« Nous voulons être la voix des sans-voix » : en Algérie, les manifestants marchent pour la Palestine
« Le monde entier se tait devant les crimes que commet Israël contre les Palestiniens. Nous, nous voulons être la voix des sans-voix. » Accroupie devant des pancartes, affairée à rédiger des slogans sur des bouts de papiers collés sur des cartons, Kheira Afounas ne cache pas sa colère.
Cette étudiante en biologie à l’Université des sciences et technologies Houari Boumédiène (USTHB) est venue manifester, jeudi 19 octobre, à Alger pour dénoncer une « volonté d’extermination du peuple palestinien ».
Enroulée dans un drapeau palestinien, coiffée d’un keffieh sur son voile, l’étudiante longiligne confie à Middle East Eye que face aux « crimes israéliens », manifester était pour elle un « devoir ».
Avant de rejoindre les milliers d’autres manifestants, massés place du 1er-Mai, au cœur de la capitale, en fin de matinée, Kheira s’est mise à l’écart. Avec trois autres étudiantes, elle confectionnent des banderoles et des pancartes pour la manifestation.
« Ils [les Israéliens] se sont attaqués aux enfants et voilà qu’ils frappent maintenant les hôpitaux. C’est inadmissible », s’insurge l’étudiante en faisant référence au bombardement de l’hôpital al-Ahli dans la nuit de mardi à mercredi, dans lequel au moins 471 personnes ont été tuées selon le ministère de la Santé de Gaza.
« Mais pourquoi s’attaquer aux enfants ? Pourquoi ne pas se confronter aux combattants au lieu de s’en prendre aux civils ? », s’interroge une de ses amies, plus réservée.
Encadrée par les autorités
À quelques mètres de là, la place est déjà noire du monde. C’est la première fois que les Algériens sont autorisés à manifester depuis 2020. Après l’élection présidentielle de décembre 2019, qui venait, pour les autorités, clôturer de longs mois de protestation (le hirak), les manifestations avaient été interdites à Alger.
Depuis le début du conflit au Proche-Orient, le 7 octobre, des manifestations spontanées ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. Celle-ci, encadrée par les autorités, à l’appel de plusieurs partis politiques et d’associations proches du pouvoir, est aussi couverte par les médias officiels.
« Le peuple veut la libération de la Palestine », scandent des jeunes à tue-tête au milieu d’une foule devenue de plus en plus dense.
D’autres, plus agressifs, chantent : « Khaybar, Khaybar, ô juifs, l’armée de Mohammed va revenir », en référence à la bataille qui a opposé, lors de la septième année de l’Hégire, le prophète Mohammed et ses fidèles musulmans aux juifs vivant dans l’oasis de Khaybar.
Le soleil, caché jusque-là par une couche de nuages, commence à se faire mordant mais ne décourage pas les marcheurs qui se dirigent vers la rue Hassiba-Ben-Bouali, l’une des plus longues artères de la capitale.
Pendant ce temps, les rues adjacentes continuent de déverser des dizaines de manifestants, tandis que des policiers, déployés en nombre, postés à chaque coin de rue, surveillent sans intervenir.
Devant le CHU Mustapha-Pacha, le plus grand centre hospitalier du pays, à l’écart de la foule, Hadj Redjem, le président du Mouloudia Club d’Alger (MCA), célèbre club de foot de la capitale, keffieh autour du cou, s’adresse aux journalistes.
« Ce qui se passe en Palestine nous interpelle tous. Gaza était déjà une prison à ciel ouvert, on aggrave son cas avec des bombardements qui n’épargnent ni les femmes, ni les enfants, ni même les hôpitaux. Ce qui se passe à Gaza est une guerre d’extermination contre le peuple palestinien qu’on veut une nouvelle fois chasser de ses terres », s’insurge le responsable, qui craint une réédition du scénario de 1948 lorsque des millions de Palestiniens ont été contraints de s’exiler pour rester en vie (Nakba).
« Je reste convaincu que les marches, les paroles, ne servent pas à grand-chose. Il faut passer aux actes. Pour libérer la Palestine, il faut aller combattre sur place »
- Athmane Ahmed, retraité
Il dénonce également « le silence de la communauté internationale » qui « laisse faire ce crime ».
La foule avance ensuite en direction de la place des Martyrs, à encore deux kilomètres. Des carrés de marcheurs se forment et chacun porte une banderole, une pancarte, en plus du drapeau palestinien, omniprésent aux côtés du drapeau algérien.
Au milieu de la foule, émergent les slogans : « Free Palestine », « Justice for Gaza » ou encore « Le pétrole arabe n’est pas plus cher que le sang palestinien » (pour dénoncer ce qui est perçu comme une « lâcheté » de certains pays arabes).
Barbe blanche, taille moyenne et mine refrognée, Athmane Ahmed marche sur le trottoir. Ce retraité de 74 ans estime que « cette marche ne servira à rien ».
« Je suis là parce que je suis sensible à ce qu’il se passe en Palestine. Les Palestiniens sont mes frères. J’adhère à tout ce qui peut les soutenir, mais je reste convaincu que les marches, les paroles, ne servent pas à grand-chose. Il faut passer aux actes. Pour libérer la Palestine, il faut aller combattre sur place », affirme-t-il à MEE avant de se fondre dans la foule.
V de la victoire et youyous
« Palestine martyre ! », scande un groupe de jeunes, tous coiffés de keffieh et drapés des emblèmes algérien et palestinien. Sur les balcons, des femmes agitent le drapeau palestinien, font le signe de la victoire et lancent des youyous.
Sur le boulevard Amirouche, des manifestants commencent à quitter les lieux tandis que d’autres arrivent. Comme cet homme qui a mis son fils, handicapé, dans un fauteuil roulant, entouré du drapeau palestinien. Des groupes de jeunes scandent des slogans hostiles à Israël et à l’Occident.
Les slogans, en plus de Gaza, évoquent aussi Jérusalem. « Avec ma vie et mon sang, je te sauve Al Qods », peut-on lire sur de nombreuses pancartes, comme sur celle que tient une vieille dame.
« Ce qui se passe en Palestine me rappelle la guerre d’indépendance [contre la France] et les crimes coloniaux », souffle-t-elle en refusant de donner son nom.
Place des Martyrs, où des groupes se sont rassemblés, les derniers manifestants chantent, accompagnés par les mélodies de chants patriotiques palestiniens, d’autres crient. Des prises de paroles, parfois enflammées, sont organisées.
Une oratrice électrise les foules qui répètent derrière elle des slogans parfois religieux. Tandis que certains jeunes discutent en aparté, d’autres se prennent en selfie.
Un peu partout dans le pays, de Tizi Ouzou (Kabylie) à Illizi (Sahara), des dizaines de milliers d’Algériens ont manifesté au même moment.
« C’est une question d’honneur », lance Chafik Boumala, 18 ans. L’étudiant en technique de froid dans un centre de formation professionnelle, svelte, barbe hirsute, analyse ce qui se passe en Palestine comme une « guerre de religion ». « L’État algérien doit aider nos frères palestiniens. »
Un avis que partage Mohamed Mahdaoui, son ami. « En tant que musulman, je ne peux rester insensible aux souffrances de mes frères palestiniens. Nous souhaitons qu’ils soient libres le plus tôt possible. »
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