Le saut de la foi : le plongeur miraculeux de Gaza
GAZA – Khalil Eljadaili était assis chez lui lorsque sa vie a changé à jamais.
Il a perdu ses deux jambes en janvier 2009 quand sa maison, située dans le camp de Bureij, à Gaza, a été bombardée par les forces israéliennes. Il a d’abord entendu le bombardement. Puis les fenêtres se sont brisées.
L’adolescent s’est retrouvé allongé au sol, en proie à une douleur intense. Touché par des éclats d’obus, il a crié à l’aide avant de perdre connaissance.
À son réveil à l’hôpital, Eljadaili a découvert qu’il avait perdu ses jambes. Il était tellement accablé par le chagrin qu’il a dû être mis sous sédatifs.
Eljadaili avait peur de l’image qu’il aurait renvoyée à la société plus large, de la manière dont sa vie aurait été affectée et se demandait avec inquiétude s’il allait pouvoir s’habituer à une vie sans jambes.
Victime d’une grave dépression, il avait perdu tout espoir et avait l’impression de perdre la raison.
C’était en janvier 2009. Aujourd’hui, Khalil Eljadaili est plongeur.
En arriver là n’a cependant pas été facile. Les premiers jours ont apporté leur lot de problèmes, tant psychologiques et émotionnels que physiques.
Le premier défi a été le fauteuil roulant. Eljadaili n’arrivait pas à s’y habituer et devait demander à sa famille de l’aider parce que ses bras n’étaient pas encore assez forts pour qu’il parvienne à se déplacer.
« Il est difficile d’aller de l’avant lorsque vos démons vous démoralisent », a-t-il déclaré.
« Il y avait aussi des cauchemars fréquents que je préférerais garder pour moi », a-t-il ajouté. Cependant, il a commencé à s’adapter et à compter entièrement sur ses bras, afin de ne plus avoir besoin de l’aide des autres, que ce soit dans l’eau ou hors de l’eau.
« Être handicapé ne signifie pas être désespéré dans la vie, affirme-t-il aujourd’hui, âgé de 24 ans. Il faut vaincre sa dépression pour surmonter son handicap. Même sans jambes, ma détermination me fera avancer. »
Un nouveau monde
En 2010, il s’est rendu dans un hôpital de Dubaï pour y recevoir un traitement, avec l’aide du ministère gazaoui de la Santé et du Croissant-Rouge. C’est là qu’il a rencontré un plongeur qui lui a suggéré d’essayer cette activité.
« Je suis allé au village des plongeurs pour me renseigner sur la possibilité de m’entraîner et j’ai expliqué mon état de santé, s’est souvenu Eljadaili. Un certain nombre d’entraîneurs internationaux ont travaillé avec moi et m’ont appris les compétences de base et à communiquer sous l’eau. »
Peu à peu, il a progressé, bien qu’il ait perdu ses jambes à un jeune âge (il était encore au lycée).
Lorsqu’Eljadaili a commencé, il ne savait pas nager mais il a été stimulé par les encouragements de ses amis. Il se rappelle de la sensation indescriptible qu’il a éprouvée lorsqu’il a enfilé la combinaison de plongée et a mis son masque à oxygène pour la première fois ; ceci l’a rendu plus fort pour maîtriser ce sport et faire face à son handicap.
« J’aimais tellement plonger que je ne voulais pas arrêter de pratiquer ce sport, a-t-il expliqué. C’est très agréable et j’ai vu de nombreux secrets dans l’eau. »
La richesse de la vie sous-marine qu’Eljadaili a découverte en plongeant au large de Dubaï a été un aspect qu’il n’avait pas prévu. La beauté de la « création d’Allah », comme il l’appelle, l’a stupéfait.
« La véritable beauté se trouve au fond de notre âme et de notre cœur, comme les fonds marins, a-t-il soutenu. Chaque petit détail dans la mer comporte sa propre part de magie. »
Les calamars nageant autour des roches et les petits poissons s’engouffrant dans les profondeurs pour rechercher de la nourriture étaient ce qui lui permettait de se sentir vivant. Il a expliqué que les petites créatures aquatiques étaient ses préférées, parce qu’elles lui rappelaient le cycle de la vie, la manière dont l’univers fonctionne.
Ses progrès en plongée ont été rapides, passant en peu de temps de six mètres à dix mètres de profondeur. Il est aujourd’hui accrédité en tant qu’entraîneur professionnel par le Dubai Sports Club et aide d’autres personnes ayant des besoins spéciaux.
« J’ai développé une grande passion pour ce sport. Après être retourné à Gaza, j’ai lu des dizaines de livres et je me suis beaucoup entraîné à la piscine avec l’aide de mon ami. J’ai acquis de solides compétences qui m’ont permis de rivaliser avec les autres plongeurs. »
Le blocus israélien freine toute progression
Il est revenu à Gaza en janvier 2010 après avoir passé trois mois aux Émirats arabes unis pour y recevoir un traitement.
Mais il était encore confronté à un problème – le manque d’équipements tels que des combinaisons de plongée, des palmes et des bouteilles d’oxygène en raison du blocus israélien. Les importateurs d’équipements sportifs sont souvent touchés par l’interdiction imposée par Israël, qui craint que ceux-ci ne puissent être utilisés pour des attaques maritimes menées par le Hamas.
« Lorsque j’ai vu Khalil Eljadaili pratiquer la plongée sans jambes, cela m’a donné la motivation pour m’entraîner »
– Yousef Kamal
Khalil Eljadaili avait toujours voulu étudier le management : il a donc poursuivi sur sa lancée et étudié la gestion à l’Université islamique de Gaza. Malgré l’obtention d’un diplôme, comme beaucoup de jeunes hommes à Gaza, il n’a pas pu trouver un emploi et survit avec le soutien du ministère palestinien du Développement social.
Actuellement, il est capable de plonger et de nager sans l’aide de ses collègues ou des plongeurs moins expérimentés qu’il forme désormais.
Eljadaili espère que davantage d’attention sera accordée à la plongée à Gaza, notamment à travers la création d’un club pour enseigner cette pratique. Un jour, il espère devenir entraîneur pour personnes handicapées.
« Ce qui rend la plongée si spéciale, c’est qu’il n’y a pas de différence entre les personnes handicapées et les personnes valides, a-t-il déclaré. Je peux envoyer un message à toutes les personnes handicapées pour leur dire de ne pas abandonner et de vivre leur vie comme elles l’entendent. Mais aussi de ne pas laisser les autres leur dire comment vivre leur vie. »
Yousef Kamal, âgé de 27 ans et originaire de la ville de Gaza, a perdu ses jambes pendant la guerre menée par Israël en 2014, lorsque sa maison a été touchée par une bombe alors qu’il était assis sur la terrasse.
« Lorsque j’ai vu Khalil Eljadaili pratiquer la plongée sans jambes, cela m’a donné la motivation pour m’entraîner, mais malheureusement, je ne peux pas apprendre ce sport à Gaza puisqu’on ne peut pas y faire entrer les équipements requis. »
« Ce que Khalil Eljadaili a fait est extraordinaire. Il n’est pas facile de maîtriser la plongée sans jambes »
– Siraj Abu Hamam, entraîneur de natation
Siraj Abu Hamam, entraîneur de natation au club sportif privé d’Al-Sadaqa, a déclaré que de nombreux jeunes gazaouis souhaitaient apprendre à plonger mais ne le pouvaient pas en raison de l’interdiction des équipements.
Selon lui, l’exploit qu’a accompli Eljadaili est remarquable et ses collègues l’ont traité comme un nageur valide.
« Ce que Khalil a fait est extraordinaire. Il n’est pas facile de maîtriser la plongée sans jambes, parce que les jambes ont une grande utilité. »
« Mais ce jeune homme a su maîtriser sans jambes ce sport qui fait désormais partie de sa vie. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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