Le Retour de la momie : l’Égypte déclare la guerre aux contrebandiers
LE CAIRE – En juillet, l’Égypte a réussi à récupérer, dans une salle d’enchères à Paris, le bas-relief du roi Nectanébo II (30e dynastie), volé dans la nécropole de Saqqarah dans les années 1990.
En septembre, une statuette funéraire pharaonique – ou ouchebti – datant de la 19e dynastie a été retrouvée au Mexique. La statuette, sortie clandestinement d’Égypte après une fouille illégale, a été découverte par un citoyen mexicain dans la maison qu’il venait d’acheter.
Ce ne sont là que deux exemples de la bataille livrée actuellement par le département de rapatriement des antiquités égyptiennes et ses alliés à l’étranger pour récupérer une énorme quantité de trésors pillés depuis de nombreuses années.
Depuis le chaos sécuritaire qui a éclaté après la révolution de 2011, 3 milliards de dollars d’antiquités ont été sortis clandestinement du pays selon les estimations, ce qui a rendu le travail de préservation et de protection du patrimoine culturel et archéologique de l’Égypte extrêmement difficile.
« Regardez, voici un masque de momie de la période gréco-romaine. Une galerie d’art française me l’a envoyé aujourd’hui », a expliqué Shabab Abdel Gawad, responsable du département de rapatriement des antiquités égyptiennes fondé en 2002, en montrant une photo sur son téléphone mobile. Il a fait allusion au fait que ce n’est qu’une des nombreuses reliques du passé qui ont été volées, sorties clandestinement d’Égypte et vendues dans le monde entier.
Le vol d’antiquités est une pratique aussi ancienne que les pharaons : des premières bandes de pillards saccageant des tombes aux armées d’envahisseurs ramenant des obélisques entiers au pays ou aux délégations internationales envoyant des objets à l’étranger par le biais de dons ou du commerce, jusqu’aux archéologues étrangers recevant une partie des objets trouvés lors de leurs fouilles suite à des arrangements de « partage », et aux voyageurs achetant des antiquités auprès de revendeurs sans que ces transactions aient été enregistrées.
Trois ans après le pillage du Musée national de Mallaoui, dans la ville de Minya, en Haute-Égypte, lors des violences qui ont suivi le renversement du président Mohamed Morsi, le musée a rouvert ses portes cette année, le 22 septembre.
Minya a été le théâtre de certains des pires actes de vol et de vandalisme contre les sites du patrimoine égyptien. En août 2013, plus de 1 000 objets anciens ont été volés et 48 ont été détruits. Avec le temps, les autorités égyptiennes seraient parvenues à récupérer 950 des 1 089 objets inscrits dans l’inventaire du musée. En février dernier, deux gardes de sécurité du ministère des Antiquités à Deir al-Barsha, dans le gouvernorat de Minya, ont été abattus par des voleurs armés qui tentaient de piller ce site archéologique.
Ce n’est qu’en 1983 que l’Égypte a promulgué la loi nº 117 relative à la protection des antiquités, qui stipule que tous les monuments et objets découverts ou trouvés dans le pays sont la propriété incontestée de l’État égyptien, et interdit ainsi la possession et le commerce d’antiquités.
En vertu de cette loi, tout individu arrêté pour contrebande d’antiquités encourt une peine de prison et de travaux forcés ainsi qu’une amende allant de 5 000 à 50 000 livres égyptiennes (entre 299 et 2990 euros). Toute personne surprise en train d’extraire ou de déloger une antiquité de son emplacement peut également être condamnée à une peine d’une ou deux années d’emprisonnement et/ou à une amende de 100 à 500 livres égyptiennes (entre 6 et 30 euros).
Malgré cela, d’innombrables objets continuent d’être sortis du pays ou vendus illégalement depuis l’Égypte et se retrouvent dans des musées et des collections privées à travers le monde.
Une sécurité insuffisante
Le trafic de biens culturels volés est devenu une préoccupation majeure depuis la révolution du 25 janvier 2011, dans un contexte d’absence de sécurité et de manque de contrôle des autorités.
Les images de vandales perçant le plafond du Musée égyptien du Caire en janvier 2011 pour piller et endommager des artefacts tels que des momies et des statues sont encore bien ancrées dans l’esprit des Égyptiens. Et trois ans plus tard, le Musée d’art islamique du Caire a été touché par un attentat à la bombe qui a détruit des centaines d’objets.
Après le soulèvement, la sécurité insuffisante et le manque de surveillance des sites historiques ont laissé un vide qui aurait été comblé par des individus sans emploi qui se sont ainsi tournés vers un moyen de survie illégal. C’est toujours le cas aujourd’hui, alors que l’Égypte a du mal à relancer son économie fatiguée.
« Derrière le marché noir des antiquités égyptiennes se trouvent principalement des gangs organisés, spécialisés dans le trafic de reliques anciennes, et des habitants pauvres réalisant des fouilles illégales sur des sites archéologiques », a affirmé Jean-Charles Lamonica, attaché de sécurité de l’ambassade de France au Caire.
Bien que la sécurité ait été largement rétablie dans les musées et les sites archéologiques à travers l’Égypte au cours des trois dernières années, il reste difficile de contrôler le flux non maîtrisé d’objets sortant du pays.
Lamonica a expliqué que des réseaux criminels de fouilleurs et de trafiquants réussissent à faire sortir des artefacts volés du pays en émettant des actes de vente qui couvrent les traces de leurs origines. Sans provenance établie, les revendeurs, les collectionneurs et les conservateurs de musées ne peuvent pas savoir si un objet est réglementaire ou non. Les objets dont la documentation semble être en règle peuvent être mis en vente par des salles des ventes.
Les antiquités pillées commencent leur voyage entachées d’illégalité et finissent propres, devenant ainsi une source tentante de profit pour les groupes de voleurs organisés.
« Nous parlons d’objets d’une valeur financière frauduleuse extrêmement élevée allant de 300 à un million d’euros », a estimé l’attaché de sécurité français.
Une mission de récupération
Bien qu’il soit impossible d’attribuer une valeur exacte aux objets volés à l’Égypte, environ 3 milliards de dollars d’antiquités ont été sortis du pays en contrebande après la révolution de 2011, selon l’Antiquities Coalition basée aux États-Unis.
Le département de rapatriement du ministère des Antiquités égyptien cherche à retrouver et ramener le patrimoine culturel volé en coordination avec la police et d’autres ministères, ainsi qu’en coopération avec des partenaires internationaux.
Abdel Gawad a décrit les méthodes de travail adoptées par le département. Avec l’aide du ministère des Affaires étrangères, les canaux diplomatiques sont tout d’abord utilisés avec la salle des ventes où l’objet disparu est localisé. Si cela échoue, des négociations sont tentées avec la salle des ventes. Si cela échoue aussi, des mesures légales sont prises pour mettre fin à la vente de l’objet exposé et le retirer de la salle des ventes ou de sites web tels qu’eBay. Après avoir prouvé que l’objet est leur propriété et vérifié que le certificat d’exportation n’est pas légitime, le ministère des Antiquités prend des mesures pour faire revenir l’objet en Égypte.
Le ministère met actuellement à jour sa base de données d’objets manquants afin de surveiller la circulation des objets pillés et tracer leur localisation pour les faire rapatrier. Cette procédure s’effectue avec l’aide de la police égyptienne et d’Interpol.
Par le biais du ministère de la Coopération internationale, des protocoles bilatéraux signés avec d’autres pays permettent également de récupérer les antiquités et de les ramener.
Dans le cadre de l’accord entre l’Égypte et la France visant à mettre un terme au trafic illicite d’artefacts, l’attaché de sécurité de l’ambassade de France au Caire travaille en liaison avec l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). Lamonica identifie et partage des informations cruciales entre les parties égyptienne et française pour faciliter les procédures judiciaires et permettre aux autorités compétentes d’enquêter sur le vol et/ou la réception de biens culturels volés.
Un des outils essentiels utilisés est la base de données TREIMA de l’OCBC (« Thésaurus de recherche électronique et d’imagerie en matière artistique »). Cette base stocke des photographies d’objets d’art portés disparus ou volés en France et à l’étranger.
« Notre mission consiste à faire en sorte que les antiquités volées soient retrouvées et rendues au pays auquel elles appartiennent naturellement. C’est un droit pour les Égyptiens de récupérer ce qui fait partie de leur patrimoine culturel », a souligné Lamonica.
Avec l’appui des autorités internationales et des partenaires concernés, l’Égypte a réussi à rapatrier plus de 7 000 objets de l’étranger depuis la création du département de rapatriement et plus de 1 065 depuis 2011, selon le superviseur général du département.
Il existe de nombreux exemples de pièces anciennes récupérées dans plusieurs pays tels que les États-Unis, la France, l’Allemagne, la Jordanie, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Australie, le Mexique et Israël.
Parmi les récentes missions de récupération, les autorités égyptiennes et américaines se sont entendues sur le retour de quatre objets pharaoniques volés dont deux cercueils, un linceul de momie en lin et une main de momie.
Cependant, des obstacles majeurs entravent la récupération d’un grand nombre d’objets volés.
Un inspecteur des antiquités a fait part à MEE de sa frustration face au rôle limité accordé aux inspecteurs pour éradiquer la criminalité sur le terrain. Si un inspecteur rencontre quelqu’un qui réalise des fouilles illégales pour trouver des artefacts pharaoniques, par exemple, il ne peut pas lui donner une contravention ou un procès-verbal. Il est seulement censé appeler la police. Mais une fois que celle-ci est impliquée, il n’y a pas d’arrestation et la loi est tellement « pleine de failles », selon l’inspecteur, que même un avocat moyen peut sortir un client d’affaire.
Sally Soliman, activiste engagée dans la défense de la culture et du patrimoine, a indiqué à Amr Khalifa pour MEE que des scientifiques de l’université d’Alabama ont découvert à l’aide de données satellitaires que le pillage avait plus que doublé entre 2009 et 2010, puis doublé une nouvelle fois après la révolution. « Des dizaines de monuments ont été pillés », a précisé Soliman.
Certains des objets volés sont allés en Europe et aux États-Unis, mais une grande partie de l’art islamique a pris la direction de la région voisine du Golfe. Une part importante se retrouve dans des collections privées en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis. Mais sans faits incontestables à ce sujet, l’Égypte ne peut espérer récupérer les trésors circulant sous surveillance radar jusqu’à leurs nouveaux propriétaires privés.
Sabah Abdel Razek, directeur général du Musée égyptien, est toujours déterminé à éveiller les consciences au sujet du commerce illicite. « Nous organisons des cérémonies annuelles pour exposer temporairement des objets confisqués en Égypte ou rapatriés de l’étranger. Nous voulons montrer ces antiquités, expliquer comment elles ont été saisies puis ramenées, afin d’encourager le public à partager l’importance de la préservation de notre patrimoine », a-t-il affirmé.
Le Musée égyptien accueille également depuis fin octobre une exposition temporaire qui présente une partie des objets qui ont été confisqués aux frontières de l’Égypte et ainsi sauvés de la contrebande transnationale.
« Nous exposons plus de 200 objets tels que des statues, des pièces de monnaie, des cercueils et d’autres objets remontant aux périodes pharaonique, islamique, copte et gréco-romaine », a fièrement déclaré Razek.
La bataille continue.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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