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L’École de Cirque de Palestine

Les cours, qui se déroulent à Jénine, à Hébron et au camp de réfugiés d’Al-Fara’a, accueillent près de 200 enfants chaque année
Hamada Toqan a commencé à jongler en 2007, avec l’École de Cirque de Palestine. Sur cette photo, il entraîne de jeunes étudiants (MEE/ Silvia Boarini)

RAMALLAH, Cisjordanie - Par une soirée légèrement venteuse à Bir Zeit, village palestinien au nord de Ramallah, une foule d’enfants surexcités et incapables de contenir leur enthousiasme se dirige vers l’intérieur du chapiteau. Lorsqu’ils grimpent à leurs places, sur les bancs de bois surélevés, face à la piste, les lumières s’éteignent et le rêve commence.

Ce chapiteau accueille officiellement l’École de Cirque de Palestine depuis 2011. Cette dernière a été fondée par Shadi Zmorrod et Jessika Devlieghere en 2006. À cette époque, les cours de jonglerie et d’acrobatie accueillaient 10 ou 20 étudiants. Aujourd’hui, les cours sont assurés à Jénine, à Hébron et au camp de réfugiés d’Al-Fara’a, dans la vallée du Jourdain. Ils attirent près de 200 enfants chaque année.

« Le cirque représentait un rêve pour moi », explique Shadi Zmorrod, le directeur général de l’école, à Middle East Eye.

Shadi Zmorrod a étudié les arts du spectacle à l’Université hébraïque de Jérusalem et a travaillé pendant un temps au poste de directeur artistique d’une école de cirque judéo-arabe en Israël. Mais cette expérience, explique-t-il, l’a laissé sceptique sur les questions d’« égalité » et de « coexistence ».

« Les partisans de gauche israéliens déclarent vouloir cohabiter, mais ils veulent que les autres changent, et non eux-mêmes », a-t-il expliqué.

C’est alors qu’il a décidé de se focaliser sur la Palestine et de concentrer son énergie sur l’amélioration de la situation de sa propre communauté.

« Ici, il y a des enfants palestiniens qui jouent dans la rue », explique Zmorrod. « Et, souvent, ils quittent l’école pour aller vendre des chewing-gums parce que leurs parents ou leurs frères ne parviennent pas à obtenir un permis de travail en Israël. »

De jeunes filles s’entraînant à jongler. Les filles plus âgées se font encore assez rares dans cette école. (MEE / Silvia Boarini)

En fondant cette école, Shadi Zmorrod et Jessika Devlieghere espéraient aussi créer un refuge pour ces enfants.

Pourtant, tout au long de ses neuf années d’existence, l’école n’a pas été réellement épargnée par le conflit. Elle a vu la violence de l’occupation s’insinuer dans la vie privée de ses étudiants.

En 2014, Mohammed Azzeh, jeune acrobate âgé de 15, a été frappé d’une balle dans la poitrine par un soldat israélien pendant une manifestation qui commémorait la Nakba. Deux ans auparavant, Muhammad as-Salaymeh, vétéran de l’école âgé de 17 ans, a été abattu par un garde-frontière israélien à un point de passage à Hébron, le jour de son anniversaire.

Pour la sœur de Mohammed, Hazara Azzeh, elle-même artiste du cirque, ce qui est choquant, ce sont les conditions qui ont amené la violence à se banaliser. « C’est un tel gâchis. C’est devenu une partie de notre vie quotidienne », a-t-elle déclaré à MEE. « S’il y a un martyr aujourd’hui, nous l’enterrons et passons tout simplement à autre chose. »

Le parcours réalisé fréquemment par le cirque à travers l’Europe permet aux enfants de se rappeler, en produisant leur spectacle (qui traite des difficultés de la vie quotidienne sous l’occupation devant un public étranger), que le fait de se faire abattre par une armée d’occupation n’est pas un incident normal.

Hamada Toqan et Hazara Azzeh répètent un numéro d’acrobatie. (MEE / Silvia Boarini)

Outre le conflit actuel, les artistes doivent aussi faire face à des barrières culturelles. Par exemple, Hazara est la seule femme âgée de 18 ans étudiant à l’école. Elle explique qu’en raison de normes sociales conservatrices, les filles ont tendance à arrêter le cirque quand elles atteignent l’âge de 15 ou 16 ans.

Elle se souvient encore de l’époque où son numéro d’acrobatie n’avait pas pu être produit, dans un des villages où le cirque s’était arrêté. « J’avais l’impression que tout mon travail était parti en fumée », a-t-elle expliqué. « J’aurais entendu des commentaires du genre "Mais c’est une fille et elle est trop âgée : qu’est-ce qu’elle fait ?" »

Sa persévérance et le soutien de sa famille, de ses amis et des autres artistes du cirque l’ont aidée à traverser cette épreuve et, ces deux dernières années, elle est retournée produire son numéro dans un des villages qui n’avaient pas accepté sa présence dans le passé.

« Cela fait partie du message que j’essaie de transmettre », explique-t-elle, « pour moi, une fille peut faire tout cela. Je ne fais rien de mal ».

Le fait que le changement s’installe très lentement n’effraie pas les artistes du cirque : ils se sont engagés pour du long terme.

« Nous, les Palestiniens, avons besoin de changer et les Israéliens ont également besoin de changer », a expliqué Shadi Zmorrod. « Nous parlons d’un énorme changement, que nous ne verrons pas se produire de notre vivant. » Mais le cirque est là pour soutenir ce processus.

Traduction de l’anglais (original) par STiil Traduction.

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