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Israël : les enfants victimes de la répression contre les travailleurs migrants

Les lois draconiennes d’Israël en matière d’immigration ont conduit à l’expulsion et incarcération d’enfants
Des enfants philippins portent une banderole en hébreu disant « Nous n’avons pas d’autre pays » lors d’une manifestation contre l’expulsion de travailleurs étrangers à Tel Aviv (Israël) le 6 août (AFP)
Par Moran Nakar à TEL AVIV, Israël

Deux semaines seulement avant la rentrée scolaire, des inspecteurs de l’Autorité israélienne de la population et de l’immigration ont frappé à la porte du domicile de Lori, 12 ans. Il était 6 heures du matin et la jeune fille et sa sœur Rose, 9 ans, dormaient encore.

« Rose s’est réveillée et s’est mise à pleurer », se remémore Lori. « Nous avions peur et nous avons réveillé nos parents. La police de l’immigration a crié à travers la porte qu’elle forcerait l’entrée si nécessaire. Mon père leur a ouvert et Rose et moi avons commencé à pleurer. Nous savions ce qui allait arriver. »

Lori et sa famille font partie des dizaines de familles de travailleurs migrants, la plupart philippines, qui ont été incarcérées l’été dernier dans l’intention de les expulser.

Israël accepte de nombreux travailleurs étrangers tant qu’ils sont célibataires et sans enfants. Leurs permis de travail sont renouvelés presque automatiquement pour une période allant jusqu’à six ans et, dans de nombreux cas, ils demeurent dans le pays encore plus longtemps.

Toutefois, s’ils donnent naissance à des enfants pendant qu’ils sont en Israël, leurs permis de travail sont automatiquement révoqués – à moins qu’ils ne renvoient le bébé dans son pays d’origine dans le mois qui suit sa naissance.

Régulièrement incarcérés

La répression exercée par Israël à l’encontre des familles de travailleurs migrants conduit régulièrement à la détention d’enfants.

« C’était vraiment triste parce que c’était une vraie prison, et nous n’avions rien fait de mal pour mériter d’être enfermées »

- Lori, 12 ans

Lori et sa sœur se sont ainsi retrouvées emprisonnées aux côtés de leur mère pendant quatorze jours.

« Quand ils nous ont emmenées à la prison de Givon, je me demandais pourquoi ils nous faisaient ça. Nous sommes des enfants israéliens comme les autres », déclare Lori.

« C’était vraiment triste parce que c’était une vraie prison, et nous n’avions rien fait de mal pour mériter d’être enfermées. »

Pour les deux sœurs, l’ennui était insupportable.

« Il n’y a rien à faire là-bas. Les seuls jouets disponibles sont destinés aux enfants de 3 ans », explique Lori.

« Des femmes de notre famille et notre conseillère scolaire sont venues nous rendre visite, mais nous ne pouvions pas les toucher car une cloison en verre nous séparait et on devait parler en utilisant une espèce de téléphone avec des haut-parleurs. »

Au cours de leurs deux semaines de détention, les enfants ont eu du mal à supporter d’être enfermées dans leur cellule toutes les nuits. Cette situation a provoqué la colère de leur mère.

« Mes filles m’ont dit : ‘’Maman, nous sommes déjà en prison, pourquoi faut-il qu’ils verrouillent aussi notre porte ? », se souvient-elle.

« Toutes les heures, une personne venait nous surveiller et nous éblouissait avec une torche... Lori m’a dit : ‘’Maman, et si il y avait un incendie ? Comment ferions-nous pour nous échapper ?

« La loi nous interdit de tomber amoureuses »

Angela, 53 ans, vit en Israël depuis plus de vingt ans et travaille comme femme de ménage. Mère d’un garçon de 10 ans, elle qualifie la politique d’immigration israélienne d’inhumaine.

« Quand vous tombez enceinte, ils vous donnent deux options : soit vous avortez, soit vous donnez naissance à l’enfant et vous avez ensuite un mois pour l’envoyer dans votre pays d’origine », explique-t-elle.

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« Vous êtes censée vous séparer de votre bébé un mois après l’accouchement ! Beaucoup de femmes le font parce qu’elles ont peur de travailler illégalement. Mais c’est cruel de les séparer ainsi de leurs nourrissons. Le lien entre la mère et le bébé est brisé. »

Pour les femmes qui viennent travailler en Israël à un très jeune âge, cette politique crée une situation impossible, qui pèse beaucoup plus lourd sur elles que sur les hommes.

« La loi ici nous interdit de tomber amoureuses et de nous marier », poursuit Angela. « Mais c’est pourtant humain ! Nous travaillons parfois vingt-quatre heures par jour, avec un seul jour de congé par semaine. Bien sûr que nous avons besoin de compagnie, d’affection et de passion. Nous ne sommes pas des robots. »

Mary, 46 ans, est arrivée en Israël à l’âge de 21 ans et a travaillé pendant une dizaine d’années au service d’une femme âgée. C’est au travail qu’elle a rencontré son mari, qui, comme elle, est philippin. Ils ont maintenant deux enfants.

Mary aussi pense que la loi impacte surtout les femmes et crée une réalité dans laquelle elles n’ont d’autre choix que de vivre dans le pays illégalement.

« Depuis douze ans maintenant, depuis la naissance de ma fille aînée, je me cache de la police de l’immigration », confie-t-elle à Middle East Eye.

« C’est cruel de séparer ainsi les mères de leurs nourrissons. Le lien entre la mère et le bébé est brisé »

- Angela, travailleuse migrante

« Si ça ne tenait qu’à moi, je serais prête à retourner dans mon pays dès demain. Mais nous restons ici pour les enfants. Leurs vies sont ici, leurs amis, leur école. Ils ont parlé l’hébreu toute leur vie. »

Le dilemme de Mary et de son mari s’est intensifié ces derniers mois, dans la mesure où la police de l’immigration a fait preuve d’une plus grande inflexibilité à leur égard.

Jusqu’en août, une sorte de statu quo existait entre les inspecteurs de l’immigration et les familles de travailleurs migrants, et les jeunes scolarisés de moins de 20 ans n’étaient pas expulsés.

À présent, néanmoins, les enfants sont désormais menacés d’expulsion, même s’ils étudient dans ces écoles publiques qui autrefois les protégeaient.

« Jusqu’il y a quelques mois encore, quand les inspecteurs nous voyaient avec des enfants en âge d’aller à l’école, ils ne nous approchaient pas. Mais soudain, au cours des deux derniers mois, les choses sont devenues très difficiles. Nous devons rester cachés toute la journée, ne sortir que le soir et ne pas laisser les enfants dehors, sauf pour aller à l’école », indique Angela.

Mary se cache de la police de l’immigration israélienne depuis douze ans (MEE/Moran Nakar)
Mary se cache de la police de l’immigration israélienne depuis douze ans (MEE/Moran Nakar)

Les travailleurs étrangers ont trouvé une certaine solidarité chez les parents des camarades de classe de leurs enfants, qui ont manifesté contre les expulsions. Des efforts sont également en cours pour collecter des fonds et trouver des avocats afin d’aider les familles menacées à obtenir le statut de résident légal.

« À la fin de la dernière année scolaire, nous avons commencé à essayer de contacter le ministre de l’Intérieur, le Premier ministre et Shlomo Mor-Yosef, directeur général de l’Autorité de la population », indique Tamar Ben Yishai, activiste et membre de l’association des parents d’élèves de l’école Balfour.

« Mais ces membres du gouvernement ne nous voient pas comme des personnes dont ils devraient se soucier. Ils disent qu’ils respectent la réglementation et que c’est aux tribunaux de décider. »

Vivre dans la clandestinité

En septembre, la question a de nouveau fait la une des journaux lorsqu’une travailleuse migrante a refusé de révéler où se trouvaient ses enfants.

« C’était terrible. Pendant un mois, les autorités ont fait toutes sortes de tentatives pour faire pression sur la communauté philippine de Tel Aviv afin, qu’à son tour, elle fasse pression sur la mère des enfants », raconte Tamar Ben Yishai.

« Le pire dans tout ça est l’incarcération d’enfants »

- Tamar Ben Yishai, activiste

« Les enfants se sont cachés dans des familles d’accueil qui ont veillé à ce qu’ils aillent à l’école. L’école Bialik Rogozin était devenue comme chez eux. La seule chose que les enfants demandaient quand les familles d’accueil venaient les chercher était s’ils pourraient retourner à l’école le lendemain. Finalement, nous avons réussi à faire libérer leur mère sous caution. »

Début novembre, un garçon nigérian de 8 ans, dénommé Favor, a été arrêté et placé en détention dans la prison de Givon, aux côtés de ses parents.

Sous la pression des associations, il a été libéré mi-novembre.

« Le pire dans tout ça est l’incarcération d’enfants », estime Tamar Ben Yishai. « Nous n’essayons pas de changer la politique d’immigration d’Israël, nous essayons simplement d’obtenir une décision gouvernementale permettant à ces enfants de rester ici. »

« En tant que mère, je ne peux m’empêcher de m’identifier à ces autres femmes et je me dois d’être présente pour elles. »

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Selon l’activiste, des intérêts extérieurs sont en jeu.

« C’est une porte tournante ici et quelqu’un a intérêt à ce que cela reste ainsi. Le jour de l’arrestation de Lori et Rose, environ un millier de nouveaux travailleurs étrangers en provenance des Philippines ont été admis dans le pays. »

Depuis le début de l’été dernier, douze enfants et leurs familles ont été arrêtés. Grâce à la représentation légale organisée par les associations de parents d’élèves, chacune d’elles a été libérée et convoquée par un tribunal pour entendre sa cause.

Lori et sa famille ont rendez-vous au tribunal en janvier.

« J’espère qu’ils nous permettront de rester dans le pays », dit la jeune fille. « Je veux vraiment servir dans l’armée et vivre ici avec ma famille quand je serai grande. J’adore Israël. »

Traduit de l’anglais (original).

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