L’Égypte fait disparaître jusqu’à quatre personnes par jour pour tenter d’« éliminer la dissidence »
Des enfants d’à peine 14 ans ont disparu sans laisser de trace en Égypte alors que le gouvernement tente d’« éliminer la dissidence », selon un nouveau rapport d’Amnesty International.
Les forces de l’État enlèvent trois à quatre personnes par jour en moyenne, ont rapporté les ONG locales à Amnesty dans ce rapport intitulé « Egypt: Officially you do not exist » (Égypte : officiellement, vous n’existez pas).
Le rapport pointe du doigt Magdy Abdel Ghaffar, qui est devenu ministre de l’Intérieur en mars 2015 après avoir travaillé au service de renseignements de la sûreté de l’État, agence aujourd’hui dissoute qui était connue pour son recours systématique à la torture sous le président déchu Hosni Moubarak.
Depuis que Ghaffar a pris ses fonctions à la tête du ministère de l’Intérieur, indique le rapport, il y a eu un « pic visible » dans le nombre de disparitions forcées.
Parmi les dix-sept cas documentés dans le rapport, celui de Mazen Mohammed Abdallah (14 ans) disparu de force de sa maison au Caire en septembre 2015.
Il a rapporté aux chercheurs avoir été violé à plusieurs reprises avec des bâtons en bois par des interrogateurs désireux de lui arracher de faux aveux.
Le ministère de l’Intérieur égyptien avait déjà rejeté le témoignage d’Abdallah en décembre 2015 lorsqu’Amnesty avait documenté son cas, affirmant que l’adolescent de 14 ans avait « participé, avec d’autres, à des opérations des Frères musulmans, dont l’attaque d’installations étatiques et l’incendie de voitures de police ».
Abdallah est l’un des cinq enfants qui ont disparu jusqu’à 50 jours et dont les témoignages sont inclus dans le rapport.
Dans un autre cas mis en évidence par Amnesty, Aser Mohamed (14 ans) a été arrêté lors d’un raid mené tôt le matin à son domicile du Caire le 6 juin. Les policiers ont dit qu’ils voulaient emmener Aser pour interrogatoire et ont promis qu’il reviendrait quelques heures plus tard, mais ce ne fut pas le cas. Sa famille n’a pas eu d’informations le concernant pendant 34 jours, au cours desquels ils ont « frénétiquement essayer de le localiser », selon le rapport.
Quand il a finalement été autorisé à voir sa famille, il leur a dit qu’il avait été torturé par des chocs électriques et contraint à faire de faux aveux à propos d’une attaque perpétrée en janvier dans un hôtel de Gizeh. Il était toujours détenu en garde à vue au 1er juillet, précise le rapport d’Amnesty.
« Ce rapport révèle les tactiques choquantes et impitoyables que les autorités égyptiennes sont prêtes à employer dans leurs efforts visant à effrayer et faire taire les manifestants et les dissidents », a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
« La disparition forcée est devenue un instrument clé de la politique de l’État égyptien. Quiconque ose parler est en danger, la lutte contre le terrorisme étant utilisée comme une excuse pour enlever, interroger et torturer des gens qui défient les autorités. »
Selon le rapport, la campagne de disparitions forcées de l’agence de sécurité – qui cible des étudiants, des militants politiques et des manifestants – est soutenue par la « collusion et la duperie » du ministère public égyptien.
Amnesty accuse le procureur d’accepter des preuves « douteuses » mises en avant par l’Agence nationale de sécurité – l’organisme qui serait responsable de la campagne de disparitions forcées – et de ne pas enquêter sur les allégations de torture.
« Dans les rares occasions où les procureurs ont fait passer un examen médical indépendant aux détenus, leurs avocats n’ont pas été autorisés à consulter les résultats », note le rapport.
L’Égypte a fustigé les précédents rapports négatifs d’Amnesty comme de « fausses allégations » et des « mensonges inexacts », tandis que les ONG locales affirment faire face à des restrictions impossibles concernant leur travail.
Appel à la fin des ventes d’armes
La répression de la dissidence depuis le coup d’État militaire soutenu par le peuple et dirigé par le chef de l’armée de l’époque et aujourd’hui président, Abdel Fattah al-Sissi, en 2013 a vu l’emprisonnement de dizaines de milliers d’opposants à travers le spectre politique, beaucoup étant accusés en vertu d’une loi controversée qui interdit toute manifestation sans autorisation préalable de la police.
Le rapport accuse l’Égypte d’utiliser sa lutte contre une insurrection militante dans sa rétive péninsule du Sinaï – où des militants se réclamant du groupe État islamique (EI) ont lancé une vague sanglante d’assassinats – comme prétexte pour réprimer les militants pacifiques hostiles au gouvernement.
L’Égypte est considérée comme un partenaire régional clé dans la lutte contre l’EI et les groupes aux vues similaires par les alliés occidentaux, qui ont continué à approvisionner ses importantes forces armées depuis la prise de contrôle militaire, malgré les inquiétudes sur la situation des droits de l’homme.
Au début du mois, le Parlement italien a voté pour annuler la vente de pièces de rechange d’avions de chasse à l’Égypte suite à la disparition et l’assassinat d’un étudiant italien, Giulio Regeni, dont le corps portant des marques de tortures terribles a été découvert sur le bas-côté d’une route en février.
Le projet de loi, connu sous le nom d’amendement Regeni, avait rencontré l’opposition farouche des sénateurs italiens qui ont souligné le rôle clé de l’Égypte dans les efforts régionaux de lutte contre l’extrémisme.
« La décision de refuser les pièces de rechange pour les avions de chasse utilisés contre l’EI est une absurdité », a déclaré le sénateur Maurizio Gasparri de l’Alliance nationale, un parti de droite.
« [Le Premier ministre Matteo] Renzi fait des déclarations contre le terrorisme… et puis boycotte les pays qui sont sur la ligne de front contre ceux qui sèment la terreur. »
Le rapport d’Amnesty, qui note que de nombreux Égyptiens connus pour être morts sous la torture ont subi des blessures semblables à celles trouvées sur le corps de Regeni, appelle les alliés de l’Égypte à cesser tous les transferts d’armes vers le pays.
« Tous les États, en particulier les États membres de l’UE et les États-Unis, doivent user de leur influence pour faire pression sur l’Égypte afin de mettre fin à ces violations épouvantables, qui sont commises sous le faux prétexte de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme », a déclaré Philip Luther.
« Au lieu de continuer à fournir aveuglément des équipements de sécurité et de police en Égypte, ils devraient cesser tous les transferts d’armes et de matériel qui ont été utilisés pour commettre de graves violations des droits de l’homme en Égypte jusqu’à ce que des garanties efficaces contre les abus soient établies, que des enquêtes approfondies et indépendantes soient menées et que les responsables soient traduits en justice ».
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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