La stratégie d’Obama contre le groupe EI à nouveau sous le feu des critiques
NEW YORK – La stratégie du Président américain Barack Obama contre le groupe État islamique (EI) et son projet de former et d’armer des Irakiens et des Syriens dans cette lutte ont essuyé des critiques de plus en plus nombreuses alors que les inquiétudes à propos du conflit se font de plus en plus vives.
S’adressant au Congrès, le secrétaire à la Défense Ashton Carter a déclaré que les efforts américains visant à former et équiper les forces irakiennes et syriennes contre le groupe EI n’avaient réussi qu’à toucher quelques centaines de combattants à travers ces deux pays ravagés par la guerre.
La situation est plus sombre en Syrie, où seuls 60 combattants sont en formation et 7 000 de plus sont soumis à une enquête approfondie afin de s’assurer que les extrémistes ne peuvent pas infiltrer le système. « C’est beaucoup moins que ce que nous espérions à ce stade », a déclaré Carter à la commission des forces armées du Sénat américain.
Un grand nombre de recrues potentielles sont jugées inadmissibles et certains abandonnent la formation qui se déroule en Jordanie et en Turquie. De nombreux Syriens s’intéressent peu à la lutte d’Obama contre le groupe EI et cherchent plutôt à renverser le Président Bachar al-Assad.
En Irak, des instructeurs militaires américains déployés récemment sur la base aérienne d’al-Taqaddum ont formé 800 combattants musulmans sunnites, en forment actuellement 500 et 500 autres combattants sont en attente de formation, a expliqué Carter. Ils se sont fixés comme objectif de reprendre Ramadi, qui est tombée aux mains des forces de l’organisation EI en mai.
Dans l’ensemble, les recrues accueillies par les 3 550 soldats américains stationnés dans six bases en Irak permettront de former seulement 8 800 soldats irakiens et kurdes peshmergas et 2 000 personnes spécialisées dans la lutte contre les miliciens. 4 000 personnes supplémentaires sont actuellement en formation, a précisé Carter.
Plus de 5 100 frappes aériennes ont été menées contre le groupe EI depuis son attaque-éclair des régions occidentales et centrales de l’Irak depuis la Syrie en juin 2014. Cela inclut 1 950 frappes en Syrie, où des avions de la coalition ont récemment intensifié leurs attaques sur la capitale auto-déclarée du groupe, Raqqa.
Carter a noté toutefois que seuls 37 % des sorties donnent lieu au largage de bombes lors d’attaques des unités d’infanterie mobiles du groupe EI ou de cibles non planifiées.
Ashton Carter et Martin Dempsey, chef d’état-major des armées des États-Unis, ont répondu aux questions difficiles de John McCain, le président républicain de la commission, qui a estimé que soixante combattants formés par les américains ne constituaient « pas un nombre très impressionnant » pour la campagne syrienne.
McCain a appelé à déployer des équipes de contrôle de l’appui aérien (JTAC) sur le terrain en Irak et en Syrie pour guider les pilotes vers les cibles – bien que le Président Obama évite de déployer des forces américaines dans des rôles de combat contre l’organisation EI.
McCain, vétéran de la guerre du Vietnam, a accusé Obama d’être « aveuglé à un point inquiétant ».
« Rien ne justifie de croire que tout ce que nous faisons actuellement suffira à atteindre l’objectif affiché du Président de briser ou, en définitive, de détruire le groupe EIIL », a-t-il avancé, utilisant un autre acronyme désignant l’organisation EI.
Obama a rassemblé environ soixante pays pour vaincre le groupe EI par des frappes aériennes dirigées par l’armée américaine appuyant les forces terrestres irakiennes, kurdes et syriennes modérées. Les responsables américains ont annoncé que le groupe EI a perdu environ un quart de son territoire, mais qu’il continue à en gagner dans l’ouest de l’Irak et le centre de la Syrie.
Les responsables américains affirment qu’environ 10 000 combattants de l’État islamique ont été tués, ce qui signifie toutefois qu’il en reste au moins 25 000, sans compter les nouveaux combattants qui arrivent chaque jour de toute la région et les musulmans occidentaux révoltés qui s’enrôlent via un système sophistiqué de recrutement en ligne.
Depuis sa création, l’organisation EI s’est élargie avec l’allégeance de groupes venant d’aussi loin que le Caucase et le Nigeria. Elle est récemment passée à la vitesse supérieure avec des attaques dans la péninsule du Sinaï en Égypte et a également revendiqué l’attentat meurtrier d’une mosquée au Koweït et une attaque sanglante sur une plage tunisienne.
Lundi, Obama a prévenu que la lutte contre l’EI « sera longue » et a décrit une « lutte générationnelle » qui impliquait une introspection de l’islam et de meilleures perspectives politiques pour les Irakiens et les Syriens vivant dans les régions à majorité sunnite sous le contrôle du groupe.
Il a promis de « faire davantage pour former et équiper » les Syriens modérés et pour accélérer l’approvisionnement de l’Irak. Un porte-parole du Pentagone a déclaré à Middle East Eye qu’il était question « d’armes légères, de mitrailleuses, de mortiers, de radios, de véhicules » et de matériel divers.
Le porte-parole a rejeté les critiques concernant le retard dans la sélection des recrues syriennes. « Cela va être un processus long et réfléchi. Il ne s’agit pas de chiffres. Ce qui prime, c’est la qualité des combattants syriens que nous pouvons former », a-t-il expliqué à MEE.
Lawrence Korb, ancien fonctionnaire du Pentagone, a défendu le processus de vérification.
« Ils réagissent de façon excessive à ce qui s’est produit par le passé et examinent minutieusement les candidatures à travers un processus très lent », a déclaré Korb à MEE. « Ils veulent créer une force de combat efficace, mais savent également que mettre des armes dans les mains des mauvaises personnes finit par causer des problèmes. »
D’autres, comme Christopher Harmer, un ancien officier de la marine américaine, voient d’un mauvais œil la stratégie d’Obama en Syrie, où les combattants formés par les États-Unis ne constituent qu’une « infirme part » des quelque 100 000 soldats déployés sur les champs de bataille de cet État fragmenté.
« En Irak, rétablir la confiance d’une armée qui est divisée et brisée prendra beaucoup de temps. Les États-Unis n’ont avancé que d’un pas microscopique dans ce marathon », a confié Harmer, qui travaille pour l’Institute for the Study of War (un think tank américain), à MEE.
Pour Harmer, le problème n’est pas seulement la stratégie, mais aussi la façon dont l’a présentée Obama.
« Après le 11 septembre, les analystes se sont accordés sur le fait que nous devions envisager cela comme un scénario de type "guerre froide", où la victoire demande un certain temps, une lutte partie pour durer trente ou quarante ans. Or, Obama parle de briser et de détruire le groupe EI, et nous ne le faisons pas », a-t-il dit à MEE.
« Les États-Unis poursuivent vraiment une stratégie de faible endiguement, c’est un processus à long terme. Si nous entreprenons une guerre générationnelle, alors le commandant en chef devrait vraiment l’expliquer au public et à ceux qui combattent. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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