Gaza, frappée par des coupures d’électricité, vit dans la peur d’une nouvelle guerre contre Israël
Mohammed Sallam fait partie des 700 malades de Gaza qui souffrent d’insuffisance rénale. À 45 ans, il se rend trois fois par semaine à l’hôpital pour une dialyse.
La semaine dernière, Sallam s’est rendu à l’hôpital Shifa seulement pour s’entendre dire par les médecins que son traitement serait irrégulier, à cause des plus de vingt heures quotidiennes de coupures d’électricité.
« Je ne sais pas pourquoi nous sommes punis de la sorte de tous les côtés », se désole Sallam, dont les deux enfants souffrent d’un cancer et sont aussi touchés par la situation actuelle.
« Plus de deux millions de citoyens sont des victimes politiques, et nous ne savons absolument pas ce que nous réserve l’avenir. »
Un impact sur la vie de tous les jours
La crise de l’électricité à Gaza a commencé en 2006, quand la seule centrale électrique de Gaza a été touchée par une frappe aérienne israélienne.
La centrale électrique a été sérieusement endommagée et s’est mise à fonctionner au minimum de ses capacités, obligeant l’Autorité palestinienne (AP) à compter sur l’électricité envoyée d’Égypte et d’Israël.
En mai dernier, la situation s’est compliquée un peu plus : la centrale électrique s’est complètement arrêtée après un conflit au sujet des taxes de carburant entre l’AP, dont le mandat se limite à présent à la Cisjordanie, et le Hamas, qui contrôle Gaza. Le 11 juin, le gouvernement israélien a coupé l’approvisionnement en électricité à Gaza après une demande émanant de l’AP.
Gaza a besoin chaque jour de 400 mégawatts d’électricité : Israël en fournit 120 et l’Égypte 32. La centrale électrique de Gaza peut en fournir 60, selon les chiffres de l’Autorité de l’énergie palestinienne.
En raison de cette pénurie continue d’électricité, les deux millions de Gazaouis endurent chaque jour plus de vingt heures de coupures. Désormais, les autorités locales ont adopté un système de rotation qui permet de fournir à certaines zones de l’électricité pendant que d’autres en sont privées.
Les générateurs d’hôpitaux ne sont pas en mesure de fournir de l’énergie à chaque département et pour tous les équipements. Et cela contribue à mettre sous pression le personnel et les patients pour que l’électricité soit utilisée à bon escient quand elle est disponible.
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Selon Ashraf al-Qidra, le porte-parole du ministère de la Santé à Gaza, les patients dont des victimes directes de cette « crise humanitaire », comme il la qualifie.
Même sans avoir à gérer les pénuries d’électricité, les hôpitaux sont déjà confrontés à une crise. Selon al-Qidra, « 35 % des médicaments de base et des médicaments spéciaux sont en rupture de stock dans les entrepôts du ministère, résultat du siège continu [mené par Israël], tout comme 40 % des fournitures médicales ».
Les coupures d’électricité peuvent potentiellement toucher 40 blocs opératoires, onze unités où sont pratiquées les césariennes, et 113 couveuses – tous dépendant de l’électricité.
Et puis il y a aussi les médicaments, le matériel de laboratoire et les vaccins entreposés dans les réfrigérateurs.
Bayyan Alsakkah, oncologiste, souligne : « Plus de 15 000 patients atteints de cancer sont en danger, en particulier parce que 90 % des traitements contre le cancer n’existent pas à Gaza. »
« Si la situation actuelle continue, nous courrons à notre destruction. »
Les hôpitaux ne sont pas les seuls touchés.
Fathi Alshikh Khalil, directeur adjoint de l’Autorité de l’énergie, explique à Middle East Eye que la crise affecte aussi les écoles, la distribution d’eau et les stations de pompage.
Khalil rejette la responsabilité sur l’AP et Israël en s’alarmant des « graves conséquences ».
Doha à la rescousse
Gaza a déjà connu une crise d’électricité similaire en janvier 2016, mais le Qatar l’avait soutenue en lui donnant 12 millions de dollars (10 millions d’euros) pour acheter du carburant pour la centrale électrique.
Mais maintenant Doha est elle-même confrontée à une crise après la rupture diplomatique avec l’Arabie saoudite, l’Égypte, Bahreïn et les Émirats arabes unis. Le soutien au Hamas est une des raisons qui ont été avancées par la coalition pour rompre ses liens diplomatiques avec le Qatar.
Pendant sa visite en mai dans la région, le président Donald Trump a accusé le Qatar de soutenir les mouvements terroristes, dont le Hamas.
« Depuis 2013, le Qatar a donné 407 millions de dollars [360 millions d’euros] pour la mise en œuvre de projets caritatifs à Gaza, notamment pour construire la ville Hamad, la ville al-Amal, l’hôpital Hamad spécialisé dans les prothèses, et pour paver les rues principales », précise Hamed Jad, un journaliste spécialiste des questions économiques.
Presque 80 % de ces projets ont été terminés. Les autres devraient être finis dans les prochains mois.
Même avec ça, il est possible, selon Jad, « qu’il n’y ait aucun autre nouveau projet dans un futur proche ».
Le journaliste croit, toutefois, que grâce au fonds souverain du Qatar, de quelque 400 milliards de dollars (357 milliards d’euros), la politique étrangère de Doha envers ses alliés ne sera pas influencée par des tensions actuelles.
« La relation entre le Qatar et le Hamas et Gaza n’en sera pas affaiblie », estime-t-il. « En fait, elle se renforcera pour montrer au monde entier que la situation avec Gaza est transparente. »
« Mais dans le contexte actuel, le Qatar n’interviendra pas directement dans les problèmes internes du Hamas tant que la crise n’est pas résolue. »
Le Hamas pris au dépourvu
Après la décision d’Israël de couper l’électricité à Gaza, la bande de Gaza passe chaque jour jusqu’à trois heures sans courant.
Adnan Abu Amer, expert des questions israéliennes et chef du département de Science politique à l’Université al-Ummah à Gaza, a été pris au dépourvu par les mesures d’Israël.
« Cela a commencé avec les coupes dans les salaires [imposées par l’AP aux salariés du public en avril] puis ça a continué avec la crise de l’électricité. Le Hamas a été surpris », souligne Abu Amer.
« Je ne crois pas que les leaders du Hamas pensaient qu’Israël répondrait aux demandes de l’AP de limiter l’électricité à Gaza, en particulier après leurs avertissements incessants contre une soudaine explosion de la contestation due aux problèmes incessants auxquels font face les Gazaouis. »
Selon Ibrahim al-Madhoun, un analyste politique palestinien, la crise actuelle de Gaza est un complot contre le Hamas pour isoler Gaza de l’AP et de la Cisjordanie contrôlée par l’AP.
« C’est un projet américain et israélien. Ils veulent accuser tous ceux qui essaient d’aider Gaza ou le Hamas dans le but de faire chanter et de contrôler le Hamas », affirme-t-il à MEE.
Selon lui, même si le Qatar n’était pas lui-même confronté à une crise, il est peu probable que cette fois, il aiderait Gaza.
« Dans cette situation, même la Turquie n’est pas capable d’aider Gaza. C’est une étape stratégique pour pousser le Hamas vers le précipice. »
Mais Abu Amer ne voit pas de lien direct entre la crise du Qatar et la situation à Gaza, toutes les deux des « affaires internes ».
« Je pense que toutes ces conditions réunies contre Gaza et le Hamas sont une coïncidence, mais Israël utilise ces circonstances à son propre avantage. Israël va forcer le Hamas à se rendre sans avoir eu besoin d’entrer en confrontation directe avec lui. »
La peur d’une autre guerre ?
Cela dit, une ombre plane : celle d’un conflit possible avec Israël dans les mois à venir.
Selon Ibrahim al-Madhoun, une guerre est possible à tout moment malgré les craintes des conséquences, des deux côtés – Hamas et Israël.
« Le Hamas est isolé de ses alliés dans la région, et une guerre en ce moment serait un véritable massacre, parce que personne n’interviendra pour mettre un terme aux crimes d’Israël », souligne Ibrahim al-Madhoun.
« Cette fois, les forces israéliennes seront libres de commettre leurs crimes contre notre peuple. »
En même temps, toutefois Madhoun assure que le Hamas n’est pas affaibli, et que les dirigeants israéliens pourraient craindre d’essuyer des pertes s’ils choisissaient d’attaquer Gaza. »
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De plus, une guerre sur Gaza contribuerait à mettre la pression sur Israël.
« Je ne pense pas qu’Israël attaquera Gaza, bien que ce soit une conséquence potentielle », précise-t-il.
« Si une guerre éclatait contre Gaza, des pays comme l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis se sentiraient gênés. Ces pays qui ont accusé le Hamas d’être un mouvement terroriste devront changer immédiatement de position quand les médias montreront des photos d’enfants massacrés à Gaza. »
Mais pour Sallam et deux millions de Gazaouis, une guerre possible avec Israël est, en ce moment, leur plus grande crainte. Et ils se posent la question : « Qu’est-ce qui risque de nous arriver ? Un été sans électricité et sans eau, ou une guerre avec Israël ? »
Traduit de l'anglais (original).
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