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Selon les combattants sunnites, ce sont les milices et non l’armée qui devraient libérer l’Irak

Les combattants qui ont libéré Baïji de l’État islamique en se battant pour une brigade dominée par les chiites affirment que les milices sont la force de combat la plus efficace

Baïji, IRAK – Alors que les troupes irakiennes et alliés ont presque complètement encerclé ce dimanche la ville de Falloujah contrôlée par l’État islamique, des combattants tribaux sunnites de haut rang qui ont aidé à libérer la ville septentrionale de Baïji de l’État islamique en combattant au sein d’une chiite milice dominée par les chiites ont indiqué à Middle East Eye qu’ils estimaient que le déploiement de milices dans Falloujah et Mossoul représentait une meilleure option que l’armée ou les frappes aériennes.

Depuis que l’offensive visant à reprendre Falloujah a été lancée le 22 mai, les Unités de mobilisation populaire (UMP), souvent désignées sous le terme de « milices chiites » bien qu’elles comportent également des combattants non-chiites, se retrouvent en marge des combats qui se poursuivent.

Le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a choisi de marginaliser les UMP sous la pression américaine, suite à des rapports ayant précédemment fait état d’atrocités commises par ces groupes contre les sunnites et de préoccupations quant au fait qu’ils pourraient exercer des représailles contre les habitants sunnites, dont la ville est contrôlée par l’État islamique depuis janvier 2014.

Toutefois, des combattants sunnites au sein de la brigade Ali al-Akbar essentiellement chiite rassemblés dans cette ville septentrionale contrôlée depuis cinq mois par l’État islamique ont affirmé à MEE qu’ils estimaient que les UMP étaient un élément clé en vue du succès de la lutte contre le groupe militant.

Abu Ezaaz, un chef tribal originaire d’al-Alam, dans le nord de l’Irak, a déclaré que les milices représentaient l’option la plus efficace pour entrer sur les territoires de l’État islamique.

Ezaaz est aussi l’intermédiaire du gouvernement pour la brigade Ali al-Akbar, sous la supervision du sanctuaire de l’imam Hussein à Kerbala, qui a mis en place la brigade à l’origine.

En mars 2015, il a dirigé un contingent d’environ 150 combattants pour reprendre sa ville natale, au nord de Tikrit, à l’État islamique.

« Les Hachd al-Chaabi sont des combattants irréprochables et très humains », a déclaré Abu Ezaaz en utilisant un autre nom pour désigner les UMP.

« Par exemple, si un sniper vous combat, les Hachd al-Chaabi essaieront d’utiliser des snipers contre eux, mais si l’armée intervient, la ville sera détruite. Si des balles viennent d’un endroit, ils bombarderont cet endroit et le frapperont par la voie aérienne. »

Appuyés par un soutien aérien dirigé par les États-Unis, les services d’élite irakiens de lutte contre le terrorisme ont tenté au cours de la semaine dernière d’entrer dans Falloujah, mais ont été ralentis par la résistance de l’État islamique et par des préoccupations suscitées par la présence d’environ 50 000 civils pris au piège dans la ville.

Les UMP ont contribué à chasser les forces de l’État islamique de la région environnante mais n’ont pas pu prendre part à l’effort pour entrer dans le centre-ville.

« Les forces des Hachd al-Chaabi ont déjà fait leur part du travail en libérant des centaines de kilomètres carrés et en encerclant les militants qui se trouvent à l’intérieur de la ville », a déclaré à l’AFP le général de brigade Yahya Rasool, porte-parole du commandement des opérations conjointes en charge des opérations des UMP et de l’armée.

« Seul le commandant en chef des forces armées a le pouvoir de décider qui doit être impliqué dans les opérations visant à ouvrir des brèches. »

Abu Ezaaz, chef tribal sunnite, à proximité d’un mémorial consacré aux atrocités commises par l’État islamique, près de Tikrit (MEE/Alex MacDonald)

Ezaaz a indiqué que d’après son expérience au sujet de la brigade Ali al-Akbar et de sa reconquête de Baïji, les sunnites locaux ont répondu avec gratitude, dissipant les craintes d’ordre sectaire.

Il a recommandé de répéter cette stratégie pour Falloujah et le bastion de l’État islamique, Mossoul, situé à moins de 200 km de Baïji.

« Je suggère de laisser les Hachd al-Chaabi libérer ces lieux, de sécuriser la ville à 80 %, puis de construire l’unité entre les Irakiens, comme ici », a-t-il affirmé.

D’autres chefs des UMP et tribaux à Baïji ont également affirmé à MEE qu’ils estimaient que la stratégie poursuivie actuellement par le gouvernement irakien était inefficace.

Abdul Zahir Awan, commandant de la branche de Baïji de la brigade Ali al-Akbar, a indiqué que les UMP étaient beaucoup mieux placées pour reprendre Falloujah.

« Si les Hachd al-Chaabi se voient accorder le droit d’accéder à la ville, nous pourrons la libérer en deux ou trois jours, pas plus », a-t-il expliqué à MEE.

« Mais à cause du programme de nos voisins et des grandes puissances, qui ont beaucoup d’agents à l’intérieur de Falloujah, ils ne veulent pas que les Hachd al-Chaabi reprennent les lieux. »

Un des chefs de la tribu al-Jaisat à Baïji, alliée à la brigade Ali al-Akbar, a également condamné la décision de refuser l’accès des UMP aux combats et a déclaré que les combattants tribaux et les UMP devraient être autorisés à aider à libérer Mossoul.

« Nous avons des proches dans la ville, nous avons des familles dans la ville et nous voyons que la ville est occupée par l’État islamique », a affirmé Hamid Amrisi.

« Nous avons une bonne puissance, de bonnes armes, de braves combattants ; nous voulons aller libérer la ville. Pourquoi la communauté internationale nous empêche-t-elle d’y aller, comme à Falloujah ? »

« L’armée n’est pas assez forte pour mener un tel combat seule. Elle a besoin de nous. »

Des atrocités controversées

Samedi, le chef influent de l’organisation Badr (une milice chiite liée à l’Iran), Hadi al-Amiri, qui a participé à la direction d’opérations contre les combattants de l’État islamique près de Falloujah, a prévenu que les UMP finiraient par rentrer dans la ville.

« Personne ne peut nous empêcher d’y aller », a-t-il déclaré dans une ferme réquisitionnée située à moins de 2 kilomètres à l’ouest de Falloujah.

« En ce moment même, ce sont seulement les civils qui nous empêchent d’y aller », a-t-il ajouté.

Les UMP ont suscité de fortes controverses en Irak, de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme ainsi que des sunnites les accusant de nourrir des vues sectaires et de perpétrer des atrocités.

Depuis le lancement de l’offensive de Falloujah à la fin du mois dernier, des rapports ont déjà fait état de la destruction par les UMP de sites religieux sunnites dans les environs de Falloujah.

D’après Al Jazeera, le cheikh al-Jumaili, membre du conseil tribal de Falloujah, a déclaré que les milices chiites ont incendié des mosquées et des maisons à al-Karmah, une ville située à environ 16 km au nord-est de Falloujah, après que celle-ci a été prise par les forces gouvernementales vendredi.

Il aurait affirmé que les milices ont détruit les sites historiques de Karma ainsi que la mosquée Ibrahim Ali Hassoun à l’aide d’explosifs.

En réponse à cela, le général de brigade Rasool Yahya a expliqué qu’il existait une politique officielle visant à empêcher les mosquées d’être prises pour cible, bien qu’il ait ajouté que « lorsqu’une mosquée devient un centre terroriste, alors nous nous en occupons ».

Malgré la controverse, les UMP sont très respectées parmi les Irakiens non sunnites, les photos de leurs martyrs ornant les rues, les bâtiments et les autoroutes à travers le pays.

De nombreux partisans font part de leur frustration grandissante face à ce qu’ils estiment être des signes de la persistance de la corruption et de l’incompétence de l’armée irakienne.

Un soldat turkmène chiite vivant actuellement dans un camp pour déplacés internes irakiens près de Kerbala, et dont le nom n’a pas été communiqué pour des raisons de sécurité, a indiqué à MEE qu’il estimait que les UMP constituaient une force plus efficace que l’armée.

« Nous avons des responsables et des commandants au sein de l’armée irakienne qui ne se soucient pas de gagner ce combat », a déclaré le soldat, qui était en permission au moment de l’interview. « Tout ce qui importe pour eux est l’argent. Mais les UMP combattent avec foi. »

« Il y a quelques mois, nous étions à Ramadi, sur le champ de bataille, et nous avons appelé un de nos commandants ; nous lui avons dit : "On a faim, aidez-nous, s’il vous plaît." Il n’a pas répondu. »

Les UMP indispensables ?

Des commandants militaires américains poussent depuis longtemps l’armée irakienne à prendre seule les devants dans la lutte contre l’État islamique en Irak et à marginaliser la contribution des UMP, notamment en raison de l’influence de l’Iran voisin sur nombre de ces groupes.

Combattants de la brigade Ali al-Akbar dans une rue près de Tikrit, dans le nord de l’Irak (MEE/Alex MacDonald)

Pour certains, la campagne pour libérer Ramadi, qui a été menée presque entièrement par l’armée irakienne avec l’appui aérien de la coalition contre l’État islamique dirigée par les États-Unis, a été un élément annonciateur de la mise à l’écart des UMP, même si les combats ont réduit en ruines de vastes zones de la ville.

Cependant, la vive importance symbolique et stratégique de la reprise de Falloujah et Mossoul, associée aux doutes sur l’état de préparation de l’armée, implique qu’il a été impossible d’écarter les UMP du conflit.

La prise de Mossoul par l’État islamique en 2014 a été un choc majeur pour le gouvernement du Premier ministre irakien de l’époque Nouri al-Maliki. Face à l’assaut de l’État islamique sur la ville, les Irakiens ont été accusés de s’être effondrés et de ne pas avoir mis en place une résistance efficace, malgré leur nombre en apparence beaucoup plus élevé.

Une enquête menée peu de temps après a révélé que l’armée avait jusqu’à 50 000 « soldats fantômes » qui n’existaient pas ou ne prenaient plus leur service tout en continuant pourtant de recevoir leur salaire.

La semaine dernière, un rapport de Reuters a mis en évidence les préoccupations de responsables américains face à l’incapacité de l’armée irakienne à se réformer malgré dix-sept mois de reconversion.

Mick Bednarek, lieutenant général américain à la retraite qui a commandé l’effort de formation militaire américaine en Irak de 2013 à 2015, a déclaré qu’à cause de divers problèmes, notamment un manque de recrues au sein de l’armée irakienne, l’armée pourrait avoir du mal à prendre les devants dans la libération de Mossoul.

« La capacité militaire irakienne n’a pas beaucoup augmenté ; le défi permanent du recrutement et de la rétention fait partie du problème », aurait affirmé Bednarek.

« Nos [officiers] forment ceux qui se présentent et le problème est que nous ne savons pas qui va se présenter. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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