France : le groupuscule d’ultradroite AFO en cinq questions
PARIS – Le 24 juin dernier, dix personnes liées à un groupuscule d’ultradroite ont été interpellées dans plusieurs départements français par les services antiterroristes.
Après leur garde à vue, les suspects ont été mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Les autorités craignaient un « passage à l’acte violent » visant des musulmans.
Quatre membres du groupuscule ont été placés en détention provisoire. Les six autres ont été libérés sous contrôle judiciaire.
Qui sont les membres de ce groupuscule ?
Les dix personnes interpellées gravitaient toutes autour du groupuscule d’ultradroite baptisé « Action des forces opérationnelles » (AFO). Le blog qui relayait leur propagande s’appelle « Guerre de France » et s’est fixé comme objectif « la préparation des citoyens-soldats français au combat sur le territoire national ».
On compte neuf hommes et une femme parmi les dix suspects âgés de 32 à 69 ans. Leurs interpellations se sont déroulées en Corse, dans la Vienne, en Charente-Maritime et en région parisienne. Parmi les membres du groupuscule, on retrouve notamment un policier à la retraite, un ancien militaire, un ex-professeur, un artisan et un employé de restaurant.
« Quand les services de renseignement regardent l’ultradroite, c’est vrai qu’ils gardent un œil particulier sur un type de profil qui est celui de l’ancien militaire ou de l’ancien policier ou de l’ancien gendarme »
- Jean-Yves Camus, politologue directeur de l’Observatoire des radicalités politiques
Pour Jean-Yves Camus, politologue directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, la menace a été prise au sérieux par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, service de renseignement intérieur et de police judiciaire du ministère de l'Intérieur)notamment en raison du profil de certains membres.
« Quand les services de renseignement regardent l’ultradroite, c’est vrai qu’ils gardent un œil particulier sur un type de profil qui est celui de l’ancien militaire ou de l’ancien policier ou de l’ancien gendarme ou d’ailleurs de personnes qui sont toujours en activité dans un de ces trois corps-là, et qui pourraient se radicaliser », explique-t-il à Middle East Eye.
« La raison est assez simple, c’est que ce sont des gens formés et qu’au sein de l’ultradroite, des gens formés et susceptibles de passer à l’acte, ayant donc une bonne connaissance des armes et éventuellement du maniement d’explosifs, il n’y en a pas légion, donc nos services travaillent effectivement depuis un certain temps ces milieux-là où il est arrivé qu’en tout petit nombre, des gens se radicalisent. »
Que veulent-ils ?
L’obsession du groupuscule AFO est de lutter contre « le péril islamiste ». Les membres ont rédigé des fiches pratiques encore visibles sur Guerre de France.
La fiche « Se défendre, se protéger » donne par exemple des conseils en cas « d’un déclenchement d’hostilités graves » : « Vous pouvez vous procurer des armes d’autodéfense telles bombes d’autodéfense, matraque, tasers ».
Entre islamophobie, survivalisme (activité consistant à se préparer à une catastrophe), délire paranoïaque et vision apocalyptique, les membres de ce groupuscule se perçoivent comme des combattants d’une hypothétique ou fantasmée « guerre civile ».
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Jean-Yves Camus analyse leur état d’esprit : « Il faut voir qu’on a affaire à des gens qui ont une mission, qui sont, ou qui ont été soldats, gendarmes, policiers, qui font partie des forces de l’ordre. Certains qui se radicalisent pensent qu’au fond, l’État ne fait pas son boulot. »
Et de poursuivre : « Vous savez, c’est toujours le même couplet : l’État est trop laxiste, il encourage l’immigration, il ne met pas tous les fichés S dans les centres de rétention. Pour eux, La France est un pays en voie d’islamisation, le grand remplacement est à l’œuvre et ils se sentent une sorte de mission. »
Quelles étaient leurs cibles ?
Les membres du groupuscule AFO n’ont pas été interpellés pour un projet ciblé mais la DGSI craignait un passage à l’acte violent visant la communauté musulmane.
Considéré comme le chef de file du groupuscule, Guy S, un policier à la retraite né en 1953, avait l’intention de « durcir l’action d’AFO ». D’après les éléments de l’enquête, plusieurs cibles avaient été envisagées par le groupuscule : femmes voilées choisies au hasard dans la rue, imams réputés radicaux, détenus « radicalisés » sortant de prison.
Selon LCI, certains membres du groupuscule auraient songé à empoisonner de la nourriture halal dans des supermarchés.
Jean-Yves Camus estime que l’ultradroite « n’a pas la capacité à planifier et à exécuter des attentats massifs », mais souligne qu’il ne suffirait que d’une seule victime pour mettre le feu aux poudres.
« Les répercussions politiques, sociétales d’une action même isolée qui viserait un imam, une musulmane portant le hijab, de la nourriture hallal comme on en a parlé à propos d’AFO serait bien supérieures au nombre de victimes ».
Pourquoi ont-ils été arrêtés ?
Les dix interpellations se sont déroulées dans la nuit du 23 au 24 juin dernier dans plusieurs départements. Le ministère de l’Intérieur précise dans un communiqué : « Après un important travail de renseignement conduit par la DGSI, la section antiterroriste du parquet de Paris décidait le 13 avril dernier d’ouvrir une enquête préliminaire pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes contre les personnes, enquête confiée à la DGSI. Une information judiciaire était ouverte le 14 juin ».
Après des semaines de surveillance, la DGSI a dû estimer qu’elle détenait assez d’éléments en vue d’une mise en examen. Selon Le Parisien, les membres s’étaient notamment rassemblés lors de réunions de « préparation ».
Lors des perquisitions, 36 armes à feu et des milliers de munitions ont été retrouvées au domicile de certains membres. Chez un des suspects, des éléments « entrant dans la fabrication d'explosifs de type TATP » ont été découverts selon un communiqué du parquet.
Selon Jean-Yves Camus, le timing des interpellations dans le domaine des affaires de terrorisme est toujours très délicat : « On ne peut pas appréhender les gens sans qu’il n’y ait un début de commencement de quelque chose. Et puis ensuite, il faut déterminer le moment où il est nécessaire de les appréhender avant que l’acte ne commence à recevoir un début de planification sérieuse voire d’exécution. Donc c’est toujours l’élément qui est un petit peu critique avec tous ces sujets-là, c’est de déterminer le bon moment pour mettre fin à la filière. Il faut avoir juridiquement de quoi mettre les personnes en examen. Et il faut en même temps ne pas les laisser aller trop loin dans la planification de leur affaire, sur quoi on prend un risque que les choses se réalisent. ».
Quels sont les autres groupuscules d’ultradroite impliqués dans des affaires de terrorisme ?
L’arrestation des dix membres du groupuscule AFO intervient un an après celle de Logan N, jeune militant d’ultradroite âgé de 21 ans.
Interpellé et lui aussi mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle », le jeune homme envisageait des actions violentes aux « contours imprécis » : hommes politiques, militants antifascistes ou encore personnes issues de l'immigration.
Logan N administrait également une page Facebook faisant la promotion du tueur norvégien d’extrême-droite Anders Behring Breivik. Sur une ébauche de tract retrouvée chez lui, Logan N avait noté : « Rebeus [beurs en verlan], blacks, dealers, migrants, racailles, djihadistes, si toi aussi tu rêves de tous les tuer, nous en avons fait le vœu, rejoins-nous ! ».
On compte en France un millier d’individus qui gravitent autour de la mouvance d’ultradroite et que « quelques dizaines ont une visée violente »
Logan N avait rassemblé une équipe de huit complices âgés de 17 à 29 ans dans son groupuscule baptisé OAS. Ils ont été mis en examen en octobre dernier.
Jean-Yves Camus relève que le parcours de Logan N. est encore différent de celui des membres du groupuscule AFO. Il est plus jeune, il n’a jamais fait partie des forces de l’ordre, et il a quitté l’Action française (AF), mouvement politique d’extrême droite, car il souhaitait agir de manière plus radicale : « Eux, ce qu’ils veulent, c’est de l’action. Ce qu’ils veulent, c’est passer à un stade supérieur à celui du simple militantisme politique et idéologique. Ceux qui risquent de passer à l’action sont davantage des gens qui vont quitter un groupe parce qu’ils n’en sont pas contents. Ils pensent grosso modo qu’ils sont tombés dans un groupe de mous et qu’il faut faire davantage ».
Le politologue estime par ailleurs qu’on compte en France un millier d’individus qui gravitent autour de la mouvance d’ultradroite et que « quelques dizaines ont une visée violente ».
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