Les colons affirment que l’escalade de la violence renforce leur volonté d’autodéfense
TEL AVIV – Sur la porte d’entrée de la maison de la famille Henkin, dans la colonie cisjordanienne de Neria, des messages colorés réalisés par des enfants expriment leurs condoléances pour la mort des parents. Le 1er octobre, alors qu’ils étaient dans leur voiture, Eitam et Naama sont tombés dans une embuscade et ont été tués par balles à bout portant. Un message adressé aux quatre enfants des Henkin, qui étaient sur la banquette arrière et ont été témoins de l’attaque, leur souhaitait un prompt retour à leur domicile dans ce territoire contesté.
La mort du couple Henkin a déclenché la dernière série d’affrontements de représailles. Deux jours plus tard, dans la vieille ville de Jérusalem, un assaillant palestinien a poignardé une famille israélienne revenant de la prière du samedi soir, tuant le père, Aharon Banita, ainsi que le rabbin, Nehemia Lavie, qui, selon la police, avait entendu l’agitation et était sorti de chez lui pour tenter d’aider.
De violents affrontements et de fortes tensions se sont propagés partout en Israël et dans les territoires palestiniens, entraînant la mort de treize Palestiniens, dont un certain nombre d’adolescents vus en train d’attaquer des Israéliens et d’autres impliqués dans des affrontements contre les forces de sécurité israéliennes ou pris dans des feux croisés. Depuis jeudi, les médias palestiniens ont rapporté que neuf habitants de Gaza ont été abattus par des soldats israéliens au cours de manifestations. Dimanche matin, une Palestinienne a fait exploser une bombe à un poste de contrôle entre Jérusalem et une colonie voisine.
Pourtant, alors que les colonies, ainsi que le Mont du Temple, font de plus en plus l’objet de conflits, l’atmosphère en Cisjordanie est restée relativement calme, de nombreux habitants affirmant que cette « vague de terreur », comme d’autres avant elle, allait bientôt passer.
Yagil Henkin, le frère du défunt Eitam Henkin, a déclaré qu’il ne fallait voir dans les derniers développements – « nous avons vu pire » – que la poursuite d’un conflit religieux-national qui couve depuis longtemps, alimenté par l’incapacité des « Arabes » à accepter le retour des juifs dans leur « patrie ancestrale ».
« Cela ne date pas d’aujourd’hui, ni même de la fondation de l’État d’Israël », a déclaré Henkin, un historien militaire dans un lycée formant les futurs officiers de l’armée israélienne.
Il tient pour responsable du tragique assassinat de son frère et de sa belle-sœur la « société palestinienne qui pense que de telles attaques terroristes sont des actes légitimes, qui applaudit les terroristes et qui, en fait, est financée par les pays étrangers qui versent des salaires très généreux aux familles des terroristes emprisonnés ».
Il a ajouté que la mort du couple Henkin et celle des Israéliens tués par la suite ne font que renforcer davantage l’urgence de la colonisation israélienne en Cisjordanie, laquelle est selon lui un droit de naissance juif. Il affirme que les habitants y étaient « en sécurité », bien qu’ils aient demandé au gouvernement le renforcement de la présence militaire.
Plus de colonies, c’est plus d’attaques
Sous le gouvernement de Benjamin Netanyahou entre 2009 et 2014, l’expansion des colonies a explosé jusqu’à constituer plus de deux fois plus de constructions qu’à l’intérieur d’Israël, selon le Bureau central des statistiques du pays. Selon plusieurs militants des droits de l’homme, cette vague de construction a à son tour enhardi les communautés de colons, y compris la frange qui prend pour cibles les Palestiniens pour tenter de les chasser de leurs terres.
Un rapport de l’ONU publié en 2013 a confirmé les liens entre la croissance des colonies et une poussée de la violence des colons, qui, depuis 2005, s’est manifestée sous la forme du mouvement « Tag Mehir » ou « prix à payer » – un terme utilisé pour décrire le « prix » exigé chaque fois que le gouvernement israélien décide de freiner l’expansion des colonies et qui revêt la forme d’attaques ciblant des Palestiniens ou leurs biens et propriétés.
Le rapport de l’ONU indique que, en plus des attaques sur les terres et propriétés agricoles, quatorze attaques contre des écoles par des colons israéliens ont été recensées entre 2009 et 2013, et que le fait que les forces de sécurité israéliennes ne parviennent pas à protéger les Palestiniens de tels actes « soulève des questions sur [leur] volonté d’appliquer la loi de manière non discriminatoire ».
Udi Levy, le chef du groupe de travail créé pour lutter contre la violence des colons, a déclaré que dans l’année écoulée, les assaillants ont délaissé les attaques « mineures » comme les actes de vandalisme et le déracinement d’oliviers palestiniens pour privilégier désormais des attaques physiques à l’encontre de Palestiniens dans l’intention de nuire.
« Bien que nous ayons été en mesure de recueillir des renseignements de qualité et d’avoir un effet dissuasif, les jeunes militants auxquels nous avons affaire ont adopté une ligne plus dure et ont commencé à mener des actions destinées à choquer et perturber l’ordre dans ce pays », a déclaré Levy.
Le « choc » en question est survenu le 30 juillet, quand des personnes soupçonnées d’être des colons masqués se sont faufilées dans le village cisjordanien de Douma au milieu de la nuit, ont lancé des bombes incendiaires dans les maisons de deux familles et ont tagué « Vive le Messie » et « Vengeance ! » en noir sur un mur à proximité. Un bébé de 18 mois, Ali Saad Dawabsheh, a été brûlé vif dans l’incendie et, peu de temps après, ses parents, Saad et Reham, ont également succombé à leurs blessures. Zohdei Dawabsheh, un habitant de Douma, a déclaré que même si Douma avait toujours été un « village de paix », ses voisins et lui n’hésiteraient désormais plus à « tuer tout Israélien qui viendrait dans le village ».
Alors que Netanyahou a qualifié l’incendie criminel d’« acte odieux et horrible de terreur juive » et a promis d’enquêter pour localiser et appréhender les responsables, trois mois plus tard, les forces de sécurité – connues pour traquer avec succès les Palestiniens accusés de terrorisme avec des méthodes controversées comme des raids à domicile ou des déploiements de troupes lourdes – n’ont fait état d’aucun progrès.
Selon l’ONG Yesh Din, qui suit les activités de colonisation, un modèle a émergé. Elle a constaté que plus de 85 % des affaires de violences perpétrées par des colons en Cisjordanie ont été classées « en raison de l’absence d’enquête adéquate [de la part des autorités] ». En outre, entre 2005 et 2014, seuls 7 % des dossiers d’enquête sur les cas de violences du fait de colons ont mené à des inculpations.
On peut voir dans ce mouvement de jeunes juifs qui attaque des Palestiniens partout en Israël et en Cisjordanie et griffonne des graffitis messianiques comme une nouvelle forme, plus jeune et plus antihiérarchique, de « sionisme religieux romantique », a déclaré Shlomo Fischer, professeur de sociologie et spécialiste de l’extrémisme juif. Ce dernier a expliqué que le désir de revenir à un état « pur » en Israël exprimé par de nombreux jeunes est comparable à celui d’autres groupes extrémistes de la région tels que le groupe État islamique.
Une violence sans répit
Ces dernières semaines, des actes de violence ont continué sans relâche.
Cent trente-trois incidents de violences imputables à des colons ont été signalés en Cisjordanie, selon Ghassan Daghlas, un responsable palestinien qui surveille les activités des colons sur le territoire. L’un des derniers incidents, filmé et mis en ligne sur le site de l’ONG B’Tselem, implique des hommes masqués de la colonie de Yitzhar – accompagnés par des soldats israéliens – jetant des pierres sur des Palestiniens.
Vendredi, un Israélien de 17 ans, qui a plus tard déclaré à la police que « tous les Arabes sont des terroristes », a poignardé et blessé quatre Palestiniens dans la ville méridionale de Dimona. Sur les réseaux sociaux, des accusations ont fusé : contrairement aux assaillants palestiniens, face auxquels la police israélienne a immédiatement réagi avec violence, l’agresseur israélien n’a pas été blessé mais a été emmené pour une évaluation psychiatrique.
Pour leur part, les colons et leurs dirigeants ont condamné les attaques terroristes juives, mais ont aussi cherché à rediriger la conversation sur « la terreur arabe » qui est, selon eux, le nœud du problème.
Avi Roeh, président du Conseil régional de Binyamin, en Cisjordanie occupée, a qualifié les attaques Tag Mehir et les autres attaques israéliennes à l’encontre de Palestiniens d’« inhumaines et non-juives ». Cependant, il a également nié tout lien entre ces attaques et la violence actuelle, ajoutant que, dans tous les cas, son autorité et celle des autres colonies « ne s’étendent pas à l’extérieur des communautés juives – qui relèvent de l’armée et de la police israéliennes ».
Appels à annexer la Cisjordanie
Maintenant, plus que jamais, c’est à Israël de profiter de « ce moment historique » et d’agir pour « annexer la Cisjordanie, tant ses terres que son peuple », a-t-il déclaré à Middle East Eye en face de la résidence du Premier ministre à Jérusalem, où des enfants de diverses colonies cisjordaniennes s’étaient rassemblés pour protester contre le manque de sécurité dans leurs communautés.
Toutefois, les annonces du gouvernement israélien concernant des mesures de sécurité accrues, comme l’interdiction de la branche nord du Mouvement islamique ou l’installation de caméras le long des routes cisjordaniennes, n’indiquent pas de stratégie à long terme, autre que le maintien prudent du statu quo.
Lors d’une conférence de presse la semaine dernière, Netanyahou n’a présenté « aucun objectif, aucune vision de ce à quoi devrait ressembler notre relation avec les Palestiniens à la fin de son mandat », a écrit Barak Ravid dans le quotidien israélien Haaretz.
« Il essaie autant que possible d’éviter toute escalade supplémentaire susceptible d’être déclenchée par une opération militaire de grande envergure en Cisjordanie ou une escalade diplomatique en développant les colonies. »
Cependant, pour beaucoup des 500 000 Israéliens en Cisjordanie, les questions relatives à la réduction de leur présence dans les territoires palestiniens occupés, ou à la paix en général, ne se posent pas.
« La vraie question est : comment continuons-nous à combattre l’ennemi [palestinien] sauvage ? », a demandé Nir Salomon, porte-parole de la colonie de Neria.
« Je peux comprendre quand un adolescent de 16 ans dit : ‘’Mes voisins ont été assassinés de sang-froid, je ne peux pas rester assis tranquillement.’’ Nous devons leur dire qu’il est inapproprié d’exprimer cette rage », a-t-il dit, tout en précisant que la responsabilité de veiller à ce que les attaques palestiniennes « ne se reproduisent jamais » incombe à l’État.
Ces propos font écho aux arguments entendus parmi les colons qui s’étaient installés dans la bande de Gaza avant le retrait israélien en 2005. D’ailleurs, Salomon explique que sa communauté sert de tampon entre les « Arabes » et le centre d’Israël, et empêche ainsi « l’Iran de tirer des missiles » directement au cœur d’Israël.
Du sommet d’une montagne surplombant les vignobles des colonies israéliennes et une rangée de villages palestiniens, Salomon a indiqué que les « Arabes » n’avaient pas de connexion directe avec 90 % de la terre. « Nous [les colons] sommes tous pour la coexistence, mais seulement s’ils viennent en paix, comme nous venons en paix. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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