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La Turquie en chute libre après la nouvelle de la possible démission de Davutoğlu

On rapporte que l’AKP organisera un congrès du parti dans les 60 jours à venir et que Davutoğlu ne se portera pas candidat
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan, à gauche, et le Premier ministre Ahmet Davutoğlu lors d’une rencontre à Ankara mercredi (AFP)

La nouvelle que le Premier ministre turc Ahmet Davutoğlu, après sa rencontre avec le président Recep Tayyip Erdoğan, est sur le point d’annoncer la tenue d’un congrès du parti jeudi, signifiant dans les faits sa démission, a envoyé une onde de choc à travers le pays.

La valeur de la lire turque a chuté de 2,79 pour un dollar à 2,94 au cours de la journée. Davutoğlu devrait annoncer sa décision à 11 h 00 heure locale (9 h 00 GMT) jeudi.

Après quatorze ans au pouvoir, le parti de la Justice et du Développement (AKP) pourrait être en train de craquer au niveau des coutures. Mais bien plus menaçante que la possible implosion du parti est la direction que prend la Turquie.

Des critiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays dénoncent depuis des années l’autoritarisme grandissant et les tactiques d’homme fort employées par Erdoğan. Le fait qu’il puisse si facilement congédier le Premier ministre, un homme dont il a rapidement promu la carrière, fait frissonner de nombreuses personnes.

« C’est un coup d’État de palais », a déclaré Yusuf Kanli, un commentateur vétéran de la politique turque. « Le président voulait que le Premier ministre démissionne, un point c’est tout. Maintenant, nous allons avoir droit à une convention du parti en mai ou début juin », a-t-il dit à Middle East Eye.

Des rumeurs concernant l’existence de tensions au sein du parti abondent depuis près d’un an, mais même les pires ennemis de l’AKP n’avaient pas imaginé qu’une division puisse se produire à une telle échelle. Des rapports non confirmés suggèrent que l’AKP organisera un congrès du parti dans les 60 jours à venir et que Davutoğlu ne se portera pas candidat.

« Les événements d’aujourd’hui montrent que l’AKP cherchera à consolider les aspirations d’Erdoğan à devenir un super-président. Reste à voir s’il y parviendra. Il y a des calculs politiques très subtils », a commenté Kanli hier.

Le congrès du parti élit le président du parti, qui devient automatiquement le choix du parti comme Premier ministre.  

Le bureau de la présidence n’a pas commenté la rencontre entre Erdoğan et Davutoğlu hier soir, se contentant de déclarer qu’il s’agissait d’un événement normalement planifié.

Habituellement, le Premier ministre a une rencontre hebdomadaire avec le président le jeudi, mais la réunion d’hier, advenue un jour plus tôt, a fait spéculer sur une éventuelle hausse des tensions.

Abdülkadir Selvi, un journaliste turc connu pour ses liens forts avec le camp Davutoğlu, a également indiqué que le Premier ministre n’avait pas l’intention de se présenter lors des élections du prochain congrès.

S’exprimant sur CNN Turc hier, Selvi a déclaré : « Nous saurons avec certitude si le Premier ministre se présente ou non comme candidat à la présidence du parti seulement demain. Mais il est clair qu’a été prise une décision selon laquelle les différences d’opinion [entre le Premier ministre et le président] ne peuvent pas être résolues sans annoncer un congrès du parti. »

Récemment, certains propos d’Erdoğan ont semblé visé directement Davutoğlu.

Le président turc a déclaré que l’importance d’un accord accordant aux citoyens turcs la possibilité de voyager sans visa dans l’espace Schengen de l’EU avait été exagérée. Davutoğlu a présenté l’accord comme une victoire majeure de son parti et de son équipe.

Un autre signal indiquant que Davutoğlu aurait perdu les faveurs du président est apparu lorsqu’il s’est vu retirer son pouvoir de nominer les chefs provinciaux du parti le 29 avril. Cette autorité a été restituée au conseil décisionnaire central du parti.

Plus tôt dans la journée de mercredi, Erdoğan a fait une déclaration énigmatique – « les gens ne devraient pas oublier comment ils ont obtenu leur position » – laquelle a été largement interprétée comme une pique à l’intention de Davutoğlu, qui est rapidement monté en grade au sein de l’AKP, passant de conseiller à ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre.

Certains observateurs ont indiqué que Davutoğlu ne s’était pas révélé être le simple « béni-oui-oui » qu’Erdoğan s’attendait de lui, dans le contexte d’un projet de changements constitutionnels qui auraient accru les pouvoirs de la présidence Erdoğan.

Alors que la Turquie entre dans une autre période de troubles politiques, Kanli a affirmé qu’il pourrait y avoir une division du parti et l’émergence d’une faction de centre-droit qui pourrait défier l’AKP.

« Tout ceci a lieu à cause de l’absence d’une opposition crédible. La gauche s’est révélée inutile », a analysé Kanli. « Mais nous pourrions avoir une véritable alternative de centre-droit à l’AKP si Davutoğlu rejoignait lui aussi le camp des mécontents, qui comprend notamment l’ancien président Abdullah Gül et l’ancien vice-Premier ministre Bülent Arınç. »

Davutoğlu a également fait l’objet de critiques virulentes de la part de journalistes que de nombreuses personnes considèrent comme étant pro-Erdoğan. L’un d’entre eux, Nasuhi Güngör, est même allé jusqu’à dire en direct à la télévision que le temps était venu d’aller de l’avant sans Davutoğlu. 

Davutoğlu a acquis une réputation de politicien calme et ferme sur ses principes dont le parcours académique lui a permis de développer une vision plus large des affaires du pays, notamment en matière de politique étrangère.

Traduction de l’anglais (original).

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