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L’émergence de Daech au sud de la Syrie

L’Armée du djihad, apparemment affiliée à l’Etat islamique, a émergé comme un adversaire majeur de l’Armée syrienne libre au sud du pays
Avril 2013, des combattants étrangers affiliés au Front al-Nosra occupent les périphéries sud de la ville syrienne d’Alep (AFP)

Des affrontements violents ont éclaté mardi matin entre les combattants de l’opposition syrienne, dont l’Armée syrienne libre (ASL) et le Front al-Nosra, et une cellule de l’Etat islamique opérant sous le nom d’Armée du djihad à Quneitra, au sud de la Syrie.

Les violences se sont produites un jour après que l'Armée du djihad ait tendu une embuscade et tué six combattants de l’ASL, ce lundi. Au moins vingt autres ont été capturés et sont actuellement entre les mains du groupe. Ces hommes se dirigeaient vers la ligne de front où ils allaient se battre contre les forces du régime syrien à Quneitra.

Des sources proches de l’ASL ont indiqué que l’Armée du djihad avait installé plusieurs barrières et barrages militaires à proximité des villes de Qahtaniya, Hamidiya et Adnaniya dans la campagne de Quneitra. Peu de temps après, une faction de l’ASL de la ville de Nawa, dans la province de Deraa, a été prise au piège.

Six hommes ont été tués et quatre blessés ont réussi à prendre la fuite. Des combattants de l’Armée du djihad se sont lancés à leur poursuite mais en vain. Dans la mêlée, tous les véhicules de l’ASL ont été capturés, la plupart chargés d’armes et de munitions.

D’après les déclarations d’Abou Yahya, un militant du bureau de presse des Brigades Furqan, partie du Front Sud de l’ASL : « L’Armée du djihad a prêté allégeance à Daech [l’Etat Islamique ou EI] et a pris le contrôle de la ville de Qahtaniya en y établissant plusieurs barrages militaires ».

Et d’ajouter : « L’Armée du djihad a tué un groupe de membres de l’ASL, blessé quatre autres et capturé vingt combattants du Front Sud de l’ASL et d’autres factions. Ils ont encerclé l'hôpital près de la ville de Qahtaniya, au sud-ouest de Quneitra ».

Des militants de Deraa et de Quneitra ont informé Middle East Eye que les membres de l’Armée du djihad ont arrêté un véhicule chargé de munitions appartenant aux combattants de l’ASL de Nawa, et qui se dirigeait vers le village de Hamidiya. Parmi les six hommes tués, se trouvait le capitaine Samer Suwadani, un commandant de brigade du peloton Ahrar Nawa, et Abou Saher, un commandant du premier corps.

Première présence de Daech dans le sud

Cet incident révèle pour la première fois la présence de membres de Daech dans le sud de la Syrie. Même si le groupe avait mené des guerres-éclairs à travers les parties est et nord du pays, le sud était, jusqu’à présent resté indemne.

Mardi matin, quelques heures après l’attaque, le palais de justice de Deraa qui est l’une des plus hautes autorités de la région, a publié une déclaration dans laquelle il appelle toutes les factions militantes signataires de la charte de la région sud à éradiquer l’Armée du djihad à Quneitra et à « la battre avec une main de fer ». La déclaration demande aux signataires de livrer les chefs du groupe à la cour de justice pour qu'ils soient poursuivis, en ajoutant que les membres de l’Armée du djihad ont rattaché des « qualificatifs de takfiris » à l’encontre de l’ASL, les désignant comme des traitres, des apostats et des ennemis de Dieu.

En plus de l'assassinat et de l'enlèvement des combattants de l’ASL, la déclaration du palais de justice accuse le groupe de  l’Armée du djihad de préparer une opération militaire à grande échelle pour prendre le contrôle des sites de l’Armée arabe syrienne à Quneitra. Selon le communiqué, l’émergence de l’Armée du djihad en tant que cellule dormante de Daech vise à empêcher délibérément l’action militaire de l’opposition contre le régime syrien.

Au milieu de la matinée du mardi, les factions du Front Sud se sont préparées pour combattre le groupe de l’Armée du djihad, les plus importantes d'entre elles publiant des déclarations à leur intention. Des militants du Front al-Nosra, du groupe islamique Ahrar al-Sham, de l’armée de Yarmouk de l’ASL, de la Première Armée, de Ahrar Nawa et bien d’autres appartenant au Front Sud se sont rassemblés à Quneitra et les combats ont commencé à 11h, heure locale (8h GMT).

Le mouvement islamique Ahrar al-Sham a publié sur son site web officiel un communiqué faisant état de la première progression du groupe dans la région d’Adnaniya puis dans plusieurs endroits de la région de Qahtaniyah où l’Armée du djihad s’était retranchée. Tard dans l’après-midi, le communiqué parlait de dizaines de militants de l’Armée du djihad tués ou blessés.

Le communiqué ajouta que cette action militaire était une réponse à l’appel du palais de justice de Deraa qui avait demandé une réponse militaire concertée face à l'Armée du djihad.

A partir de 23h, heure locale, les combats se poursuivaient entre d'un côté le Front Sud de l’ASL, le Front al-Nosra et des mouvements islamiques locaux, et de l'autre le groupe de l’Armée du djihad. D’après des militants, l’émir de l’Armée du djihad, Abou Musab al-Fanousi, avait été blessé dans les combats.

L'Armée du djihad tire son origine du Golan

Le village de Qahtaniyah jouxte la frontière avec le plateau du Golan sous occupation israélienne. Il est le principal bastion de l’Armée du djihad : tous les combattants du mouvement sont des locaux, c’est-à-dire des syriens originaires de Qahtaniya et de Hamidiya. Beaucoup sont supposés avoir rejoint le groupe en janvier 2015. Certains d’entre eux ont auparavant été actifs au sein de groupes islamistes locaux à l’instar de Saraya djihad, de Jound al-Islam, de Moujahiden al-Sham et d’un groupe de jeunes militants.

L’Armée du djihad n’a pas officiellement annoncé son allégeance à l’organisation de l’Etat islamique, et le canal d’information de ce dernier n’a pas non plus émis un commentaire officiel quant à l’affiliation du groupe. Toutefois, il a été largement diffusé que le groupe soutenait Daech, brandissant ses drapeaux et en partageant son idéologie sur les réseaux sociaux. Il s’est attaqué à des groupes de l’opposition au sud, étiquetés comme modérés et qualifiés de « takfiri », « kuffars » (apostats) et « sahawat » (en référence aux sunnites d’Irak qui faisaient partie de la Sahwa, ou éveil, au cours des années précédentes - essentiellement des « traîtres »).

Certains responsables militaires de l’opposition de Deraa ont suggéré que les actions conduites cette semaine par l’Armée du djihad étaient calculées pour cibler les médias, même si le groupe a échoué à s'imposer de façon significative dans la région sud largement dominée par les rebelles. L’Armée du djihad, disent ces responsables, manquait d’une stratégie militaire assez forte pour s’emparer du Front Sud.

Un commandant de l’ASL ayant requis l’anonymat, a confié à MEE qu’il pensait que l’émergence de l’Armée du djihad comme un possible affilié de Daech ainsi que ses actions de cette semaine, pourraient être liées aux avancées militaires de l’opposition armée dans la province d’Idleb au cours des semaines précédentes, avec le repli forcé de l’armée du régime de Jisr al-Choughour et des camps voisins.

Avec le gouvernement visiblement affaibli et battant en retraite, le groupe combattrait désormais sur un seul champ de bataille au lieu de deux - contre une opposition plus forte et plus élargie.

Traduction de l’anglais (original).

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