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Les chrétiens d’Orient, objets de toutes les attentions des politiques français

Depuis le début de la campagne présidentielle en France, la question du sort de cette communauté revient systématiquement dans les discours, en particulier à droite, les différents candidats n’hésitant pas à forcer le trait pour séduire la frange catholique de leur électorat
Marine Le Pen rencontre le cardinal Bechara Boutros Rahi, le patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient au siège du patriarcat maronite de Bkerké, au Liban, le 21 février 2017 (AFP)

Au troisième jour de sa visite au Liban, Marine Le Pen a été reçue par le patriarche maronite Bechara Boutros Rahi. Un mois plus tôt, Emmanuel Macron s’était aussi rendu à Bkerké, le siège du patriarcat de cette Église d’Orient rattachée à Rome. Outre la nécessité de courtiser les quelques 24 000 Français ou binationaux vivant dans le pays du Cèdre, que révèle cet engouement des candidats à la présidentielle française pour le Liban, et plus particulièrement pour sa communauté chrétienne ?

Pour Marine Le Pen, cette rencontre était hautement symbolique, la présidente du Front national (FN) ayant fait de la « protection des chrétiens d’Orient » le principal leitmotiv de son déplacement au Liban et de sa politique au Moyen-Orient.

Au premier soir de son séjour, lors d’un diner organisé à Byblos en compagnie de plusieurs personnalités chrétiennes du pays, Marine Le Pen a tenu à rappeler « les liens du sang versé ensemble », allusion directe aux militants FN ayant combattu aux cotés des phalanges chrétiennes face aux druzes durant la guerre civile libanaise (1975-1990).

Au Liban, le Front national compte de nombreux soutiens de longues dates parmi les chrétiens, qui représentent aujourd’hui près du tiers de la population totale du pays.

La frontiste n’a d’ailleurs pas manqué de rencontrer les représentants des principales formations chrétiennes : Samir Geagea, chef des Forces libanaises, Sami Gemayel, leader des Phalanges libanaises (Kataëb), et le président de la République Michel Aoun, fondateur du Courant patriotique libre, premier chef d’État en exercice à rencontrer officiellement la candidate de l’extrême droite française.

La France, « protectrice » des minorités chrétiennes du Levant

Au printemps 2014, la prise spectaculaire de Mossoul par le groupe État islamique braque les projecteurs sur les centaines de milliers de chrétiens contraints de fuir leur ville. Depuis, la défense des communautés chrétiennes d’Orient s’est imposée comme un thème phare du volet politique étrangère de la campagne présidentielle française.

Par exemple, en août 2014, dans une lettre ouverte au président François Hollande, les Républicains François Fillon et Alain Juppé, futurs candidats à la primaire du parti, ainsi que l’ancien Premier ministre Jean Pierre Raffarin, alertent le chef de l’État sur les « conséquences dramatiques [du conflit religieux entre chiites et sunnites] sur les minorités chrétiennes d'Orient ».

Les Républicains estiment qu’il est du « devoir « et de « l’intérêt » de l’Europe d’intervenir. « Nous avons, depuis cinq siècles, une mission de protection des chrétiens d'Orient que nous devons assumer », affirment les signataires en référence au rôle historique joué par la France en sa qualité de « fille aînée de l’Église ».

Des liens « exagérés »

Si le sujet est pris à bras le corps par la droite française, les candidats de gauche expriment aussi régulièrement leurs inquiétudes quant à l’exode de ces communautés, devenues particulièrement vulnérables en Irak, en Syrie ou encore en Égypte.

À Beyrouth en janvier dernier, le président d’En Marche, Emmanuel Macron, avait, comme Marine Le Pen, tenu à mentionner les liens « millénaires » entre la France et les Chrétiens d’Orient. « L'un des rôles de la France, c'est de s'assurer que les intérêts des chrétiens d'Orient sont défendus, et cela est pour moi fondamental », avait alors déclaré le candidat à la présidentielle au quotidien libanais L’Orient-Le Jour.

Dans son rapport d’information déposé l’été dernier à l’Assemblée nationale, le candidat du Parti socialiste Benoit Hamon évoque quant à lui « une histoire et une proximité qui obligent », chez les chrétiens maronites, en particulier, « où la France est traditionnellement qualifiée de "tendre mère" ». 

C’est au XIXe siècle, avec la rivalité entre grandes puissances que la France a construit un discours sur la protection des catholiques d’Orient

Si ce sujet appartient plutôt à la droite catholique, « une partie de la gauche s’est aussi mobilisée en faveur des minorités chrétiennes par le passé, à l’instar de Crémieux, Jaurès ou Clémenceau durant les massacres perpétrés à l’encontre des Arméniens en 1860 », rappelle Bernard Heyberger, directeur de l'Institut d'Études de l'islam et des sociétés du monde musulman (IISMM), qui en 1990 avait organisé, à l’initiative du sociologique Régis Debray, un premier colloque sur l’avenir des Chrétiens d’Orient. 

Cependant, juge le spécialiste, « cette histoire est largement exagérée. Il s’agit d’une construction du lobby pro-chrétien au XIXe siècle qui commence avec Lamartine. S’il y a eu des interférences du temps des croisades et sous Louis XIV, il s’agissait de contacts ponctuels et non d’une politique systématique ».

En réalité, « c’est au XIXe siècle, avec la rivalité entre grandes puissances [connue sous le nom de question d’Orient] que la France a construit un discours sur la protection des catholiques d’Orient. C’est à cette époque qu’on invente la lettre de Saint Louis aux maronites, qui est à chaque fois mentionnée quand il y a des échanges entre la France et le Liban et citée par le patriarche maronite libanais ».

Curseur de la politique étrangère et nationale

Aujourd’hui, la problématique des chrétiens d’Orient est à l’origine d’un clivage de la société française sur les choix à adopter en Syrie.  

« Il est certain que ceux qui sont le plus touchés par la question des chrétiens sont aussi ceux qui sont le plus proches des régimes russe et syrien, car il existe une théorie selon laquelle les chrétiens seraient mieux protégés avec Assad, remarque Bernard Heyberger. Or le régime d’Assad est un régime extrêmement violent et pervers. En apparence, il a protégé les Chrétiens en octroyant des permis de construire des églises, en soutenant le clergé. Mais en réalité, sa politique est fondée sur la division entre communautés et sur la haine et la peur les uns des autres ».  

En France, les avis divergent sur l’attitude à adopter face au régime. Tout au long du conflit, Paris s’est longtemps aligné sur la ligne de l’opposition modérée réclamant le départ de Bachar al-Assad comme condition préalable à toute négociation.

Depuis la reprise d’une importante partie du territoire par l’armée syrienne soutenue par ses alliés russe et iranien, plusieurs voix se sont élevées en France pour dénoncer la coupure des relations avec Damas. À droite, le Front national et le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon prônent une reprise du dialogue avec Bachar al-Assad et une coopération accrue avec la Russie.

Lors de son entretien avec le Premier ministre sunnite Saad Hariri, Marine Le Pen a jugé que Bachar al-Assad était « une solution bien plus rassurante pour la France que "l’État islamique" ».

De son coté, le chef du gouvernement libanais a mis en garde la candidate d’extrême droite contre « l’amalgame entre islam et terrorisme ». 

Directeur de l’Œuvre d’Orient, qui soutient les communautés chrétiennes dans la région, Pascal Gollnisch estime toutefois utile de rappeler que « les premières victimes en nombre du terrorisme en Syrie sont musulmanes ».

« Quand on défend les chrétiens orientaux, on défend le christianisme en général. On défend le christianisme contre l’islam, on défend le christianisme contre le mariage pour tous »

« L’essentiel des violences dans la région sont entre sunnites et chiites ou entre sunnites et chiites extrémistes. Par conséquent, en nombre de victimes absolues, le plus grand nombre de victimes du terrorisme, ce sont des musulmans. […] Quand il y a un combat entre sunnites et alaouites en Syrie ou entre sunnites et chiites en Irak, personne n’imagine que l’une ou l’autre de ces communautés va totalement disparaître. Tandis que quand c’est une petite communauté, ça met en péril l’avenir même de celle-ci », souligne le prélat catholique.

En outre, derrière le sort des chrétiens d’Orient, existe aussi en filagramme une inquiétude quant à l’avenir et la place de la chrétienté en France, sur fond de discours hostile à la communauté musulmane française.

« Quand on défend les chrétiens orientaux, on défend le christianisme en général. On défend le christianisme contre l’islam, on défend le christianisme contre le mariage pour tous », souligne Bernard Heyberger. 

La question des chrétiens d’Orient est donc volontiers mise en avant par les différents candidats dans le but de s’assurer le soutien d’électeurs catholiques. Quitte à occulter d’autres enjeux cruciaux inhérents au monde arabo-musulman. 

Pascal Gollnish regrette également une lecture unidimensionnelle de cette question. « Daech [l’État islamique] et al-Qaïda, c’est une chose sur laquelle tout le monde est à peu près d’accord, ainsi que sur les violences ponctuelles. Mais il y a aussi les discriminations. Il faudrait être plus incisif sur les questions des droits de l’homme. Je pense que nous n’en parlons pas suffisamment. Or partout dans la région, à l’exception du Liban, les chrétiens sont discriminés », affirme le vicaire.

Par ailleurs, poursuit Pascal Gollnish, « il faut s’entendre sur une amitié qui doit plus avoir un aspect de partenariat que de protection, car cette dernière laisserait entendre que les chrétiens d’Orient ne seraient pas de vrais citoyens de leur pays respectifs et qu’ils constitueraient la cinquième colonne de l’Occident, ce qui, en définitive, leur porterait préjudice ». 

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