Guirlandes électriques, seringues, drapeaux noirs : les EEI perfides laissés par l’EI en Libye
Sous le soleil brûlant du littoral méditerranéen, les ingénieurs militaires libyens empilent soigneusement des munitions de calibre 155 mm rouillées – des EEI (engins explosifs improvisés) parmi les plus utilisés actuellement par le groupe État islamique (EI), sournoisement attachés à des poignées de porte, des montants de fenêtres et des objets du quotidien.
Entre les obus, les agents de déminage ont déposé d’autres explosifs : têtes de grenades pour mortier trouvées emballées dans des pneus, dispositifs de détonation, petits missiles et même deux ceintures d’explosifs artisanales prises sur les cadavres de militants de l’EI tués avant d’avoir pu se faire exploser.
Traduction : « Hier, une unité de déminage libyenne a détruit dix tonnes d’EEI déposés par l’EI dans une explosion contrôlée à la périphérie de Syrte en Libye » – Tom Westcott (@WestcottTom)
« Ces ceintures d’explosifs sont remplies d’une sorte d’explosif artisanal, mais nous ne savons pas vraiment ce que c’est. Nous n’avions jamais vu ce genre de choses auparavant », a déclaré le commandant Mohammed Torjiman à Middle East Eye, désignant des paquets de poudre blanche et jaune collés sur les ceintures qui auraient été déclenchées avec un composant de grenade. « Une fois la goupille de la grenade retirée, ces ceintures explosent dans les six secondes. »
Ces démineurs ont retiré environ 5 000 engins explosifs improvisés, pièges et mines posés par l’EI à Syrte, et cette semaine, ils ont détruit dix tonnes d’explosifs au cours d’une explosion contrôlée réalisée sans aide internationale.
Les démineurs ont placé du semtex aux extrémités des obus et ont fait courir des câbles entre les deux piles, qui avaient été partiellement enterrées dans le sable pour contrôler la taille du souffle, avant de s’éloigner d’une distance de sécurité d’un kilomètre et demi pour réaliser la détonation à distance.
L’énorme explosion a été entendue et ressentie à travers Syrte. Des groupes de combattants libyens qui ne se doutaient de rien se sont jetés au sol, craignant que l’explosion fût encore une voiture piégée, que l’EI utilise désormais quasiment tous les jours dans leur dernière défense de Syrte – la ville qu’ils avaient revendiquée comme leur fief méditerranéen pendant plus d’une année.
« C’est la quatrième grande explosion contrôlée que nous avons réalisée depuis que la lutte contre l’EI a commencé il y a quatre mois et, avec plus de 200 munitions, celle-ci est la plus grande pour l’instant », a déclaré le commandant Torjiman, supervisant la détonation à distance dans les dunes de sable à la périphérie de Syrte.
« Nous avons désamorcé plus de 5 000 engins explosifs improvisés et mines ces quatre derniers mois. Cette explosion est un moment de satisfaction parce qu’en détruisant ces engins, nous savons que nous avons sauvé des vies. »
Son équipe de génie militaire, l’une des trois unités qui mènent actuellement des opérations de déminage à Syrte, a passé sept heures à préparer les engins explosifs improvisés pour l’explosion.
Surpassés par les EEI de l’EI
Malgré la taille et le succès de l’explosion contrôlée de dimanche, le travail des unités de génie militaire est loin d’être terminé. L’EI a employé des EEI et des pièges à une échelle presque sans précédent à Syrte et la plupart des 200 munitions détruites dimanche ont été retirées de seulement cinq maisons civiles.
« Chaque jour Daech invente une nouvelle technique ou une nouvelle stratégie technique, apprise probablement lors d’un entraînement en Syrie et en Irak, ce qui est très difficile pour nous », a déclaré Torjiman. « Ils utilisent principalement des produits chimiques dans leurs EEI maintenant, notamment le mercure pour déclencher les explosions, et ceux-ci peuvent être très difficiles à détecter et désamorcer. »
« Nous avons perdu cinq hommes en trois mois, dont trois commandants du génie militaire très expérimentés et spécialisés »
Les EEI et les mines de l’EI se sont révélés une arme mortelle dans ce conflit – Torjiman a estimé qu’ils étaient responsables de la mort d’entre 70 et 80 % des 520 combattants libyens tués au cours des quatre derniers mois. Ils ont également tué certains démineurs les plus qualifiés de l’ouest de la Libye.
« Nous avons perdu cinq hommes en trois mois, dont trois commandants du génie militaire très expérimentés et spécialisés », a déclaré Torjiman, ajoutant que leurs décennies d’expérience se sont avérés insuffisantes face aux nouvelles techniques utilisées par l’EI. « Dans mon unité, nous ne sommes plus que deux à avoir véritablement été formés pour désamorcer les mines. Les autres gars ne peuvent qu’assister pour l’enlèvement, la détonation et la logistique. »
Sur les lignes de front de Syrte, les forces libyennes, opérant sous le gouvernement d’union nationale soutenu par l’ONU, disent que les engins explosifs improvisés, ainsi que les tireurs d’élite, restent les plus grandes menaces pour elles à mesure qu’elles se rapprochent du dernier kilomètre-et-demi de la ville encore occupé par l’EI.
« Les véhicules semblaient corrects, mais lorsqu’ils ont passé la marche arrière, les Toyota ont explosé »
« C’est comme s’ils pouvaient lire dans nos esprits », s’est plaint Faraj, combattant de 39 ans. « Daech a abandonné plusieurs pick-up Toyota dans un district lorsqu’ils ont fui et bien sûr nos gars les ont saisis. Ils les ont essayés et les véhicules semblaient corrects, mais lorsqu’ils ont passé la marche arrière, les Toyota ont explosé. »
Un autre combattant, Ahmed (23 ans), a déclaré que l’EI piégeait même certains de ses drapeaux noirs. « Quand l’un de nos combattants a vu un drapeau de l’EI, il l’a bien entendu déchiré, mais il était relié à un dispositif et l’a fait sauter », a-t-il déclaré.
Guirlandes électriques piégées
« Nous rencontrons beaucoup d’éléments inattendus dans le centre-ville de Syrte », a déclaré Khaled Jibril (30 ans), du Centre libyen de lutte contre les mines (LMAC), en tenant un chapelet de guirlandes LED. « Elles étaient disposées sur le sol, l’air inoffensif, mais étaient reliées à un EEI rempli de TNT et d’éclats de métal. S’il avait explosé, il aurait anéanti un être humain – le soufflant en quelques secondes. »
Khaled Jibril a montré à MEE de minuscules unités de détonation fabriquées à partir de seringues qui agissent comme des petites mines quand on marche dessus, détonant un dispositif à proximité rempli avec des centaines de balles, du TNT et des éclats de métal. Des EEI similaires pouvaient être déclenchés par une personne marchant sans se méfier sur des bandes métalliques recouvertes de plastique jaune, presque invisibles lorsqu’elles sont posées juste sous le sable, a-t-il expliqué.
Certains appareils ont été recouverts de mousse industrielle et roulés dans la boue pour les dissimuler sur le terrain, et d’autres étaient reliés à des téléphones satellites, pour une détonation à distance.
« Tous ces articles artisanaux sont très dangereux et même nos officiers les plus expérimentés n’ont jamais vu de telles choses auparavant »
« Tous ces articles artisanaux sont très dangereux et même nos officiers les plus expérimentés n’ont jamais vu de telles choses auparavant », a affirmé Jibril.
Aucun soutien international
Les organisations internationales de déminage ont beaucoup travaillé en Libye après le soulèvement de 2011, mais ont quitté le pays en 2014 quand la Libye a sombré dans un chaos de conflits civils. Bien qu’une formation soit maintenant disponible en Tunisie, sur le terrain, les équipes libyennes de déminage n’ont reçu aucune aide ou soutien international.
« Les Libyens travaillent seuls sur le terrain maintenant », a déclaré Jibril. « Mais nous espérons que les organisations internationales reviendront nous aider. »
Torjiman pense qu’il faudra un an pour nettoyer l’ensemble des mines et des engins explosifs improvisés de Syrte. « Nous avons un dicton en arabe : lorsque la guerre se termine, la tragédie commence. Alors notre travail est de nettoyer la ville, rue par rue et maison par maison, afin que les familles puissent retourner dans des maisons sûres et sécurisées », a-t-il dit.
« Un de nos combattants a trouvé les têtes de plus de 1 000 mines antipersonnel brésiliennes. La tête est retirée quand on pose la mine, cela signifie qu’en plus des engins explosifs improvisés, il y a au moins 1 000 mines sur le bord de mer, dans la ville ou dans la campagne environnante », a poursuivi Torjiman. « Nous devons toutes les trouver avant que les gens puissent revenir à Syrte. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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