Procès des attentats de janvier 2015 à Paris : les idéologues à la barre des témoins
Son audition a été reportée à plusieurs reprises. Il a refusé pendant plusieurs heures d’être extrait de sa cellule de prison pour venir témoigner par visio-conférence. Mais finalement, vendredi 23 octobre, à 16 h 45, Peter Chérif, l’un des mentors des frères Kouachi, auteurs de l’attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo en janvier 2015, apparaît sur les écrans de la cour d’assises spécialement composée pour juger des faits.
Le vétéran d’al-Qaïda arrive encadré par des surveillants pénitentiaires. L’un d’eux installe son bouclier sur la caméra pour éviter que Peter Chérif ne la brise. Le détenu est quasiment assis de force, personne ne lui enlève les menottes comme le prévoit d’habitude la procédure pour les témoins.
En quelques secondes, c’est toute la salle d’audience du tribunal de Paris qui plonge dans l’univers des extrémistes convaincus : un univers où l’on ne parle pas devant la justice des hommes, qui pour eux n’a aucune valeur.
Une fois assis, Peter Chérif, crâne parfaitement rasé et sweat gris, s’accoude sur la table devant lui et récite d’un seul trait la Fatiha, sourate d’ouverture du Coran. Il relève la tête et lance à la cour d’assises spéciale : « C’est le seul témoignage que je vous apporterai aujourd’hui. »
Le président de la cour reprend la parole pour lui expliquer qu’il est entendu seulement comme témoin.
Mais l’homme le stoppe et poursuit : « Ce témoignage là est le plus important […] On m’a forcé à venir pour une affaire avec laquelle je n’ai rien à voir. Je ne suis pas un criminel. Mais j’appelle les hommes à ouvrir les yeux sur la vérité. À partir de maintenant, je ne répondrai plus. »
Et, effectivement il ne dira plus rien. Assis, son genou gauche replié sur sa jambe droite, il ouvre un petit étui en cuir et commence à lire le Coran. On devine sa respiration très calme. À l’image, on ne voit plus que le haut de son crâne et le bleu pâle de la petite salle pénitentiaire où il a été emmené de force.
Le président de la cour d’assises spéciale tente à plusieurs reprises de le faire réagir, de le faire sortir de sa lecture.
« Monsieur, on essaie de comprendre ce qui a poussé les frères Kouachi à passer à l’action […] Monsieur, les victimes essaient de comprendre. »
Rien. Peter Chérif ne réagit pas. Il sait que son attitude et ses déclarations seront relayées par les médias, c’est donc aussi un message qu’il adresse à ceux qui, comme lui, restent ancrés dans cette idéologie mortifère.
Le Français de 38 ans est un habitué des interrogatoires. En 2004, il est arrêté à Falloujah, en Irak, par les Américains alors qu’il combattait dans les rangs d’al-Qaïda. Il va passer plusieurs mois dans les redoutées prisons de Camp Bucca et d’Abou Graib, avant d’être renvoyé en France.
En 2011, à la veille de son procès à Paris pour terrorisme, il prend la fuite et s’envole pour le Yémen, où il rejoint al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). C’est dans ce pays qu’il organise la venue de son ami d’enfance, Saïd Kouachi.
Onze années plus tard, c’est au nom d’AQPA que Saïd et son frère Chérif revendiqueront l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo. Arrêté en décembre 2018 à Djibouti, où il s’était enregistré comme réfugié avec sa famille, Peter Chérif est renvoyé en France en janvier 2019.
Beaucoup de familles des victimes auraient voulu le voir dans le box des accusés lors de ce procès des attentats de janvier 2015, mais son arrestation est arrivée trop tard. Il sera donc jugé devant une autre cour d’assises spéciale, notamment comme possible commanditaire de l’attaque contre le journal satirique.
Farid Benyettou, l’ancien mentor des frères Kouachi
Lui a été bavard, très bavard, devant le tribunal le samedi 3 octobre 2020. Ce jour-là, lorsque Farid Benyettou s’approche de la barre, des murmures montent de la salle d’audience. L’homme de 39 ans, de petite taille et d’apparence frêle, se sait très attendu par les avocats des parties civiles mais aussi de la défense.
Dans les années 2004-2005, il a été le prédicateur religieux d’une filière d’envoi de Français vers l’Irak, la filière dite « des Buttes-Chaumont ». Il a fait basculer dans la haine de l’Occident des dizaines de jeunes habitants du 19e arrondissement, dont les frères Kouachi. Des faits pour lesquels il a été condamné à six ans de prison en 2008.
Aujourd’hui, l’ex-idéologue se présente comme un « repenti ».
Dès le début de son témoignage devant la cour d’assises spécialement composée, il adresse un message aux familles : « Je voudrais adresser mes premiers mots aux victimes. Leur présenter mes excuses. Je n’ai jamais caché ma part de responsabilité par rapport aux frères Kouachi. Sachez que je suis désolé. Vraiment désolé. »
Il enchaîne ensuite sur ses liens avec les frères Kouachi, sa sortie de prison et son éloignement de l’idéologie islamiste radicale.
Mais Farid Benyettou a du mal à convaincre. Il parle d’une voix posée. De ces années de prédication, l’homme a gardé une maîtrise parfaite de la parole, il sait exactement ce qu’il dit et comment il le dit. Sa posture également trahit une assurance : à la barre, il se tient droit, ne bouge quasiment pas et répète que depuis 2012, il a coupé les liens avec ses anciens amis radicaux.
« L’idéologie, c’est vous ! Dans ce box des accusés, on n’a pas ce degré d’idéologie »
- Maître Marie Dosé, avocate de l’un des accusés
Mais l’ex-mentor des frères Kouachi va vaciller lorsque maître Senik, avocate des parties civiles, énumère la liste de ses contacts réguliers en 2014 avec des Français connus pour leurs liens avec des organisations considérées comme terroristes.
En avril 2014 notamment, neuf mois avant les attentats de Paris, il échange pendant plus de deux heures avec Chérif Kouachi en pleine nuit.
Farid Benyettou perd un peu pied : « Oui, il m’a appelé, mais je ne sais plus ce qu’on s’est dit. Je me rappelle juste que je trouvais des prétextes pour ne plus voir tous ces gens. »
Quelques minutes plus tard, c’est au tour de Marie Dosé, avocate de l’un des accusés, de prendre la parole. Elle lance à l’ex-mentor religieux : « L’idéologie, c’est vous ! Dans ce box des accusés, on n’a pas ce degré d’idéologie. Vous comprenez que cela pose un problème. »
Toujours d’une même voix posée, Farid Benyettou lui répond : « Je n’ai jamais eu d’impunité. J’ai été condamné, j’ai un casier judiciaire. »
Depuis les attentats de janvier 2015, Farid Benyettou est très souvent apparu dans les médias. Il écrit un livre sur son parcours. Une médiatisation outrancière pour nombre des victimes de Charlie Hebdo. À la barre, il assure qu’il l’a compris et qu’il a arrêté de répondre aux demandes d’interviews.
Après environ trois heures d’audition, Farid Benyettou sort de la salle d’audience. Dehors, des dizaines de journalistes lui tendent leurs micros et il n’hésite pas une seconde à leur répondre.
L’ex-mentor des frères Kouachi essuie quelques larmes… Maître Richard, avocate des familles de victimes, laisse exploser sa colère : « Vous continuez votre cinéma là. C’est inadmissible. Dans l’audience, il dit quelque chose et, à l’extérieur, il fait autre chose. »
« Le ben Laden à la française »
Une autre figure de l’action violente se revendiquant de l’islam était attendue à la barre : l’Algérien Djamel Beghal, déchu de sa nationalité française en 2006.
Surnommé « le ben Laden à la française », il a été expulsé vers l’Algérie en juillet 2018 après avoir passé dix-sept ans au total en prison en France. Il est aujourd’hui libre mais étant toujours installé en Algérie, la cour d’assises spéciale ne peut pas le contraindre à venir.
Pourtant, Djamel Beghal a été le mentor des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, l’auteur de la tuerie de l’Hyper Cacher et du meurtre d’une policière à Montrouge le 7 janvier 2015, qu’il avait rencontrés en prison.
En 2010, alors assigné à résidence dans le Cantal, il avait reçu à de nombreuses reprises ceux qui cinq ans plus tard allaient tuer dix-sept personnes en trois jours au nom d’une vision dénaturée de l’islam.
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