmes suivant la formation.

« Un imam doit aussi connaître la réalité française »

Abdelhaq Nabaoui, imam et ancien aumônier national des hôpitaux de France, est parti d’un constat simple : « Il y a un manque considérable d’imams en France. Soit vous avez des imams formés à l’étranger qui ne connaissent pas la réalité française. Soit vous avez des gens français, mais autoproclamés : ils ne sont pas formés religieusement. »

En novembre 2020, après de nouveaux attentats – notamment la décapitation d’un enseignant – qui ont fait plus de 265 morts depuis 2015 en France, le président Emmanuel Macron avait lancé une offensive contre le « séparatisme » et accentué la pression sur les instances dirigeantes de l’islam pour lutter contre l’influence étrangère, la radicalisation et l’islam politique.

Des réformes en chantier depuis des années, mais qui n’ont jamais abouti, en grande partie en raison des différends chez les représentants de l’islam de France.

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« Un imam doit connaître les textes scripturels mais il doit aussi connaître la réalité française, sinon il ne peut pas répondre aux attentes. D’où l’importance d’avoir une vision contextualisée, une formation en France, en français », insiste Abdelhaq Nabaoui, docteur en physique nucléaire.

Jusqu’à présent, il n’existait que deux formations possibles en France, dont l’une dépendant de la Grande mosquée de Paris. Soit quelques dizaines d’étudiants formés chaque année, loin de combler les manques pour un pays où vivent, selon des estimations, près de six millions de personnes de tradition musulmane, soit plus de 9 % de la population.

La nouvelle école est ouverte à tout le monde et vise une collaboration avec l’université pour que celle-ci dispense aux élèves l’enseignement des « matières profanes » : philosophie, psychologie, histoire. À l’issue, l’étudiant obtiendra un diplôme universitaire, reconnu, et l’ENCRAM lui délivrera un certificat.

Au programme de la formation, qui a reçu une « appréciation favorable » des services locaux de l’État : herméneutique coranique, clés de compréhension, l’islam des lumières, droit musulman ou finance islamique, avec des intervenants comme Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux, ou Ghaleb Bencheikh, le président de la Fondation de l’islam de France (FIF).

Ouverture sur les autres religions

Le grand rabbin de Strasbourg Harold Abraham Weill ou un pasteur protestant sont également venus présenter leur religion aux élèves. « Il y a beaucoup de préjugés, beaucoup de fantasmes sur les autres religions, et le fait qu’ils puissent me poser leurs questions, ça permet d’apaiser beaucoup les choses, de déconstruire des mythes », note Harold Abraham Weill, ravi d’avoir été sollicité par Abdelhaq Nabaoui.

« Il est important que les futurs cadres soient imbibés de cette culture de coopération avec les autres responsables religieux », insiste ce dernier. « Toutes les religions appellent à vivre ensemble, je suis donc très heureux d’accueillir mes collègues d’autres religions. »

Mejib Lejri, un étudiant, « ne sait pas encore s’[il] veut devenir imam ». « Mais je veux connaître plus à fond ma religion et surtout le contexte actuel d’un islam adapté au milieu social où on vit », explique cet ancien chef de service en pédiatrie, retraité de 66 ans.

« L’objectif est d’arriver à vivre dans la société avec tout le monde en pratiquant notre religion comme toutes les autres. Et ça permet aussi de cadrer un peu plus les jeunes, de les intéresser et d’avancer dans cette société », souligne-t-il.

Par Marc Antoine Baudoux

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