Les chiites de Kerbala, où souvenir et tradition ne font qu’un
KERBALA, Irak – Le sanctuaire de l’imam Hussein est connu depuis longtemps comme étant le lieu le plus sacré de l’islam chiite, après La Mecque, Médine et le complexe d’al-Aqsa, que les chiites partagent avec les musulmans sunnites.
C’est sur ce site que les forces d’al-Hussein ibn Ali, petit-fils du prophète Mohammed, sont tombées au combat contre le calife omeyyade Yazid en 680.
L’histoire du sacrifice d’Hussein et de son refus de capituler face à l’oppression malgré des obstacles presque insurmontables forment depuis longtemps l’ossature de l’identité religieuse des chiites d’Irak. Pour des millions de chiites, le sanctuaire construit autour du mausolée d’Hussein symbolise depuis longtemps les obstacles qu’ils ont dû surmonter pour maintenir leur engagement envers leur foi.
Dernièrement, de nouveaux objets ont été ajoutés autour du sanctuaire.
« Urne de dons d’argent pour les Forces de mobilisation populaire », indique l’inscription sur l’urne en verre. « En soutien pour les combattants, les martyrs et les blessés [...] dans la lutte contre l’État islamique. »
Malgré la tentation chez certains de dresser des comparaisons entre la bataille de Kerbala et la lutte de l’armée irakienne et des Unités de mobilisation populaire (UMP) contre le groupe État islamique, selon Hussein Mohammed, membre du personnel du sanctuaire de l’imam Hussein, les parallèles ne tiennent pas la route.
« C’était une bataille pour la religion. Son objectif était la réforme, a-t-il expliqué à Middle East Eye. Aujourd’hui, cette bataille contre l’État islamique concerne des intérêts. »
Néanmoins, les UMP bénéficient d’un soutien massif à Kerbala, une ville qui a connu une longue et tragique histoire de rébellions et de sacrifices et où la cause des UMP est sacrée.
« Ceux qui ne peuvent pas aller sur le front et se battre réellement pour leur pays apportent un soutien financier aux soldats, et de cette manière, ils manifestent simplement leur amour et leur soutien pour la nation et montrent qu’ils soutiennent les combattants contre l’État islamique », a-t-il expliqué en se référant aux urnes de collecte.
« Le djihad des UMP utilise les armes au combat, alors que notre djihad consiste à les soutenir. »
Bien que le gouvernement irakien se soit efforcé de construire une alliance non sectaire dans sa lutte contre l’État islamique en puisant dans le mélange diversifié du pays composé de chiites, sunnites, chrétiens, Kurdes et yézidis, l’image des UMP chiites est pour beaucoup celle de défenseurs de leur foi contre les groupes « takfiris » qui chercheraient à les détruire.
En 1991, après l’invasion désastreuse du Koweït par Saddam Hussein, les chiites d’Irak se sont soulevés pour tenter de renverser sa dictature de plusieurs décennies, dans l’espoir que les États-Unis tiennent leurs promesses de soutien pour le soulèvement.
L’aide n’étant pas venue, Saddam a infligé un lourd tribut aux rebelles. De vastes étendues de Kerbala, point central de l’insurrection, ont été réduites en ruines, tandis que des milliers de personnes ont été massacrées.
Un groupe de frères originaires de la ville a filmé les atrocités qui s’y sont déroulées :
Une des grilles décoratives originales du sanctuaire, criblée d’impacts de balles suite à l’assaut de Saddam, est désormais exposée au sanctuaire, au musée de l’imam Hussein, rappelant de manière brutale l’épreuve qui a dû être surmontée.
L’échec du soulèvement de Kerbala a entraîné une période de répression contre les chiites irakiens et de restrictions contre leur liberté de culte et leurs commémorations religieuses de l’Achoura et de l’Arbaïn.
L’accès au sanctuaire a été limité à la fin du règne de Saddam. Après son renversement par une coalition dirigée par les États-Unis, les contrôles ont été levés et le sanctuaire a été ouvert 24 heures sur 24. Le pèlerinage de 2004 au sanctuaire a rassemblé plus d’un million de visiteurs venus du monde entier.
Sous la direction du chef religieux chiite, l’ayatollah Ali al-Sistani, un comité a été formé pour restaurer et rénover les sanctuaires sacrés de Kerbala afin qu’ils retrouvent leur gloire d’antan.
Bien que l’Irak ait traversé des moments difficiles depuis la chute de Saddam et l’occupation chaotique par la coalition dirigée par les États-Unis, Kerbala fait aujourd’hui partie des villes les plus sûres du pays et des millions de pèlerins affluent vers la ville pour voir les lieux saints.
Abdul Sitta, un marchand de tapis, vit à Kerbala depuis plus de cinquante ans et a connu les fluctuations de la ville avec de nombreux chefs d’État et des degrés variés de liberté sociale et politique.
« Elle a connu une évolution, a-t-il expliqué. Aujourd’hui, il y a plus de liberté, il y a la liberté d’expression. À l’époque de Saddam Hussein, les gens avaient peur, même quand ils étaient chez eux, ils avaient peur. »
« Les pèlerins de l’imam Hussein venaient discrètement et en secret pour visiter le sanctuaire. Maintenant, ils peuvent visiter librement et déambuler dans la ville en toute sécurité. »
Le nombre important de pèlerins qui se rendent à Kerbala chaque année a également ouvert un marché lucratif pour les commerces locaux et fait grimper les prix de l’immobilier dans un pays où près d’un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté et où les perspectives d’emploi sont sombres.
Un vendeur de noix et de bonbons installé à l’extérieur du sanctuaire a expliqué qu’il avait déménagé à Kerbala il y a huit ans pour profiter de l’essor du marché pour les touristes et les pèlerins.
« J’ai une licence en systèmes d’information, mais il n’y a pas d’opportunités d’emploi ; je devais donc trouver un endroit avec le plus grand nombre de pèlerins ou de visiteurs afin d’ouvrir mon propre magasin », a-t-il indiqué à MEE.
Il a affirmé soutenir les récentes protestations de partisans de l’imam chiite Moqtada al-Sadr, lors desquelles des manifestants, au mépris flagrant de l’appareil de sécurité de l’État, sont entrés dans les bureaux du Premier ministre Haïder al-Abadi.
« Nous soutenons toutes les protestations, quelles que soient les personnes qui protestent, qu’elles soient sadristes, sunnites ou encore chiites : nous soutenons toutes les protestations pacifiques. Nous espérons voir du changement. »
Comme beaucoup des habitants de Kerbala, il a affirmé qu’il s’inspirait de l’imam Hussein et de son frère Abbas, qui est mort avec lui à Kerbala.
« Tout le monde a un lien étroit avec l’imam Hussein et Abbas », a-t-il expliqué.
« Ils ont fait beaucoup pour nous. Leur mouvement, leur révolution avait pour objectif la réforme, et c’est la raison pour laquelle nous sommes ici, c’est la raison pour laquelle nous sommes à Kerbala. C’est pour eux. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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