« Si nous mourons, nous mourrons ensemble » : à Gaza, les Palestiniens ont appris à vivre sous la menace permanente des bombes
Depuis trois jours, Noura Waheidi garde ses trois enfants près d’elle.
Dimanche 14 mai, un calme précaire est revenu dans la bande de Gaza après l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu qui a mis fin à cinq jours de frappes aériennes israéliennes ayant fait 33 victimes palestiniennes.
Parmi les Palestiniens tués figurent six commandants militaires du Jihad islamique, des combattants de ce mouvement, et d’autres du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
Comme les autres habitants de la bande de Gaza, Noura ont développé des réflexes pour limiter les dommages physiques et psychologiques.
Conscients qu’eux-mêmes ou leurs voisins peuvent être pris pour cibles à tout moment, les Palestiniens conservent généralement leurs biens les plus précieux et leurs documents officiels au même endroit, afin de pouvoir les prendre rapidement en cas d’évacuation.
More houses in Gaza are being bombed by lsrael pic.twitter.com/pV1zU1sfvq
— Muhammad Smiry 🇵🇸 (@MuhammadSmiry) May 13, 2023
Traduction : « Des maisons à Gaza sont bombardées pendant que le monde regarde. »
« Nous mettons tout dans un sac que j’appelle le sac d’urgence. Nous y gardons tous nos effets personnels, nos papiers – pièces d’identité, certificats de naissance, contrats –, notre or et notre argent », témoigne Noura Waheidi à Middle East Eye.
« Nous nous attendons à fuir notre maison à tout moment. Il n’y a pas d’endroit sûr à Gaza et nous ne pouvons pas simplement rester là à attendre d’être pris pour cibles, juste parce que nous sommes tous des civils dans le bâtiment ou le quartier. Nous devons donc être préparés : si nous devons partir, nous avons nos affaires les plus importantes avec nous. »
D’autres, lorsqu’ils sentent que leur quartier est menacé, choisissent de conserver leurs documents et leurs objets de valeur dans des endroits sûrs autres que la maison.
Hala Saqqa, 31 ans, est mariée mais vit loin de chez ses parents. Elle garde son or et ses papiers officiels chez ses parents, même pendant les périodes plus calmes.
Garder les portes et les fenêtres ouvertes
« Mon quartier a été ciblé à plusieurs reprises lors d’offensives précédentes. Une tour résidentielle voisine a été bombardée en 2021. Alors je vis sous la menace constante que notre immeuble ou d’autres immeubles adjacents soient bombardés », explique à MEE cette femme au foyer.
Lorsque les frappes aériennes israéliennes sont devenues récurrentes, après le transfert des pouvoirs d’Israël à l’administration palestinienne de la bande de Gaza en 1994, les Palestiniens ont appris à garder les portes et les fenêtres ouvertes pendant les frappes aériennes pour atténuer la pression atmosphérique et réduire les risques de bris de verre.
Dina Basel, 33 ans, rapporte à MEE que même si sa famille a expérimenté pour la première fois les raids aériens quand elle était enfant, dans les années 1990, des frappes similaires avaient déjà été menées après l’occupation israélienne de la Palestine en 1967, et à ce sujet, sa grand-mère a transmis une certaine sagesse.
« Si nous avons la chance de rester en vie, nous vivrons ensemble. Si nous mourons, nous mourrons ensemble et personne ne ressentira le chagrin d’avoir perdu un proche »
- Dina Basel, une Palestinienne de Gaza
« Chaque fois qu’une attaque commençait, elle nous disait : ‘’Éteignez les lumières et ouvrez les fenêtres et les portes !’’. Les gens pensaient que garder les bâtiments et les quartiers dans l’obscurité rendrait plus difficile leur ciblage par les avions de guerre. Ce n’est peut-être pas le cas maintenant avec les armes très sophistiquées dont dispose l’occupant, mais nous le faisons encore parfois. »
Dina dit avoir tendance à garder la porte de son appartement déverrouillée pour faciliter la fuite si l’immeuble est pris pour cible.
« Bien que personne ne se sente en sécurité en gardant sa porte déverrouillée, nous devons la garder ainsi pendant les offensives, principalement pour pouvoir fuir plus rapidement et plus facilement, mais aussi pour permettre aux équipes de secours d’entrer plus facilement dans notre maison si jamais nous sommes bombardés », précise-t-elle. « C’est une obligation, même pendant les nuits les plus froides. »
Pendant les raids, les familles de Gaza ont aussi l’habitude de se confiner dans une seule pièce. « Si nous avons la chance de rester en vie, nous vivrons ensemble. Si nous mourons, nous mourrons ensemble et personne ne ressentira le chagrin d’avoir perdu un proche. C’est une culture », ajoute Dina.
Craignant la mort ou la nécessité de fuir soudainement à tout moment, de nombreuses femmes à Gaza ont tendance à dormir dans la « robe de prière », devenue une « tenue de guerre » courante car elle couvre à la fois la tête et le corps. Si elles ne la portent pas au lit, elles la gardent à portée de main.
« Quand je sens que le bombardement approche, je me précipite pour porter la robe de prière en vue de l’évacuation. J’essaie de la porter presque toute la journée parce que personne ne sait quand nous allons être pris pour cible », confie Nadia Said, employée d’une organisation de la société civile.
Eman Basher, professeur d’anglais dans une école de l’UNRWA (agence de l’ONU responsable de l’aide aux réfugiés palestiniens à Gaza), affirme que ses habitudes pendant les frappes ont complètement changé depuis qu’elle est mère.
« Le sac que j’avais l’habitude de préparer est maintenant plus grand, il comprend les certificats des enfants, les couches et le lait pour Rita, et les vêtements. »
Mais pour elle, le plus difficile reste de trouver des réponses aux questions persistantes de ses enfants.
« Nous célébrons le bombardement »
« Je leur dis : ‘’C’est un feu d’artifice’’ mais ils ne me croient pas toujours. ‘’Ok, mais pour fêter quoi ?’’, demandent-ils. ‘’Pourquoi n’ont-ils [les feux d’artifice] pas beaucoup de couleurs ? Pourquoi est-ce qu’on n’a pas le droit de les regarder depuis la fenêtre ? »
Lorsque les écoles ferment, Eman doit faire preuve de créativité.
« Je dis : ‘’L’enseignante m’a envoyé [un message] pour prévenir que tu as quelques jours de congés parce qu’elle est malade’’ ou ‘’Je t’ai autorisé à rester à la maison pour que nous puissions passer du temps ensemble’’. Parfois, j’ai l’impression qu’ils savent déjà [la vérité] mais ils me laissent [mentir]."
Dina Basel a également trouvé des moyens de distraire ses enfants lors de situations tendues.
« Nous célébrons le bombardement. Chaque fois que nous entendons une forte explosion, nous commençons à applaudir et à applaudir, comme si c’était une chose agréable. Nous [les adultes] ne voulons pas avoir l’air effrayés ou inquiets pour qu’ils se sentent menacés et anxieux. Alors, nous transformons la situation en son contraire. Si nous devons suivre l’actualité à la télévision, je leur donne les téléphones portables pour qu’ils soient distraits par les vidéos et ne prêtent pas attention à ce qui est dit ou montré. »
Lorsque les autorités israéliennes annoncent le début d’une opération militaire sur l’enclave assiégée, les habitants se précipitent dans les supermarchés et les boulangeries à proximité pour acheter ce qu’ils appellent « les provisions de guerre ».
Cela comprend les aliments de base comme le pain, les conserves, le riz, les pâtes et les légumineuses. Les familles s’assurent de stocker de grandes quantités d’ingrédients nécessaires pour cuire leur pain quand les boulangeries ferment.
Ceux qui ont des enfants doivent se procurer d’autres types de produits, notamment des couches, du lait et des médicaments.
« Les médicaments contre la fièvre et la toux sont en tête de ma liste. Bien sûr, les parents d’enfants qui souffrent de maladies chroniques doivent sécuriser leurs médicaments pour les semaines ou les mois à venir », explique à MEE Ahmed Salim, père de deux filles.
Sa fille de 7 ans souffre de diabète et a besoin de médicaments spécifiques qui ne sont pas disponibles dans toutes les pharmacies.
« Je me trouve une nouvelle série en ligne et j’essaie de m’occuper en regardant toute la journée. Je mets mes écouteurs et je m’isole de la réalité »
- Nadia Said, une Palestinienne de Gaza
Cet habitant de l’ouest de Gaza a déclaré que lorsque les dernières attaques ont commencé mardi, il a dû se rendre jusqu’au centre de Gaza pour obtenir des stylos d’insuline.
Nadia Said achète de grandes quantités de chips et de crackers et regarde des séries télévisées pour se distraire du bruit des bombardements.
« Je me trouve une nouvelle série en ligne et j’essaie de m’occuper en regardant toute la journée. Je mets mes écouteurs et je m’isole de la réalité », confie-t-elle à MEE.
« Je ne peux pas continuer à suivre l’actualité et à regarder des photos et des vidéos déchirantes sur les réseaux sociaux toute la journée, ou écouter les bombardements. Nous devons trouver un moyen [de faire autre chose] sinon on mourrait de stress. »
Traduit de l’anglais (original).
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