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La bataille de Mossoul : libération, désespoir et questions

Les habitants secourus par l’armée irakienne manquent de nourriture, d’eau et d’électricité et font face aux transfuges de l’EI qui se cachent parmi eux
Un garçon observe la destruction de sa rue dans l’est de Mossoul (MEE/Tom Westcott)

MOSSOUL, Irak – Sur le bord de la route, des petits stands qui vendent cigarettes, de l’huile pour cuisiner et des boîtes de conserve réapparaissent dans les quartiers à l’est de Mossoul, libérés du groupe État islamique (EI) par l’armée irakienne.

De nombreux habitants n’ont pas les moyens d’acheter les maigres provisions en vente sur les stands au bord de la route (MEE/Tom Westcott)

Les Humvees roulent dans de grands nuages de poussière, tandis que les habitants qui ont choisi de rester chez eux au lieu de fuir – même lorsqu’ils se trouvaient au milieu d’intenses combats – les saluent et font le signe de la victoire aux soldats qui passent.

« Nous avions peur avant que l’armée entre dans notre zone », raconte Mohammed, 45 ans, à Middle East Eye. « L’EI nous a dit que les soldats irakiens violeraient nos sœurs et feraient main basse sur nos biens, mais les soldats ont été si gentils. »

« Pendant deux ans et demi, nous n’avons rien reçu. Mais, sans exagérer, dès que la Division d’or (de l’armée irakienne) est arrivée, ils ont commencé à nous aider de toutes les manières qu’ils ont pu, et ont même partagé leur nourriture avec nous. »

« De toute façon, où irions-nous? », demande sa femme Aisha, 43 ans. Une explosion, à quelques rues de là, fait trembler le sol.

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« Dans les camps, le froid tue les gens et nous entendons dire qu’il n’y a pas assez de nourriture, nous préférons rester chez nous. »

Aisha insiste sur le fait que vivre en bordure d’une zone de conflit active, même sous la menace de mortiers de l’EI, est préférable à rejoindre les quelque 28 000 habitants de Mossoul désormais classés « déplacés internes » dans les camps à proximité.

Peu d’habitants qui ont choisi de rester peuvent se permettre d’acheter la nourriture des stands, leurs économies sont épuisées après deux ans d’austérité extrême sous l’EI. L’ingénieur en construction Fawzi, 38 ans, qui a quitté sa maison ce matin-là et marché quatre kilomètres à travers les combats pour parvenir en lieu sûr montre son porte-monnaie de cuir vide à la caméra.

« Regardez, je n’ai rien du tout », crie-t-il. « Je n’ai pas eu de revenus pendant deux ans et demi et j’ai vendu tous mes biens pour acheter de la nourriture. Lorsque je n’ai plus rien eu à vendre, je n’ai même pas pu aller dans les magasins. J’ai dû emprunter de la nourriture à mes voisins pour survivre. »

Il fait partie des petits groupes de civils qui sortent tous les jours au compte-goutte de l’est de Mossoul, des chiffons blancs accrochés à des bâtons, leurs biens les plus précieux entassés dans des sacs plastique. Certains sont escortés par des soldats dans des camions de l’armée, mais la plupart, y compris des personnes âgées, partent à pied.

Les civils qui fuient l’est de Mossoul marchent à côté des restes d’un combattant de l’EI, laissé sur place en tant qu’avertissement pour les autres (MEE/Tom Westcott)

La mort est partout à Mossoul. Les civils qui fuient et les charrettes tirées par des ânes qui portent des œufs et des petites piles de couches pour enfants trottent à côté des corps en décomposition des combattants de l’EI.

« Nous avons laissé ces corps pour que les chiens les mangent et pour donner une leçon aux autres combattants de l’EI », déclare Marwan, un soldat irakien, qui arrête son Humvee près d’un corps gonflé et noirci, le pantalon baissé aux chevilles, ses organes génitaux exposés.

« Nous avons laissé ces corps pour que les chiens les mangent et pour donner une leçon aux autres combattants de l’EI »

- Marwan, un soldat irakien

« Nous en avons tués beaucoup de l’EI et nous brûlons principalement leurs corps, mais nous en laissons quelques-uns pour montrer aux terroristes qu’ils ne peuvent pas nous battre, nous leur montrons ce qui les attend. »

Dans la direction opposée, un autre Humvee passe à toute vitesse avec un cadavre recouvert d’un drap allongé sur le capot. L’artilleur crie : « Martyr, martyr », indiquant que l’homme mort est un soldat. D’autres suivent, conduisant des soldats et des civils blessés à l’hôpital de campagne, où plus de 100 blessés – la plupart étant des civils – sont soignés tous les jours.

Il hausse les épaules « Ce n’était pas si différent sous l’EI »

Les rues plus près du champ de bataille sont désertes. Mais un camion du gouvernement irakien rempli de boîtes de vivres essentielles arrive. En 30 minutes, des centaines d’homme, de femmes et d’enfants apparaissent, bravant le feu des snipers de l’EI pour faire la queue pour de la nourriture.

Les habitants sont très reconnaissants pour leur libération, mais désespérés par les sévères pénuries.

Des femmes et des enfants, sous le regard de l’armée irakienne, attendent de l’aide alimentaire (MEE/Tom Westcott)

« Depuis que notre zone a été libérée il y a vingt jours, nous n’avons eu ni eau, ni électricité et nous n’avons presque plus de nourriture », rapporte Aymen, 18 ans, debout dans la file d’attente chaotique.

« Il commence à faire très froid et il est difficile de se réchauffer la nuit. Nous n’avons qu’un tout petit peu de pétrole dans le réchaud. Nous avons besoin d’aide en urgence. »

Mahmoud, 58 ans, l’air épuisé après deux jours de violents combats dans son quartier, hausse les épaules. « Ce n’était pas si différent sous l’EI. Nous avions de l’eau, mais seulement deux heures d’électricité par jour », explique-t-il.

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« Nous sommes désormais habitués à ne rien avoir, mais nous espérons que des organisations internationales vont venir et nous aider maintenant que l’EI a été battu par l’armée. »

Des camions d’aide délivrent tous les jours des vivres aussi près que possible de la ligne de front, selon Mahmoud Nai, un officiel du gouvernement.

« Nous sommes arrivés avec 1 000 boîtes aujourd’hui et nous en avons déjà délivré 600 », explique-t-il, admettant que la demande dépasse toujours l’offre. « Nous espérons que nous aurons toujours assez de nourriture pour tout le monde avec le temps. »

Les soldats ont du mal à garder la file d’attente sous contrôle avec l’arrivée de l’aide alimentaire (MEE/Tom Westcott)

Tandis que des centaines d’habitants se réunissent aux extrémités de la rue fermée, dans l’espoir de rejoindre les files d’attente, les soldats qui assurent la sécurité deviennent tendus. Ils sont terrifiés à l’idée que des kamikazes de l’EI puissent infiltrer le groupe de civils, et finissent par tirer au-dessus de la foule pour empêcher que les groupes déferlent dans la rue.

« Aider moi à le trouver s’il vous plaît »

Pour beaucoup de résidents de Mossoul qui ont souffert sous l’EI pendant deux ans, la vie ne sera plus jamais normale. Tandis que les tirs d’artillerie font écho dans les rues du quartier d’Aden, Tawfik, 16 ans, se tient calmement devant sa porte. Il se tient bizarrement, suite à ses blessures, résultat de frappes aériennes de la coalition sur des cibles de l’EI à Mossoul en 2015.

« La première frappe aérienne est arrivée de nulle part et mon père a été blessé. Il saignait tellement que nous avons dû essayer de l’emmener à l’hôpital », se souvient-il. « Mais après que mon voisin et moi l’avons mis dans la voiture, une autre bombe est tombée, coupant mon bras. »

Deux enfants mangent une petite gâterie sucrée à l’est de Mossoul après le départ du convoi d’aide (MEE/Tom Westcott)

Coincé à l’intérieur du véhicule, Tawfik s’est retrouvé démuni. Suite à des services médicaux de mauvaise qualité, son père est mort dans la nuit, et son voisin et lui ont été amputés. « Tout ça c’est de la faute de l’EI », raconte-t-il, l’air morose, sans émotion.  

Il remonte sa manche pour montrer une bande de platine recouverte de plastique qui va de son biceps à son poignet, enfoncée dans une main de plastique.

Plus bas dans la rue, une femme âgée attrape les manches des soldats, et demande des informations à propos de son fils, qui, selon elle, a été capturé par l’armée irakienne car soupçonné de collaborer avec des combattants de l’EI. « C’était un bon garçon, il n’était pas avec Daech », dit-elle. « Aidez-moi s’il vous plaît à le trouver. » Les soldats ont répondu brutalement qu’ils ne pouvaient pas l’aider.

« Ils ont témoigné qu’il était avec l’EI »

Les collaborateurs de l’EI qui se déguisent en civils sont l’une des plus grandes menaces auxquelles font face les soldats irakiens.

« Honnêtement, il est parfois impossible de savoir si ces gens sont avec l’EI ou pas », admet Firas, un soldat. Il montre les hommes dans la file d’attente avec leurs cartes d’identité au premier point d’enregistrement et de contrôle de civils. « Nous comptons beaucoup sur les autres résidents pour les signaler. »

Il y a des arrestations tous les jours : une bagarre à un point d’enregistrement improvisé pour les résidents qui fuient Mossoul en entraîne une autre.

Un homme avec un tee-shirt bleu enroulé autour de la tête est entraîné à l’intérieur du bâtiment par un groupe de soldats ; l’un d’entre eux attrape sur le chemin un bout de câble électrique qui pend d’un pylône.

L’homme est amené dehors et jeté dans la Toyota, où il est étendu entre les poêles à frire sales, et tremble sans pouvoir se contrôler

Après une heure d’interrogatoire, l’homme est amené dehors et jeté dans la Toyota, où il est étendu entre les poêles à frire sales, et tremble sans pouvoir se contrôler.

« C’est ici au centre d’enregistrement que nous faisons le plus d’arrestations. Ce gars s’est faufilé en dehors de Mossoul avec des civils et des familles », explique Ratha, un sergent.

« Il avait rasé sa barbe mais les familles le connaissaient et l’ont vu cacher son arme avant de les rejoindre, ils ont donc témoigné qu’il était avec l’EI.

« Nous avons vérifié son nom sur notre base de données et nous l’avons trouvé sur notre liste noire. Il est maintenant emmené pour un interrogatoire. »

Note de l’éditeur : La situation sécuritaire à Mossoul reste incertaine : de nombreux habitants interviewés pour cet article n’ont pas voulu donner leur nom complet.

Traduit de l’anglais (original).

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