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Guerre Israël-Palestine : les colons se déchaînent en Cisjordanie occupée

Depuis le début de la guerre à Gaza, les soldats et colons israéliens ont tué au moins 73 Palestiniens en Cisjordanie – dont de nombreux enfants. Selon les observateurs, la situation ne fera qu’empirer
Des proches pleurent sur le corps d’un Palestinien de 19 ans tué par les troupes israéliennes, à Jénine, le 8 octobre (AP)
Par Aziza Nofal à RAMALLAH, Palestine occupée

Sur un axe central de Ramallah, Samar essaie de trouver un taxi. Elle est venue dans cette ville de Cisjordanie occupée depuis son village de Kafr al-Dik dans le nord pour que son mari reçoive un traitement médical. Mais personne ne veut la ramener chez elle.

Tout simplement parce qu’il n’est plus sûr de voyager en Cisjordanie. Kafr al-Dik a toujours été une cible des colons israéliens d’extrême droite, qui attaquent sporadiquement la ville et ses habitants palestiniens depuis des années.

Cependant, depuis le début de la guerre entre Israël et les factions palestiniennes à Gaza, le danger causé par les attaques de colons a atteint un nouveau sommet.

Samar (55 ans) a trop peur pour donner son véritable nom, redoutant qu’elle ou sa famille ne fasse la cible de représailles.

« Depuis l’aube, j’essaie de trouver un taxi disposé à nous ramener, mon mari et moi, de Ramallah à chez nous. Beaucoup refusent au prétexte que le trajet est périlleux étant donné les agressions actuelles », témoigne-t-elle à Middle East Eye.

Le 7 octobre, des combattants palestiniens ont attaqué des localités israéliennes près de la bande de Gaza, tuant quelque 1 400 Israéliens. Israël a réagi en bombardant sans relâche Gaza, tuant plus de 3 800 Palestiniens, dont 1 500 enfants et 1 000 femmes.

Dans le même temps, Israël a confiné la Cisjordanie, fermant les check-points, fortifiant les entrées des villes et villages, restreignant strictement la circulation à la frontière avec la Jordanie.

Depuis le début de ce nouveau cycle de violence, au moins 73 Palestiniens (dont plusieurs enfants) ont été tués par les soldats et les colons israéliens. Au moins 870 civils palestiniens ont été arrêtés par les forces israéliennes en Cisjordanie.

« Nous vivons dans la peur des agressions de colons depuis des années, car ils empiètent de plus en plus sur les terres adjacentes à notre village, cette peur est désormais deux fois plus palpable »

- Samar, Palestinienne de Cisjordanie

Mercredi, deux adolescents de 15 ans et 17 ans ont été abattus près de Ramallah lors de manifestations contre une frappe israélienne présumée contre un hôpital de Gaza qui aurait fait près de 500 morts.

Puis les forces israéliennes ont tué au total treize Palestiniens, dont cinq enfants, au cours de deux jours consécutifs de raids contre le camp de réfugiés de Nur Shams, dans la ville de Tulkarem en Cisjordanie occupée. Une vidéo publiée jeudi par l’armée israélienne sur X montre un drone survolant un groupe d’hommes puis tirant sur eux à l’entrée de la mosquée du camp.

Par ailleurs, selon un article de Haaretz, des Palestiniens et militants israéliens de gauche du village de Wadi al-Siq en Cisjordanie ont été agressés physiquement, humiliés sexuellement et torturés par des soldats et des colons israéliens.

Si les Palestiniens sont soumis à davantage de restrictions en Cisjordanie, les colons israéliens peuvent eux attaquer à volonté. Les maisons, les entreprises et la population ont tous été victimes d’attaques de colons.

« Nous vivons dans la peur des agressions de colons depuis des années, car ils empiètent de plus en plus sur les terres adjacentes à notre village, cette peur est désormais deux fois plus palpable », confie Samar.

Tous les Palestiniens auxquels MEE a parlé, à Ramallah et ailleurs, ressentent la même crainte, que ce soit au coin de la rue ou chez eux.

Les rues et les centres-villes, qui bruissaient autrefois de circulation et de piétons, sont aujourd’hui étrangement calmes. La plupart des universités donnent exclusivement leurs cours en ligne, de même pour les écoles situées dans les zones particulièrement difficiles. Les gens font des stocks de nourriture.

Attaque de colons

À al-Tuwani, village isolé niché dans la zone de Masafer Yatta, tout au sud de la Cisjordanie, un colon a tiré à bout portant sur Zakaria al-Adra, Palestinien de 29 ans, vendredi dernier après l’attaque de la mosquée du village par un groupe de colons.

Il a survécu, mais reste à l’hôpital sous soins médicaux vigilants.

Fouad Lamour, activiste contre l’occupation à al-Tuwani, indique à MEE que les colons n’osaient pas manifester ce niveau d’agression brutale envers les villageois auparavant.

« Ils ont tiré à bout portant, tout en étant protégés par une armée qui ne faisait que rester là à regarder sans intervenir », raconte-t-il.

Cette communauté soudée de quelque 350 Palestiniens est encerclée par les colonies israéliennes illégales.

« Étant donné les actes débridés des colons, la possibilité d’autres agressions violentes reste bien présente », estime Lamour.

Des personnes endeuillées lors des funérailles d’un Palestinien tué par les forces israéliennes près de Hébron, le 17 octobre (Reuters)
Des personnes endeuillées lors des funérailles d’un Palestinien tué par les forces israéliennes près de Hébron, le 17 octobre (Reuters)

Dans la ville d’al-Jib, située entre les villes de Naplouse et de Qalqiliya dans le nord de la Cisjordanie, un groupe de colons déguisés en soldats à kidnapper Ibrahim al-Sada (55 ans) devant chez lui.

La maison de Sada est située au sud-est d’al-Jib, très près des frontières en pleine expansion de la colonie de Gelad, qui empiète sur les terres du village.

Celui-ci raconte à MEE que quatre colons portant des uniformes de l’armée israélienne avaient d’abord attaqué un groupe d’agriculteurs qui récoltaient des olives.

Lorsqu’ils se sont approchés de lui, Ibrahim al-Sada a supposé qu’il s’agissait de soldats de l’armée régulière, mais leur intention est vite apparue évidente : ils ont attaqué, l’ont maîtrisé et l’ont enlevé.

Son fils Osama (15 ans) a été témoin de son enlèvement et a alerté ses proches et d’autres habitants.

Mais les tentatives de sauvetage ont été accueillies par des menaces de la part des colons : ils tireraient sur quiconque s’approcherait.

Après avoir contacté et demandé l’aide de l’Autorité palestinienne, l’armée israélienne est intervenue et a obtenu la libération de Sada.

Ce dernier a passé deux heures aux mains des colons, craignant que son sort ne soit scellé. « Le spectre de la mort planait sans relâche sur moi », se souvient-il.

L’Institut de recherche appliquée, connu sous le nom d’Arij, avance que les attaques de colons ont bondi de 40 % depuis le 7 octobre. Dans une étude récente, l’organisation estimait par ailleurs que les colons installés en Cisjordanie disposaient d’environ 4 000 armes à feu.

Le 10 octobre, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a annoncé que son ministère était en train d’acquérir 10 000 fusils pour armer des équipes de sécurité composées de civils, notamment dans les colonies de Cisjordanie.

Confinement

Traverser la Cisjordanie en tant que palestinien est en soi un défi dans le meilleur des cas, mais depuis que les Israéliens ont tout coupé, il faut aujourd’hui emprunter des routes non pavées et accidentées pour se rendre d’un endroit à l’autre.

Selon Arij, l’armée israélienne a érigé 567 check-points et autres types d’obstacles à travers la Cisjordanie. Environ 150 d’entre eux sont nouveaux, faits à base de monticules de terre, de blocs de ciment renforcés et de portes de fer.

« Cela s’apparente à donner implicitement aux colons le feu vert pour viser les Palestiniens, annexer plus de territoire et créer de nouvelles colonies, le tout sans autorisation formelle »

- Khaldoun al-Barghouti, analyste

Abd al-Hadi Azzam, qui travaille à l’université al-Najah près de Naplouse et vit à Ramallah, explique à MEE que son trajet lui prenait une heure et demie dans le pire des cas. Aujourd’hui, il lui faut quatre heures, en partie parce que les colons sont souvent sur les routes, à harceler les gens.

Il a décidé de rester à Naplouse la semaine pour éviter d’être agressé.

« D’un côté, le trajet prend désormais une part significative de ma journée et le danger est extrêmement élevé. D’un autre côté, laisser ma famille seule à Ramallah, en particulier avec l’évolution de la situation en Cisjordanie, est impensable. »

Pour de nombreux Palestiniens, la situation actuelle ressemble de manière inquiétante à la seconde Intifada, lorsque les troupes israéliennes déferlaient sur les villes palestiniennes, les assiégeaient et détruisaient une grande partie de leurs infrastructures.

Arij Suhail Khaliliya, responsable de l’ONG Settlement Monitoring Unit, estime que la situation tend en effet vers une escalade supplémentaire.

L’armée israélienne se comporte d’une façon imprévisible et nouvelle, observe-t-elle, avec une plus grande liberté des colons et plus de restrictions de circulation pour les Palestiniens.

« Un tel développement, sans parallèle dans son ampleur, menace d’ancrer davantage les défis auxquels fait face la population palestinienne », déclare Arij Suhail Khaliliya à MEE.

Rien que dans la ville méridionale de Hébron, les 70 check-points ont été scellés et un couvre-feu est imposé la nuit aux Palestiniens.

Le pire reste à venir

Khaldoun al-Barghouti, analyste politique spécialiste des affaires israéliennes, fait remarquer à MEE que l’autonomie apparemment sans limite des colons et les discussions en Israël sur le fait de les armer plus lourdement sont très inquiétantes.

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« Cela s’apparente à donner implicitement aux colons le feu vert pour viser les Palestiniens, annexer plus de territoire et créer de nouvelles colonies, le tout sans autorisation formelle », précise-t-il.

Il estime que le pire est encore à venir.

L’attention du monde est résolument tournée vers Gaza. Pourtant, lorsque l’agitation retombera autour de l’offensive israélienne sur l’enclave côtière, Barghouti prédit qu’Israël reportera son attention sur la Cisjordanie, essayant de renforcer sa domination en isolant les communautés palestiniennes les unes des autres.

Il fait remarquer que cela bouleversera totalement la vie des Palestiniens là-bas.

« Cette trajectoire, bien qu’elle ne soit pas nouvelle, étant déjà dans les projets d’Israël avant les circonstances actuelles, prendra certainement de l’ampleur, hâtant potentiellement le projet d’annexion de l’ensemble de la Cisjordanie. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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