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« Le coronavirus ne nous arrêtera pas » : les Irakiens jurent de poursuivre les manifestations malgré le virus

​​​​​​​Exhortés à rester chez eux par leurs dirigeants, les manifestants irakiens disent craindre davantage le gouvernement et ses milices que la propagation du virus mortel
Des manifestants portent des masques, des masques à gaz et de fausses combinaisons biorisques lors d’une manifestation à Bagdad (MEE/Othman Maged)
Par Azhar Al-Rubaie à BAGDAD, Irak

Portant des masques, des masques à gaz et de fausses combinaisons biorisques, les Irakiens ont juré de poursuivre leurs manifestations qui durent déjà depuis plusieurs mois contre le gouvernement central, malgré six cas de coronavirus signalés à travers le pays.

Sur le site animé de la contestation place Tahrir à Bagdad, des centaines de personnes se sont rassemblées mardi contre l’élite dirigeante irakienne, malgré les appels du ministère de la Santé à ce que les manifestants se tiennent éloignés des lieux publics et restent chez eux.

Portant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Le peuple veut renverser le régime », plusieurs manifestants portaient des masques chirurgicaux, mais beaucoup avaient le visage découvert, ce qui fait craindre que les rassemblements et les sit-in ne servent d’incubateurs au virus.

« Le gouvernement et ses milices ont utilisé toutes sortes d’armes pour nous tuer. Ils sont plus dangereux qu’un virus »

- Ali Laith, manifestant

Jusqu’à présent, au moins six cas de coronavirus, officiellement connu sous le nom de COVID-19, ont été signalés en Irak : quatre dans la ville de Kirkouk (nord), un dans la ville sainte de Nadjaf et un dans la capitale, Bagdad.

Le ministère de la Santé a envoyé des textos aux Irakiens, les exhortant à porter des masques de protection et à jeter « comme il se doit » les mouchoirs usagés.

Ces instructions interviennent après que l’Iran voisin a signalé la mort de 26 personnes, la ville de Qom étant l’épicentre du virus.

Des cas ont également été signalés à Bahreïn, au Koweït, aux Émirats arabes unis et à Oman.

Le coronavirus ne freinera pas les protestations

Al-Qasem Ahmed, un activiste de Bagdad âgé de 24 ans, a déclaré à Middle East Eye que les manifestants devraient éviter de défiler dans les provinces touchées par le virus, ou du moins « porter des masques et des gants lorsqu’ils manifestent ».

Tentant d’endiguer la propagation d’une épidémie, l’Irak a interdit les voyages à destination et en provenance de la République islamique d’Iran la semaine dernière.

Malgré l’inquiétude croissante, les manifestants ont continué à battre le pavé à Bassorah mardi, avec des dizaines de personnes rassemblées lors d’un sit-in.

Des femmes portant des masques chirurgicaux brandissent le drapeau irakien lors d’un rassemblement à Bagdad (MEE/Othman Maged)
Des femmes portant des masques chirurgicaux brandissent le drapeau irakien lors d’un rassemblement à Bagdad (MEE/Othman Maged)

« Je sais que le coronavirus est dangereux, mais je ne pouvais pas rentrer chez moi. Rentrer chez nous, cela signifie perdre la révolution pour laquelle nous avons passé des jours et des nuits à nous battre », a déclaré Ali Laith, un manifestant de 17 ans portant un masque chirurgical.

« Le gouvernement et ses milices ont utilisé toutes sortes d’armes pour nous tuer. Des milliers de personnes ont été blessées et des centaines tuées. Elles [les forces gouvernementales et les milices soutenues par l’Iran] sont plus dangereuses qu’un virus. »

Les manifestations secouent l’Irak depuis le 1er octobre, lorsque des manifestants ont inondé les rues et les places en réaction à la corruption généralisée, au mauvais état des infrastructures et au sentiment d’ingérence iranienne dans les affaires intérieures de l’Irak.

Au moins 600 personnes ont été tuées et plus de 25 000 blessées, au cours d’une « campagne de répression meurtrière », selon les termes d’ONG de défense des droits de l’homme.

« Pénurie grave » de médicaments

« Je suis ici depuis le début des manifestations en octobre et je ne passerai jamais une journée à la maison », a ajouté Ali.

« Le gouvernement se réjouissait à l’idée que le coronavirus puisse mettre un frein à notre mouvement, mais il s’est trompé sur toute la ligne. »

Des étudiantes en médecine portant des masques chirurgicaux se tiennent à peu de distance des gaz lacrymogènes tirés sur les manifestants (MEE/Ali Dab Dab)
Des étudiantes en médecine portant des masques chirurgicaux se tiennent à peu de distance des gaz lacrymogènes tirés sur les manifestants (MEE/Ali Dab Dab)

Le leader chiite Moqtada al-Sadr est revenu sur son précédent appel demandant à ses nombreux partisans de se joindre aux rassemblements antigouvernementaux mardi.

Bien qu’initialement favorable au mouvement de protestation antigouvernemental, le religieux populiste Sadr a fait volte-face après la nomination de Mohammed Taoufiq Allaoui au poste de Premier ministre début février.

En réaction, les partisans de Sadr ont attaqué un certain nombre de camps contestataires à travers le sud, y compris à Nadjaf, où au moins sept personnes ont été tuées.

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« Pour votre santé et votre sécurité, je vous interdis [de manifester] », a-t-il twitté.

Un médecin de la ville de Bassorah a affirmé à MEE que le ministère irakien de la Santé n’avait pas les moyens de freiner le coronavirus, les hôpitaux publics faisant face à une « pénurie grave » de médicaments.

« Le personnel médical n’est pas formé sur la façon de traiter l’épidémie », a déclaré le médecin, ajoutant que manquaient les dispositifs médicaux nécessaires pour aider à détecter le virus.

« En médecine, il vaut mieux prévenir que guérir, alors le gouvernement doit s’armer [s’il le peut] pour faire face à une menace épidémique. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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