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Les Gazaouis inquiets de l’avenir de leurs enfants après dix ans de siège

Les résidents mettent en garde contre le fait que les enfants nés depuis le début du blocus en 2006 pourraient grandir dans la haine de leurs « gardiens de prison » tout en éprouvant un sentiment croissant d’impuissance
Dans le port de Gaza, des protestataires palestiniens sont montés à bord de bateaux, dans le cadre des événements marquant les dix années du siège de l’enclave (MEE/Mohammed Asad)

GAZA, Territoires palestiniens – Depuis plus de dix ans qu’Israël impose un blocus paralysant à Gaza, les résidents (plus de 1,8 million aujourd’hui) disent qu’ils n’en peuvent plus et qu’ils sont de plus en plus inquiets au sujet de la nouvelle génération qui grandit sans avoir connu autre chose que la guerre, les privations et l’isolement.

« Voilà dix ans maintenant que dure le siège israélien de Gaza », explique à Middle East Eye Abou Maher, un pêcheur de 62 ans assis à proximité du port de pêche de Gaza.

« Le problème, ce n’est pas avec nous, nous avons vu suffisamment de guerres dans nos existences, mais ce sont les petits gosses à qui on ne peut rien reprocher et qui sont nés dans une mentalité d’état de siège et qui, naturellement, finissent par haïr leurs gardiens de prison. »

Au cours de la décennie écoulée, Gaza a subi trois agressions militaires israéliennes, terrestres, maritimes et aériennes, qui ont tué des milliers de Palestiniens, en ont blessé et mutilé bien plus encore et ont complètement dévasté une grande partie de l’infrastructure et de l’économie de l’enclave.

Des centaines de personnes agitant des drapeaux palestiniens se sont déplacées mercredi dernier pour marquer le sixième anniversaire du raid effectué par les commandos israéliens en 2010 contre le Mavi Marmara, un navire d’aide turc à destination de Gaza, à bord duquel dix militants avaient été tués.

Les manifestants ont honoré leur mémoire en jetant des œillets vivement colorés dans la Méditerranée, et ce, dans le cadre d’une semaine mondiale d’événements marquant les dix ans du blocus et rassemblés autour du hashtag #EndGazaSiege.

On considère généralement que le blocus a commencé au moment où Israël et le Quartet pour le Moyen-Orient (constitué par les États-Unis, les Nations unies, l’Union européenne et la Russie) ont imposé des sanctions économiques en réponse à la victoire du Hamas lors des élections palestiniennes de janvier 2006. Les restrictions se sont durcies davantage lorsque le Hama s’est emparé du contrôle de Gaza en 2007.

Parmi les protestataires figuraient de nombreux jeunes enfants qui brandissaient des placards dénonçant le blocus, la seule chose qu’ils aient jamais connue dans leur existence.

Rahaf, un garçon de 9 ans, marchait en silence tout en tenant une banderole sur laquelle on pouvait lire : « La souffrance est la tragédie de toutes les maisons qui ont été détruites ».

Les manifestants se sont rassemblés au même endroit où, en 2008, des milliers de Gazaouis avaient agité des drapeaux similaires pour accueillir l’un des rares navires d’aide de la flottille Free Gaza qui étaient parvenus à rompre le blocus cette année-là.

Abou Maher se souvient de cette journée comme d’un bon moment, un moment où il avait senti que la fierté stoïque de Gaza était protégée et défendue par les militants internationaux qui s’en souciaient assez pour risquer leur vie en tentant d’apporter une aide humanitaire élémentaire et en adressant un message de soutien aux habitants assiégés de l’enclave.

Depuis lors, d’autres efforts ont été consentis par les militants internationaux pour rompre le siège en entrant à Gaza par mer, mais ils ont tous été repoussés par la marine de guerre israélienne.

Aujourd’hui, les résidents de la bande côtière disent qu’ils se sentent de plus en plus isolés et seuls. Trois guerres ont également détruit des dizaines de milliers d’habitations et dévasté le tissu social de Gaza, faisant de nombreux orphelins et veuves.

Des psychiatres affirment que les cas de troubles de stress post-traumatique (TSPT) parmi les enfants ont doublé depuis 2012 et que les traumatismes et problèmes psychiques de toutes sortes se sont également multipliés.

Les ONG rapportent aussi une augmentation de la violence contre les femmes. Action Aid et d’autres associations humanitaires proposent leur soutien aux femmes affectées par le conflit et qui ont besoin d’assistance juridique.

« Nos geôliers ne nous laissent ni mourir, ni nous épanouir »

Pendant ce temps, le siège continue à être appliqué aussi sévèrement que toujours. Au poste frontière d’Erez vers Israël, seuls les travailleurs humanitaires et les personnes pourvues de permis spéciaux, ainsi que quelques hommes d’affaires palestiniens qui traitent avec des sociétés israéliennes, ont le droit de passer dans les deux sens.

Quelques centaines de Palestiniens nécessitant un traitement médical urgent ou ceux qui ont l’autorisation de poursuivre leurs études à l’étranger ont également pu passer.

Rafah, l’autre point de passage terrestre important de Gaza, vers l’Égypte, a été très souvent fermé depuis les élections de 2006, bien que les contrôles se soient relâchés en 2010 suite à l’attaque israélienne contre le Mavi Marmara et la flottille d’aide. Cette année-là, 167 000 personnes avaient pu passer, alors qu’elles n’étaient que 60 000 en 2009.

Après la révolution de 2011 en Égypte et l’élection du président égyptien Mohamed Morsi, Gaza avait brièvement acquis plus de libertés, et 257 000 Palestiniens avaient pu franchir le passage en une seule année.

Ces chiffres ont considérablement diminué après l’éviction de Morsi en 2013 et, l’an dernier, Rafah n’a été ouvert que pendant 21 jours.

Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, dont le siège est à Genève, affirme que le blocus a doublé le niveau de la souffrance humaine à Gaza, où l’on estime que six familles sur dix souffrent de pénuries et sont en insécurité alimentaire.

Au port de Gaza, un groupe d’enfants réclament des médicaments, le droit de se déplacer et la fin du siège (MEE/Mohammed Asad)

Les Nations unies ont déjà lancé une mise en garde : en 2020, les conditions de vie à Gaza seront devenues intenables.

Oum Fouad Jaber, 42 ans, résidente de Gaza, a expliqué à MEE que les gens ne savaient tout simplement plus que faire et que la seule façon dont ils estimaient pouvoir continuer à résister étaient de rester sur place et de défendre leurs terres ancestrales.

« Nos geôliers ne nous laissent ni mourir, ni nous épanouir », a-t-elle déclaré.

Jaber a ajouté que les choses s’étaient tellement détériorées sous le blocus qu’il était désormais difficile de trouver de l’eau potable. Les coupures sont très fréquentes et, quand l’eau coule au goutte à goutte des robinets, on ne peut jamais savoir si elle est potable ou impropre à la consommation.

L’électricité est également un bien rare, et bien des familles ne savent pas quand elles vont recevoir quelques heures de courant avant d’être replongées brusquement dans les ténèbres.

Marwan Karam, un propriétaire de supermarché, a dit à MEE que se procurer ne serait-ce que les produits les plus élémentaires était extrêmement difficile et qu’il était souvent plus malaisé encore d’avoir des clients.

Du fait que le blocus est partiellement responsable de la montée en flèche du taux de chômage à Gaza (officiellement de 40 %, mais beaucoup croient qu’il est nettement plus élevé), peu de personnes peuvent se permettre d’acheter les marchandises dont elles ont pourtant désespérément besoin.

Depuis des années, bien des commerçants permettent à des amis et des voisins de joindre péniblement les deux bouts en développant d’importantes lignes de crédit dont ils ne s’attendent qu’à moitié à être remboursés un jour.

« Gaza est comme un patient gravement malade et maintenu en vie à l’aide de quelques gouttes de sérum intraveineux ; pas assez pour le nourrir, mais assez pour le maintenir en vie et éviter de se faire taxer de cruauté et de négligence », ajoute Marwan Karam.

Israël insiste sur le fait que le blocus est une précaution de sécurité nécessaire en réponse à la menace posée à ses frontières par le Hamas et d’autres groupes militants vivant à Gaza.

Mais Richard Falk, l’ancien rapporteur spécial des Nations unies pour la Palestine et aujourd’hui président du Conseil d’administration du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, a expliqué dans un article pour MEE que le siège de Gaza équivalait à une forme de « châtiment collectif » infligé par Israël à une population civile impuissante.

« Aucune épreuve de souffrance humaine ne constitue davantage un affront à la conscience de l’humanité que ce blocus de dix ans imposé par Israël à la population de Gaza », a déclaré Falk.

« Ces violations continuelles des droits de l’homme sont un exemple mortel et massif de châtiment collectif affectant une population civile prise au piège. Le blocus a également montré l’impuissance et la complicité de la communauté internationale, y compris les Nations unies. »

Pourtant, en dépit de la conscience croissante des souffrances des résidents de Gaza, ceux qui vivent les effets de l’occupation disent qu’ils ont l’impression d’avoir été complètement oubliés.

Des démarches vers la réconciliation entre Israël et la Turquie, qui s’étaient brouillés à propos du raid contre le Mavi Marmara (au cours duquel huit ressortissants turcs avaient été tués), ont fait craindre à beaucoup qu’Ankara ne revienne sur ses demandes d’alléger le blocus, même si d’autres pays arabes – dont l’Égypte, la Jordanie et plusieurs États du Golfe – continuent de se rapprocher d’Israël.

Dans le port de Gaza, où des activistes se sont rassemblés pour marquer le lancement officiel des commémorations, des enfants portaient des affiches montrant des signes de désespoir et de privations.

« Non à la faim, oui à l’allègement du blocus », disait une banderole tenue par une fillette de 8 ans.

Abou Maher, le pêcheur, a lancé un appel pour que sa voix et celles de milliers d’autres soient entendues. Tous disent que les enfants de Gaza veulent « désespérément un avenir meilleur ».

« Nous devrions construire des murs de compréhension entre les nations mais, avant que ce ne soit le cas, il va falloir ouvrir les frontières », a-t-il ajouté.

Traduit de l’anglais (original) par Jean-Marie Flémal

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