La Grande Mosquée de Bruxelles rompt avec l’Arabie saoudite et le wahhabisme
BRUXELLES – Le gouvernement belge a pris la décision de rompre la convention conclue avec la Ligue islamique mondiale, qui organisait la gestion de la Grande Mosquée de Bruxelles.
Cette décision fait suite aux travaux de la commission d’enquête parlementaire créée à la suite des attentats du 22 mars 2016 et chargée d’investiguer sur les raisons de la montée du radicalisme.
La commission a recommandé de mettre fin à l'immixtion d'États étrangers dans l'islam prêché en Belgique, et en particulier celui de l'Arabie saoudite. En effet, en tant que fondateur et financeur de la Ligue islamique mondiale (LIM), ce pays a fait de la Grande Mosquée de Bruxelles un canal de diffusion de l’islam wahhabite saoudien.
« La Grande Mosquée a incarné la tête de pont de la diffusion d’un islam particulièrement rigoriste d’inspiration salafiste pendant presque 40 ans »
- Michael Privot, islamologue
La décision a suscité, au sein de la communauté musulmane en Belgique, des réactions mitigées allant de l’approbation à la méfiance.
L’islamologue Michael Privot, activiste en faveur d’un islam des lumières, attendait cette décision depuis longtemps. Sollicité par Middle East Eye, il se réjouit : « Enfin ! On était quelques-uns à demander au gouvernement de rompre cette convention depuis plusieurs années. La Grande Mosquée a incarné la tête de pont de la diffusion d’un islam particulièrement rigoriste d’inspiration salafiste pendant presque 40 ans ».
Or, pour la commission parlementaire sur la radicalisation, « le courant “salafo-wahhabite” contient un ensemble de ferments pouvant jouer un rôle très significatif dans le radicalisme violent, notamment en ce que cette conception de l’islam est un vecteur de repli communautaire, de polarisation, et qu’il diffuse des idées” contraires aux droits de l’homme et à la Constitution.
Une analyse réfutée par le théologien Mustapha Kastit, formé à Médine, en Arabie saoudite. « La mauvaise gestion interne de la Grande Mosquée de ces dernières années n'a absolument aucun lien avec une quelconque forme de radicalisation que la Grande Mosquée pourrait promouvoir », explique-t-il à MEE. « Quand bien même nous pourrions lui reprocher, à juste titre d'ailleurs, son manque de communication et de réactivité avec l'environnement sociétal », précise l’imam qui occupait dans le passé, les fonctions d’enseignant et théologien à la Grande Mosquée de Bruxelles.
Une absence de lien entre radicalisation – au sens d’extrémisme violent – et la Grande Mosquée de Bruxelles, que reconnaît également Thomas Renard, expert à l’institut Egmont dans la lutte antiterroriste.
« La plupart des jeunes partis combattre en Syrie ou en Irak ne fréquentaient pas des mosquées », précise-t-il. « Ces jeunes ont connu un phénomène de radicalisation qui est davantage social que religieux », analyse-t-il.
« Une partie du discours véhiculé par la grande mosquée de Bruxelles était quelque part antidémocratique »
- Thomas Renard, expert à l’institut Egmont dans la lutte antiterroriste
Toutefois l’expert reste convaincu que la décision de reprendre le contrôle de la Grande Mosquée « est utile car il est nécessaire de s’attaquer à tout ce qui est antidémocratique ».
« Une partie du discours véhiculé par la grande mosquée de Bruxelles était quelque part antidémocratique et posait un problème par rapport à une politique simple d’intégration et de coexistence », confie-t-il à MEE.
L’organisation de l’islam en Belgique reste un dossier épineux
Cette rupture de la Grande Mosquée de Bruxelles avec l’Arabie saoudite vise également à réorganiser l’islam en Belgique de façon à ce que son « centre de gravité soit situé en Belgique ».
Michael Privot, défenseur d’un « islam belge et européen », se veut optimiste : « L’approche de l’islam par les Belges musulmans de la deuxième et troisième génération est un métissage, contrairement à l’ancienne génération, attachée au pays d’origine ».
Si pour Mustafa Kastit, « bâtir un islam belge soustrait aux influences étrangères quelles qu'elles soient est en soi une très bonne chose », il pose cependant trois conditions, pour lui essentielles. « Cela doit se faire avec la communauté musulmane, grande absente de ce débat, et non sans elle. Que ce dossier ne soit nullement politisé, en respect du principe de la séparation de l'Église et de l'État, et celui de la non-ingérence de pays étrangers dans ce processus », prévient le théologien.
« Les autorités belges nous ont demandé de prendre nos responsabilités »
- Salah Echallaoui, président de l’Exécutif des musulmans en Belgique
C’est finalement l’Exécutif des musulmans en Belgique (EMB) qui jouera un rôle déterminant dans la nouvelle gestion de la Grande Mosquée de Bruxelles. L’EMB est l’organe officiellement reconnu par le gouvernement belge, chargé de la gestion du culte islamique en Belgique depuis 1974.
Son nouveau président Salah Echallaoui se dit prêt à relever le défi. « Les autorités belges nous ont demandé de prendre nos responsabilités. Nous l’avons accepté dans le respect des lois belges et dans l’intérêt de la communauté musulmane», affirme-t-il à MEE.
Craignant une « conception anarchique de cet islam européen », l’intellectuel belge Michael Privot aurait préféré « un appel à projet auprès des populations musulmanes pour faire de la mosquée une vitrine d’un islam belge englobant les nouvelles tendances ». Quant à Mustafa Kastit, il espère « que tous les dossiers touchant la communauté musulmane seront traités de manière impartiale et équitable » par la future gouvernance de l’islam de Belgique.
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Enfin la commission parlementaire sur le radicalisme recommande que la nouvelle gouvernance Grande Mosquée de Bruxelles soit « caractérisée par la promotion du vivre-ensemble et l’ouverture à toutes les courants de l’islam ».
Le président de l’EMB se dit conscient que « les projets que l’EMB a lancés, telle la formation des imams, rencontrent une résistance et une réticence de la part de certains courants musulmans ». Mais Salah Echallaoui se veut confiant : « L’EMB travaillera dans la concertation et le respect de la diversité de la communauté musulmane en Belgique avec ses différentes origines et obédiences. Il n’y a rien à craindre pour le futur de la Grande Mosquée du Cinquantenaire qui sera entre de bonnes mains ».
Un délai d'un an a été fixé depuis la décision de reprendre le contrôle de la Grande Mosquée du Cinquantenaire. Ce temps sera consacré à la constitution d’une nouvelle structure associant l'Exécutif des musulmans de Belgique et une communauté locale.
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