L’EI pour commencer, ensuite l’Iran : le leader iranien-kurde a son but ultime en ligne de mire
ERBIL, Irak – Depuis que l’EI a fui la ville l’année dernière, le front de la guerre contre ce groupe s’est déplacé le long d’une petite chaîne de collines à proximité de Kirkouk. Le drapeau kurde flotte sur une base militaire bâtie sur l’une d’entre elles. Or, cette base n’abrite pas des Irakiens peshmergas kurdes (combattants). Ces collines sont sous le contrôle d’un groupe de gauche kurde iranien – le Parti de la liberté du Kurdistan, également connu sous le nom de PAK.
Leur commandant en chef, Hussein Yazdanpana, est un personnage haut en couleur : son physique et son épaisse moustache lui valent souvent d’être comparé au dictateur russe, Staline. Son uniforme affiche le drapeau de la région kurde irakienne, ainsi que l’insigne orange et blanc de son propre groupe. Il arbore une radio de combat, et sa poitrine est bardée de bandes de munitions.
L’armée de Yazdanpana peut se prévaloir de centaines de combattants. Elle a réussi à retourner la situation par rapport à l’EI au nord de l’Irak, et a, dans la foulée, acquis une précieuse expérience militaire. Ils se vantent fièrement d’avoir reçu un entraînement de la part des membres de la coalition menée par les États-Unis en Irak.
Dès que l’EI sera vaincu, Yazdanpana a prévu de se servir tant de cette expérience que de cet entraînement contre l’ennemi juré du PAK : Téhéran. Il considère que cela relève du même combat contre l’extrémisme islamique, et il en fait aussi une affaire hautement personnelle.
« Daech [EI] s’est acharné à tuer des yézidis [une communauté religieuse kurde], d’une façon qui rappelle ce que l’Iran a fait subir aux Kurdes après la révolution iranienne [de 1979] », s’est-t-il exclamé. « J'étais jeune quand c’est arrivé. Les soldats du régime massacraient des villages entiers au poignard et à la machette.
« En Iran, nous remplirons notre devoir. C’est Téhéran qui nous a toujours cherchés ; les Iraniens ont tué les nôtres, les ont exécutés, mais ça n’a jamais fait les gros titres d’un seul journal dans le monde. Maintenant, nous n’en sommes plus là : nous avons une armée puissante et très active. Nous promettons au reste du monde que vous pouvez compter sur nous : nous nous mettrons en travers du chemin de ces barbares qui sévissent sur la planète ».
De nombreux groupes kurdes iraniens ont reculé derrière la frontière après la révolution et, jusqu'en 2014, l’influence du PAK ne dépassait pas une poignée de villages perdus dans les montagnes bordant la frontière. Ses combattants étaient mal formés et leurs équipements obsolètes. Tout cela a changé avec la montée en puissance de l’EI.
La résurgence du groupe de Yazdanpana met également en évidence la complexité typique des alliances qui se nouent dans la lutte contre l’EI.
Les États-Unis, l’Iran, la Turquie, entre autres puissances régionales, se battent contre un ennemi commun, mais chacun d’eux cherche avant tout à atteindre ses propres objectifs et essaie d’y parvenir au moyen de tactiques désordonnées, ou en lui faisant la guerre par procuration.
Les États-Unis et l’Iran ont réussi à apaiser des tensions de longue date, après avoir forgé un accord sur le programme nucléaire de Téhéran. Ce qui fait craindre que le soutien de Washington – et la formation militaire dont ont bénéficié les forces de Yazdanpana – laissent place à une politique de retrait qui risque de durer longtemps.
« Nous avons profité de toutes les occasions d’obtenir un entraînement militaire, que ce soit de la part des Américains, des Français ou des Britanniques – mais nous sommes toujours preneurs si l’on nous en offre encore plus », avoue-t-il.
Depuis le début de la contre-attaque contre l’EI en août 2014, le PAK a combattu aux côtés des forces kurdes du gouvernement irakien et de l’armée irakienne.
Combattre en première ligne a changé radicalement les capacités du groupe. Plusieurs mois de combats ont aiguisé leurs compétences, leur ont donné la précieuse expérience d’une participation directe aux combats, de la guerre urbaine et du maniement de systèmes d’armes complexes.
Pourtant, leur but ultime n’a pas changé. Zohra Ramishti, une combattante peshmerga, l’exprime avec une grande simplicité : « Quand nous en aurons fini ici, nous continuerons le combat jusqu’à l’avènement du Rojhelat » – le nom donné par les Kurdes à la future patrie kurde qu’ils appellent de leurs vœux en Iran.
Comme l’a indiqué un reportage de MEE, le PAK a depuis le printemps affronté au moins six fois les Gardiens de la révolution islamique, ainsi que d’autres forces en Iran ; et si les hostilités reprennent véritablement, cela risque de relancer avec l’Iran une guerre qui couve depuis très longtemps.
« Pas moyen, parfois, de les contrôler »
Falah Mustafa Bakir, ministre de facto des Affaires étrangères du Gouvernement régional du Kurdistan (KRG) en Irak, a salué les succès des forces kurdes iraniennes sur son territoire.
« Les peshmergas kurdes iraniens nous ont été très fidèles, d’une grande loyauté », a-t-il indiqué à Middle East Eye. « Et c’est un formidable atout dans notre lutte ».
Bakir a déclaré que son gouvernement s’était appuyé sur le PAK pour éviter d’avoir à se lancer dans des opérations transfrontalières, mais il a également admis que le groupe échappait parfois à son contrôle.
« Chaque fois qu’on a souhaité discuter avec eux pour mettre un terme à leurs activités transfrontalières », avoue Bakir, « ils nous ont répondu qu’ils n’avaient d’ordres à recevoir de personne ».
Comme l’a observé un analyste, les Kurdes irakiens se targuent du soutien des milices kurdes iraniennes afin d’arriver en position de force lorsqu’il s’agit de régler leurs différends avec le gouvernement central irakien à Bagdad, étroitement lié à Téhéran.
« Le Gouvernement régional du Kurdistan est en conflit avec Bagdad, et il a besoin d’une rhétorique contre la domination iranienne dans la région. Le PAK contribue justement à lui en fournir une », a déclaré Kamal Chomani, de la Fondation politique kurde.
« Le commandant du PAK, Yazdanpana, est en contact étroit avec le parti au pouvoir, le [Parti démocratique du Kurdistan] KDP. Avant Daech, personne ne le connaissait, mais maintenant il est partout dans les médias.
« Il s’avère constituer une stratégie médiatique parfaite pour le KDP : il dénonce en même temps Daech, l’Irak et l’Iran ».
Dans sa base, devant ses peshmergas, Yazdanpana réaffirme les positions du KDP sur l’avenir des territoires revendiqués par les Kurdes et les Arabes irakiens. À propos de l’avenir des régions reconquises de Kirkouk et Mossoul, il a confié qu’il craignait que le gouvernement irakien envisage la question « d’un point de vue sectaire ».
« Nous, peshmergas, n’allons pas libérer ces régions pour au final les perdre », insiste-t-il. « Les minorités veulent être protégées par les peshmergas, et refusent l’autorité des milices chiites ou de l’armée irakienne ».
Pendant ce temps, en Iran, les médias ont condamné les autorités irakiennes kurdes, de même que les États-Unis et certains conseillers européens, pour avoir fourni un entraînement militaire au PAK.
L’agence d’informations Associated Press a cité le capitaine Giulio Macari – officier de l’armée italienne et porte-parole de la coalition menée par les États-Unis à Erbil – qui trouve normal que le PAK ait effectivement reçu un entraînement, « puisque les conseillers occidentaux ont offert leur aide à toutes les milices kurdes sous contrôle du ministère [peshmerga kurde irakien] ».
Macari a déclaré que la coalition « n’a pas choisi les groupes qui ont reçu cet entraînement ».
Quid de la situation post-EI, une fois que le groupe aura été expulsé du nord de l’Irak ?
Adnan Mufti, ancien président du parlement irakien kurde pour l’Union patriote du Kurdistan, parti d’opposition, a commenté les incursions récentes du PAK en Iran : « Pendant ces dernières décennies, ils ont respecté nos exigences au-delà de nos espérances, mais parfois il n’y a pas moyen de les contrôler ».
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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