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Wadi Rum Trail : un nouveau sentier de randonnée jordanien explore d’anciens itinéraires bédouins

Un nouveau sentier pédestre à travers le Wadi Rum en Jordanie vise à apporter un tourisme « plus lent » dans une région célèbre pour ses anciennes routes de pèlerinage et sa culture bédouine
Un homme se prépare à descendre en rappel le Jebel Rum en Jordanie (Wadi Rum Trail)

La frontière sud de la Jordanie est une terre de vastes vallées, de collines de grès et d’imposantes montagnes couronnées de pics surplombant d’amples déserts isolés.

Il n’y a pas si longtemps, une grande partie de cette région faisait en réalité partie de l’Arabie saoudite. Mais en 1965, elle est devenue une région de la Jordanie, à la suite d’un accord frontalier par lequel cette dernière a gagné 18 km au sud et, ce faisant, une bande côtière le long du golfe d’Aqaba et le hameau désertique de Titin.

La nouvelle conception de la frontière était étrangère aux tribus qui avaient traditionnellement délimité la zone et a tracé une frontière internationale dans une région où les bédouins se déplaçaient autrefois librement.

Ce réalignement a également signifié que le Jebel Um ad-Dami, qui était jusque-là un sommet mineur en Arabie saoudite, est devenu, du jour au lendemain, la plus haute montagne de Jordanie (1 854 m), dépassant son voisin le Jebel Rum (1 734 m).

Désormais, cette région unique aux paysages époustouflants chargés d’histoire peut être explorée dans le cadre du Wadi Rum Trail, le plus récent itinéraire de grande randonnée de Jordanie.

« Le Wadi Rum Trail est une nouveauté pour la région, il est différent des circuits habituels en Jeep ; il s’en cache et pénètre dans les montagnes et les vallées », explique Sabbah Eid, un bédouin qui compte parmi les fondateurs du sentier, à Middle East Eye.

L’itinéraire, officiellement inauguré en février dernier, relie, le long d’un réseau de 120 km, d’anciens itinéraires de pâturage, de chasse, de commerce et de voyage, des sections du chemin du hadj vers La Mecque, d’anciennes routes de caravanes et certaines des premières voies d’escalade.

« Le sentier s’aligne sur des parties de l’ancienne route de pèlerinage entre Damas et La Mecque qui traverse le Wadi Rum », décrit Ben Hoffler, l’un des fondateurs du sentier qui a participé au développement d’itinéraires longue distance en Égypte.

« Il s’aligne sur d’anciennes routes caravanières qui allaient des déserts plus élevés de Jordanie et de Palestine jusqu’au désert plus profond d’Arabie saoudite ; il s’aligne sur les anciennes routes de migration bédouine, sur les routes des bergers. Chaque section a sa propre histoire », ajoute-t-il.

« Un grès de renommée mondiale »

Le sentier, qui peut être parcouru en une dizaine de jours, est le résultat de plus de trois ans de travail collaboratif entre les familles bédouines du Wadi Rum, qui ont mené le projet, et un petit groupe de bénévoles étrangers.

L’itinéraire traverse le Wadi Rum, désert de grès de renommée mondiale, et les zones les plus reculées de l’arrière-pays, traversant de vastes plaines et plateaux, des canyons étroits, des gorges et des sommets imposants.

Au total, le sentier couvre une superficie d’environ 450 kilomètres carrés et a été divisé en six régions, afin de faciliter la compréhension de la géographie et la planification des itinéraires.

Coucher de soleil au-dessus des montagnes dans la zone de randonnée de 450 km² (Wadi Rum Trail)
Coucher de soleil au-dessus des montagnes dans la zone de randonnée de 450 km² (Wadi Rum Trail)

L’une de ces régions est centrée autour du Jebel Rum, la montagne qui, jusque dans les années 1960, avait l’honneur d’être le plus haut sommet de Jordanie, et qui est toujours considérée comme l’une des plus légendaires de la région, avec ses sources pérennes, ses plantes sauvages et ses troupeaux de bouquetins.

Une autre section du sentier traverse l’une des chaînes de montagnes les plus vastes et les plus célèbres du Moyen-Orient, le Hijaz, qui s’étend le long de la côte de la mer Rouge depuis Aqaba jusqu’au Yémen, et au cœur de laquelle se trouvent La Mecque et Médine, où est né l’islam.

Parcourir le Hijaz à pied, c’est marcher dans la patrie historique des tribus bédouines qui, au fil des siècles, se sont déplacées et se sont installées aussi loin qu’en Afrique du Nord, en Égypte et au Levant.

« Presque toutes les tribus plongent leurs racines dans cette chaîne de montagnes du Hijaz. C’est donc spectaculaire d’un point de vue naturel, et c’est aussi très significatif d’un point de vue culturel », déclare Hoffler à Middle East Eye.

Une longue tradition d’escalade

Le Wadi Rum Trail est le premier sentier de grande randonnée du Moyen-Orient à intégrer dans son itinéraire principal une section qui comprend de la véritable escalade – bien qu’il existe des itinéraires alternatifs pour ceux qui préfèrent la contourner.

Ces sections racontent une longue tradition d’escalade chez les bédouins de la région, qui gravissaient les montagnes pieds nus et souvent seuls à la recherche des meilleurs endroits pour chasser, trouver de l’eau, se cacher et cueillir des plantes servant à nourrir leurs animaux.

« [Avant], si vous ne grimpiez pas, vous n’aviez pas une bonne vie », explique Sabbah Eid. « Vous entrez dans l’histoire quand vous allez là-bas. »

De fait, des voies d’escalade auraient autrefois existé sur presque tous les grands massifs du Wadi Rum. Mais beaucoup ont depuis été oubliées et ont disparu.

Avant les frontières internationales, les bédouins se déplaçaient librement dans les montagnes de la région (Wadi Rum Trail)
Avant les frontières internationales, les bédouins se déplaçaient librement dans les montagnes de la région (Wadi Rum Trail)

« Le sentier intègre ces anciennes voies d’escalade bédouines dans son parcours, ce qui le rend techniquement plus difficile que tout autre sentier de la région, et lui permet aussi d’évoquer une partie très riche et peu connue de la culture de la région », poursuit Ben Hoffler.

Au cours des dernières décennies, des voies d’escalade modernes et plus techniques ont également été développées dans le Wadi Rum. Le nouveau sentier intègre pour sa part d’anciennes voies d’escalade bédouines, tel un moyen de se réapproprier son patrimoine ancien et riche en la matière.

« C’est une partie assez extraordinaire de l’histoire du déplacement dans cette région, et c’est ce que le Wadi Rum Trail essaie de souligner », note Hoffler.

Pour un tourisme lent

Les développeurs du nouveau sentier reconnaissent que le tourisme dans le Wadi Rum est désormais une industrie florissante qui attire des centaines de milliers de visiteurs par an et d’importants bénéfices économiques.

Ils notent toutefois que ce boom entraîne également des changements dans le paysage et les aspects de la vie communautaire qui ne sont pas toujours positifs.

Pour les nombreux touristes et groupes qui n’ont que quelques jours à disposition pour visiter la Jordanie, l’expérience du Wadi Rum se limite généralement à des excursions rapides et condensées qui s’adaptent à leurs programmes chargés.

Le Wadi Rum Trail vise à promouvoir un autre type de tourisme, un tourisme communautaire qui fait revivre des modes de déplacement plus lents et plus traditionnels susceptibles de contribuer à préserver l’environnement naturel et à mieux faire connaître le patrimoine historique local.

Une œuvre d’art rupestre (non datée) représentant un bouquetin dans la région du Wadi Rum (Wadi Rum Trail)
Une œuvre d’art rupestre (non datée) représentant un bouquetin dans la région du Wadi Rum (Wadi Rum Trail)

« Le type de tourisme qui prédomine dans la région est basé sur des circuits en 4x4 et des nuits dans le désert qui sont généralement passées dans des camps construits à cet effet, cela est présenté comme une expérience bédouine authentique mais implique généralement une représentation très stylisée de la culture bédouine », constate Hoffler.

« Le Wadi Rum Trail a été construit avec la conviction que le tourisme peut s’aventurer plus profondément dans la région et ses paysages, et qu’il peut également donner un espace plus spontané et authentique afin que de véritables relations se développent entre les visiteurs et les habitants de la région », ajoute-t-il.

Le Wadi Rum Trail veut aussi contribuer à la préservation et à la revalorisation des savoirs et savoir-faire locaux. Si de nos jours l’identité bédouine reste forte, les jeunes générations connaissent moins bien les sentiers terrestres, les sources d’eau, la flore et la faune locales, ainsi que les noms, histoires et légendes de la région – en grande partie parce que, pour nombre d’entre eux, de telles connaissances ne sont plus nécessaires.

« C’est fascinant [de voir qu’] il existe de nombreuses connexions à travers ce monde tribal »

- Ben Hoffler, co-fondateur du Wadi Rum Trail

« Lorsque nous conduisons les touristes en 4x4, nous n’entrons jamais en contact avec eux comme lorsque nous le faisons en randonnée, car quand nous marchons, nous pouvons partager nos histoires et leur expliquer notre culture », déclare à MEE Rakan el-Zalabia, un guide d’escalade qui a aidé à développer une voie sur le Jebel Rum.

« C’est [un cadeau] pour les gens. Ils peuvent trouver la beauté dans les montagnes, où ils ont la paix et le silence, [mais aussi] plus de temps avec les bédouins. »

Le Wadi Rum Trail a été développé en tant qu’itinéraire guidé par les bédouins de la région et comprend des zones désertiques éloignées et peu connues qui seraient autrement difficiles à parcourir sans une aide locale.

Plusieurs familles bédouines, membre des tribus des Anaza, Bani Atiya, Billi, Howeitat et Tarabin, vivent dans le Wadi Rum.

« Lorsque [les bédouins] préservent leur culture et ne l’utilisent pas simplement comme une marchandise, cela aide à [développer] un tourisme durable », déclare à MEE Ismaiel Abuamoud, professeur à la faculté d’archéologie et de tourisme de l’Université de Jordanie.

La vue depuis la plus haute montagne de Jordanie, le Jebel Um Ad-Dami, près de la frontière saoudienne (Wadi Rum Trail)
La vue depuis la plus haute montagne de Jordanie, le Jebel Um Ad-Dami, près de la frontière saoudienne (Wadi Rum Trail)

Ce dernier a étudié l’impact positif de l’écotourisme dans la région du Wadi Rum. « Quand ils prennent conscience de l’importance de travailler ensemble, quand ils utilisent leurs ressources, quand ils prennent conscience de la faune et de la flore, cela aide à [construire] un tourisme durable », ajoute-t-il.

Le Wadi Rum Trail est le cadet de deux autres sentiers de grande randonnée qui parcourent la région : le Sinai Trail (550 km) et le Red Sea Mountain Trail (170 km), tous deux situés en Égypte.

« Ce que je trouve si intéressant, ce n’est pas seulement la diversité des paysages entre les endroits où nous avons tracé les sentiers, mais la cohérence culturelle », note Hoffler.

« Quand je randonne à partir d’une partie de la région – par exemple, les montagnes de la mer Rouge en Égypte – à travers le Wadi Rum, cela me semble une nation bédouine commune.

« C’est fascinant [de voir qu’] il existe de nombreuses connexions à travers ce monde tribal. »

En plus de guides, en fonction du nombre de jours passés à marcher, les randonneurs ont besoin d’aide pour transporter le nécessaire de voyage (des tentes à la nourriture, en passant par l’eau), dans la mesure où le sentier serpente principalement à travers une nature sauvage.

« Nous avons travaillé tous ensemble, et c’est à la nouvelle génération de continuer. C’est un cadeau pour nos enfants »

- Sabbah Eid, co-fondateur du Wadi Rum Trail

Si cela peut parfois se faire en 4x4, il est toutefois conseillé aux randonneurs de s’appuyer plutôt sur l’aide de chameaux, car ces animaux ont toujours été un compagnon clé des bédouins et ont rendu possible leur mode de vie nomade pendant des siècles.

« Nous essayons d’ouvrir un espace où le tourisme peut être pratiqué différemment et où il peut aider à conserver les choses qui attirent les gens dans cette région en premier lieu », commente Ben Hoffler.

Le sentier n’appartient à personne et a été créé en tant que projet communautaire pour la région. La Wadi Rum Trail Organisation (WRTO) a été formée en tant que groupe bénévole pour superviser son développement, gérer le sentier, mobiliser des ressources publiques et sensibiliser à ce nouveau type de tourisme dans le Wadi Rum.

« Nous avons travaillé tous ensemble, et c’est à la nouvelle génération de continuer », conclut Sabbah Eid. « C’est un cadeau pour nos enfants. »

Traduit de l’anglais (original).

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