Les bombes ayant mis fin à leur scolarité, les enfants d’Idleb travaillent pour nourrir leurs familles
Mustafa, 12 ans, vit dans une tente de fortune près de la frontière avec la Turquie et rêve d’aller à l’école. Mais pour l’instant, ce rêve est mis de côté pour l’instant.
Il y a sept mois, il a fait ses valises et a quitté sa ville natale, dans la province rurale d’Alep, avec ses parents et ses trois frères et sœurs, tandis que les bombardements syriens et russes gagnaient du terrain sur eux. Rester était devenu intenable.
Cette famille de six personnes vit aujourd’hui dans un petit camp de déplacés près de la ville de Sarmada, dans la province d’Idleb, au nord.
Ils sont désormais relativement à l’abri des bombes qui les ont forcés à partir, mais ils n’ont pas grand-chose pour rester au chaud et se nourrir. Et pour Mustafa et ses frères et sœurs, il n’y a pas d’écoles dans les environs pour apprendre à lire et à écrire.
Un hiver brutal a laissé des tentes inondées et remplies de boue pendant que des enfants mourraient de froid et d’asphyxie à cause du chauffage dans les tentes
Comme eux, plus d’un million de personnes ont cherché refuge dans les camps de fortune qui parsèment le nord rural d’Idleb, en raison d’une campagne massive menée par les forces progouvernementales pour reprendre le nord-ouest tenu par les rebelles syriens.
Près d’un million d’entre eux sont arrivés dans cette partie rurale de la frontière depuis décembre, et plus de la moitié d’entre eux sont des enfants, selon l’ONU et les agences humanitaires.
Un cessez-le-feu négocié par la Turquie et la Russie au début du mois a entraîné une diminution générale des bombardements qui ont poussé les habitants à fuir, mais la situation des personnes actuellement déplacées dans les camps du nord-ouest de la Syrie reste désastreuse.
Pour la plupart, il n’y a pas grand-chose pour maintenir une vie normale en déplacement. La réponse humanitaire est sous pression en raison de l’ampleur de la crise, et un hiver brutal a laissé des tentes inondées et remplies de boue pendant que des enfants mourraient de froid et d’asphyxie à cause du chauffage dans les tentes.
Maintenant que les infrastructures médicales de la Syrie sont en ruines, le pays « risque très fortement » de voir se propager la pandémie de coronavirus, met en garde l’Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment parmi les personnes déplacées.
Avec peu d’écoles officielles dans les camps de déplacés, de nombreux enfants aident dorénavant à ramasser les morceaux de ferraille en travaillant à l’extérieur de leurs maisons.
Selon sa famille, il n’y a pas d’écoles dans le campement informel de Mustafa, à l’extérieur de Sarmada. Même s’il y en avait, il n’est pas en mesure d’assister aux cours. En tant qu’aîné de la fratrie, il n’a guère d’autre choix que de travailler pour que sa famille puisse acheter de la nourriture, de l’eau et d’autres articles de première nécessité.
Par une froide journée de fin février, Middle East Eye a trouvé Mustafa travaillant dans un atelier de réparation de voitures délabré, où il réparait une roue desserrée. Ce travail lui rapporte 2 000 lires syriennes (environ 3,5 euros) par semaine, indique-t-il.
L’éducation gravement affectée pour 280 000 enfants
À seulement 500 mètres de là, la famille de Mustafa vit à l’étroit dans une tente. À l’intérieur, son père est assis, des broches métalliques dans la jambe en raison de blessures causées par une frappe aérienne sur leur ville natale. Ses blessures l’empêchent de travailler et de gagner de l’argent pour que sa famille survive dans le camp de fortune.
En l’absence d’école à leur disposition, les jeunes frères et sœurs de Mustafa passent simplement leurs journées à jouer, mais ils doivent le faire à l’extérieur, car la tente est trop petite pour faire plus que manger et dormir.
En raison de l’ampleur de la crise des déplacés d’Idleb, il est pratiquement impossible de dire exactement combien d’enfants comme Mustafa travaillent pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Selon la dernière estimation de l’organisme d’aide britannique Save the Children, quelque 280 000 enfants ont vu leur éducation « gravement affectée » par le dernier épisode de violence.
Fin février, dix écoles ont été bombardées à Idleb, tuant apparemment neuf enfants. Des dizaines d’autres ont été blessées. Dans le carnage, au moins 217 écoles dans le nord-ouest ont été « endommagées ou abandonnées » depuis décembre en raison de l’attentat, a indiqué l’organisation.
« Dans ces conditions, il est très difficile d’établir des chiffres précis [des enfants coupés de l’école] », explique Ahmad Arafat, directeur local de l’organisation d’aide syrienne Hurras Network, qui travaille en coordination avec Save the Children.
« Il y a des campagnes d’éducation locales – même si elles sont simples – dans les camps ; donc une petite partie des enfants y assistent », relève-t-il., mais comme de plus en plus d’enfants ont trouvé refuge dans les camps frontaliers ces derniers mois, « ils sont plus nombreux à travailler [hors de la maison] ».
Longtemps destination des Syriens déplacés, la province d’Idleb abrite aujourd’hui des millions de personnes. Parmi eux, des habitants de certaines régions d’Alep, de Homs, de Damas et d’autres zones autrefois tenues par l’opposition, actuellement sous le contrôle du gouvernement syrien.
Seule Idleb et certaines parties de la région rurale voisine d’Alep restent hors du contrôle du gouvernement. La région nord-ouest est attaquée depuis que les forces progouvernementales, appuyées par la puissance aérienne russe, y ont intensifié une campagne aérienne et terrestre depuis la fin avril 2019.
Plus de 1 700 personnes ont été tuées dans l’offensive, et des dizaines d’installations médicales ont été bombardées et sont maintenant hors d’usage, provoquant des déplacements massifs vers la frontière nord avec la Turquie où les bombardements étaient moins fréquents.
Des centaines de milliers d’enfants vivent aujourd’hui parmi les tentes et les oliveraies le long de la frontière, avec peu d’occasions d’aller à l’école.
À Atma, une ville située à environ quatorze kilomètres au nord de Sarmada, juste le long de la frontière avec la Turquie, Muhammad, 14 ans, espère pouvoir un jour assister aux cours. Il rêve de devenir architecte, une carrière dont il rêve « depuis son enfance ».
Un peu moins de deux euros par jours
Mais Muhammad est l’aîné de trois frères, dont deux étudient dans des écoles informelles dans leur camp. La famille a fui sa ville natale dans le nord de la province de Hama il y a quatre ans, après la mort du père dans une frappe aérienne.
L’adolescent est le seul soutien de famille et ne va pas à l’école. À la place, il sort dans les rues chaque matin pour vendre des pâtisseries traditionnelles, des simmoun, aux passants. Il gagne un peu moins de deux euros par jour, assez pour acheter des produits à l’épicerie pour le dîner chaque soir.
Dans l’atelier de réparation près de Sarmada, Mustafa dit aussi que son plus grand espoir est de commencer enfin l’école. Il n’est pas sûr du moment où cela pourra se faire en raison des combats en cours dans certaines parties du nord-ouest de la Syrie.
Mustafa est toujours incapable de lire ou d’écrire, confie-t-il à MEE. Avec la guerre maintenant dans sa dixième année, la plupart de son enfance a été marquée par des conflits et, maintenant, le déplacement.
« C’est vraiment contrariant », partage-t-il, « lorsque je vois quelque chose d’écrit et que je n’arrive pas à le lire. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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