Qui est Hayat Boumeddiene, l’ombre du procès des attentats de janvier 2015 à Paris ?
À 32 ans, Hayat Boumeddiene a passé ces cinq dernières années à se cacher. C’est donc en son absence qu’elle est jugée, depuis mercredi, au procès des attentats du 7 janvier 2015 contre le siège du magazine Charlie Hebdo à Paris et l’Hyper Cacher. La Française a pris la fuite pour rejoindre l’État islamique (EI) cinq jours avant qu’Amedy Coulibaly, son époux, ne tue une policière à Montrouge, puis exécute quatre otages de ce supermarché juif parisien.
Avant de rejoindre la Syrie, Hayat Boumeddiene a aidé à la préparation des attaques de Paris, mettant notamment sur pied des escroqueries pour acheter des armes.
Yassine Yakouti a été l’avocat d’Amedy Coulibaly lorsqu’il a été incarcéré en France en 2010. Il se souvient de la jeune femme : « C’était elle la patronne. Elle ne loupait aucun de nos rendez-vous, m’apportait tous les éléments pour obtenir une remise en liberté. Elle voulait que son époux soit libéré. C’est elle qui l’a entraîné dans cette idéologie mortifère », déclare-t-il à Middle East Eye.
La veuve « d’un grand martyr »
Dès son arrivée au cœur de l’État islamique en Syrie en janvier 2015, Hayat Boumeddiene bénéficie d’un traitement de faveur. Selon les informations de MEE, sur place, la « veuve noire », comme elle est surnommée, se remarie finalement à un Tunisien de l’EI. Contrairement aux rumeurs, elle n’a jamais eu d’enfants.
« C’était elle la patronne. Elle ne loupait aucun de nos rendez-vous, m’apportait tous les éléments pour obtenir une remise en liberté. Elle voulait que son époux soit libéré. C’est elle qui l’a entraîné dans cette idéologie mortifère »
- Yassine Yakouti, ancien avocat d’Amedy Coulibaly
En 2015, à l’une de ses amies très proches en France, la jeune femme explique fièrement par téléphone qu’elle bénéficie d’une protection rapprochée parce qu’elle est la veuve « d’un grand martyr ».
Pendant longtemps, l’épouse d’Amedy Coulibaly disparaît des radars des services de renseignement français, qui la croient morte. Jusqu’à décembre dernier et le retour de Nacéra*, une Française expulsée vers Paris après un long séjour en Syrie.
Devant le juge d’instruction, cette dernière révèle une information jugée crédible : Hayat Boumeddiene est en vie, elle a été arrêtée à la chute de Daech en mars 2019 face aux FDS, les forces arabo-kurdes qui affrontent le groupe.
Retenue dans le camp d’al-Hol, selon ce témoignage, la veuve d’Amedy Coulibaly continue à faire de la propagande. Enregistrée sous un faux nom, Hayat Boumeddiene fait passer des vidéos de l’État islamique appelant les veuves de membres du groupe à patienter en attendant la libération par leurs « frères ».
Dans le chaos de cet immense camp de déplacés, les autorités kurdes en charge de la surveillance de plus de 3 000 femmes étrangères n’ont pas eu les moyens de vérifier les identités de chacune. Fin 2019, Hayat Boumeddiene s’enfuie du camp, selon Nacéra.
« C’est facile pour elle de se cacher »
Comme plus d’une dizaine d’autres Françaises, la veuve d’Amedy Coulibaly a fait appel à un réseau de passeurs bien rôdé pour rejoindre le nord-ouest de la Syrie, la dernière zone qui échappe toujours au contrôle de Bachar al-Assad.
Elle pourrait se trouver dans la province d’Idleb, en partie contrôlée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), inscrit sur la liste des groupes terroristes par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Il y a quelques semaines, à Idleb, plusieurs interlocuteurs nous ont parlé de ces Français et de leurs épouses. Des femmes qui, selon l’une de ces sources, « sont des veuves de martyrs et doivent être protégées, y compris si elles ont fait partie de Daech ».
Dans les rues d’Idleb et des villes alentours, Hayat Boumeddiene n’a aucun mal à se dissimuler. Ici, beaucoup de femmes portent un niqab noir, tenue qui ne laisse apparaître que leurs yeux. Des ombres noires qui se déplacent en groupe dans les rues ou perchées à l’arrière des motos.
Dans sa boutique de téléphonie, Tareq a déjà croisé des Français. Nous lui montrons une photo de Hayat Boumeddiene. Le premier réflexe du Syrien est d’encadrer ses yeux avec ses mains : « Regardez, c’est facile pour elle de se cacher comme ça. Ici, la majorité des femmes portent le niqab. Personne ne peut voir leurs visages, juste leurs yeux. En plus, elle a des yeux noirs, pas des yeux clairs comme certaines étrangères. »
Interrogé lundi 31 août sur France info, le procureur de la République antiterroriste, Jean François Ricard, a été très clair au sujet des chances d’arrestation de l’épouse d’Amedy Coulibaly : « Elle se trouve dans un pays en guerre qui est dans une zone de guerre très compliquée, donc les choses prennent du temps. »
* Le prénom a été modifié.
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