La peur s'intensifie pour les habitants de Falloujah pris au milieu du conflit
BAGDAD - Les inquiétudes s'intensifient quant à la fin du siège de la ville irakienne de Falloujah qui pourrait voir des attaques de représailles à l'encontre des résidents sunnites ou le début d'une catastrophe humanitaire, alors que l'armée irakienne et ses troupes alliées, les Unités de mobilisation populaires (PMU), progressent davantage vers la ville toujours sous l'emprise de l'État islamique.
Les forces irakiennes firent face à une résistance farouche de la part des quelque 100 soldats lourdement armés de l'État islamique alors qu'elles tentaient de pénétrer dans le centre de la ville de Falloujah hier, explique à l'AFP le Lieutenant Général Abdelwahab al-Saadi, commandant en charge des opérations.
Le Lieutenant Général explique que les forces irakiennes de la zone, qui comprennent également les forces de police et les unités de l'armée, ont fini par réussir à repousser l'attaque, tuant 75 militants. Il n'a pas donné d'indications quant aux pertes humaines du côté pro-gouvernemental.
Alors que l'on estime que 50 000 civils se trouvent à l'intérieur de la ville et que seule une famille sur les 550 vivant ici est parvenue à fuir le commandement des membres de l'État islamique depuis le lancement de l'opération le 22 mai, un groupe d'aide a prévenu qu'une catastrophe était sur le point de se produire.
« Une catastrophe humanitaire se dessine peu à peu à Falloujah. Des familles se retrouvent au centre du conflit et n'ont aucun moyen sûr de s'en échapper », a dit Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés dans un communiqué mardi.
« Les parties impliquées dans le conflit doivent garantir aux civils un échappatoire sécurisé et ce, dès à présent, avant qu'il ne soit trop tard et que davantage de vies ne soient détruites. »
Alors que l'inquiétude monte pour les civils pris au piège dans l'enceinte de la ville, les chefs des milices ne cessent de minimiser l'ampleur des éventuelles représailles à l'encontre des civils sunnites, rapellent certains analystes.
« Le sang des chrétiens, des musulmans, des yézidis, et des turkmènes se ressemble lorsqu'il se répand sur le sol irakien », a dit Dhafer Lawees, un porte-parole du Bataillon Babylone, la seule unité de mobilisation populaire chrétienne en Irak à prendre part aux combats à Falloujah.
Dhafer Lawees a dit à Middle East Eye que les rumeurs de « massacre » sectaire à Falloujah étaient relayées par des éléments et des hommes politiques étrangers.
« Cette [participation] est un grand coup contre ceux qui estiment que l'Unité de mobilisation Hashd (PMU) est sectaire et qu'elle ne provient que d'une seule secte - les chiites », dit-il.
« C'est une belle victoire contre ceux qui les critiquent en Arabie saoudite et au Qatar, et contre les politiciens sectaires et peu enclins au patriotisme. »
Abu Mahdi al-Muhandis, un commandant militaire irakien en charge de la supervision des actions des unités de mobilisation populaires, a transmis un message alarmant mercredi dernier aux divers groupes les exhortant à respecter les droits des citoyens de Falloujah et à ne pas les considérer comme des ennemis.
« Les résidents des quartiers de Falloujah sur le point d'être libérés sont notre peuple », peut-on lire dans la déclaration.
« L'objectif des opérations visant à libérer la ville de Falloujah consiste à restaurer la sécurité et la paix dans la ville et de la libérer du terrorisme. »
Malgré les promesses, un grand nombre d'histoires horribles se sont répandues par le biais des réseaux sociaux en lien avec les atrocités déjà perpétrées par les milices chiites à Falloujah.
D'après Al-Jazeera, Sheikh al-Jumaili, un membre du Conseil tribal de Falloujah, a dit que les milices chiites embrasaient les mosquées et les maisons de Karma, une ville située à environ 16 kilomètres au nord-est de Falloujah, après que la ville a été saisie par les forces gouvernementales vendredi.
Il aurait affirmé que les milices ont détruit des sites historiques de Karma ainsi que la mosquée Ibrahim Ali Hassoun Mosque à l'aide d'explosifs.
En réponse à cela, le Brigadier Rasool Yahya a expliqué qu'il existait une politique officielle visant à empêcher les mosquées d'être prises pour cible, bien qu'il ait ajouté que « lorsqu'une mosquée devient le centre de la terreur alors il est de notre devoir de nous en charger ».
D'autres personnes ont partagé des photos sur les réseaux sociaux dans le but de présenter la destruction de la mosquée :
Un utilisateur de Twitter, revendiquant le statut de « porte-parole officiel de la Mobilisation sunnite populaire en Irak » a publié un tweet au début de l'assaut, illustrant apparemment la peur ressentie par les habitants sunnites de Falloujah.
« Les assauts de Falloujah ont débuté, écrit-il. Ils détruisent tout et ils embrasent la terre - voilà leur définition de la libération. Les femmes et les enfants prient pour que Dieu leur vienne en aide ».
Jeudi dernier, le Colonel Steve Warren, le porte-parole de la coalition de lutte contre l'État islamique menée par les États-Unis, a publié un tweet mentionnant que les Unités de mobilisation populaires chiites avaient dit « publiquement et en privé qu'elles resteraient hors des limites de Falloujah » et qu'elles ne pénètreraient pas dans la ville.
D'après les responsables cités par l'AFP, elles étaient toujours actives dans les zones rurales lundi, tentant de se frayer un chemin au nord-ouest de Falloujah, dans une zone appelée al-Saqlawiyah.
Mais les analystes estiment que si elles maintiennent leur position, cela pourrait être un élément crucial pour l'issue du combat et la réaction de la population lors de leur « libération ».
« Les milices chiites irakiennes soutenues par les Iraniens n'ont pas tenté de dissimuler leur présence à Falloujah », dit Amir Toumaj, un analyste en recherche pour la Fondation de défense des démocraties implantée à Washington.
« Harakat al Nujaba [une unité de mobilisation populaire] a posté de nombreuses photos de Qassem Soleimani aux côtés du commandant PMF en chef dans des sites de guerre et à proximité des lignes de front. Abu Mehdi Muhandis [un commandant militaire irakien en charge de la supervision des unités de mobilisation populaires] a dit à un journaliste vendredi qu'ils, à savoir lui et les milices, étaient prêts à envahir la ville de Falloujah, si cela devenait nécessaire ».
Cependant, Amir Toumaj a dit à MEE qu'il était peu probable que les milices envahissent la ville. Il a ajouté que les Irakiens et les Américains conserveraient cette stratégie pour faire face à l'offensive imminente à l'encontre de l'État islamique à Mossoul dans le but de prévenir tout antagonisme sectaire.
Néanmoins, a-t-il ajouté, l'influence des unités de mobilisation populaires soutenues par l'Iran sur la future stabilité de l'Irak - après les assauts de Mossoul - est un problème indépendant à même de soulever un grand nombre de questions.
« La politique en Irak semble être ‘l'État islamique d'abord, puis l'Irak ensuite’, dit-il. Après la résolution du conflit contre l'État islamique en Irak, l'influence des milices soutenues par la République islamique d'Iran est un signe de mauvaise augure quant à la stabilité du pays et la mise en place d'un système politique participatif sain ».
La question de Mossoul est déjà soumise à controverse.
Plus tôt en mars, le Conseil provincial de Ninive a pris la décision de s'opposer au déploiement des Unités de mobilisation populaires au sein de la province - dont Mossoul est la capitale - dans le but « d'empêcher l'État islamique de profiter de l'opportunité d'exploiter la participation des Unités de mobilisation populaires afin de recruter des personnes originaires de Ninive dans ses rangs », faisant ainsi référence au potentiel des milices à aliéner les sunnites.
Prenant en compte l'ampleur du défi face auquel se retrouvent les forces irakiennes en reprenant Mossoul, peu de personnes ne peuvent néanmoins imaginer que les unités de mobilisation populaires ne prendront pas part à la campagne et l'impact de leur présence inquiète les décisionnaires américains.
Dhafer Lawees, le porte-parole des brigades du Bataillon de Babylone et également ancien natif de Mossoul, a rejeté ces déclarations qu'il déclare alarmistes.
« Il y a une demande [que les unités de mobilisation populaires participent aux opérations de Mossoul] », a-t-il dit à MEE avec indignation.
« Les personnes qui ont abandonné Mossoul demandent que les unités de mobilisation populaires ne prennent pas part au combat visant à libérer la ville. Où étiez-vous lorsque nos armées ont perdu le contrôle de Mossoul ? Lorsqu'elles ont abandonné leurs terres ? Elles ont pris la direction du Kurdistan et elles ont abandonné leurs armes. Mossoul était occupée par cinq voitures. Et maintenant, elles demandent que les unités de mobilisation populaires ne participent pas ? Non. »
Traduit de l'anglais (original) par STiiL.
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