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Les mines, ces pièges qui menacent les réfugiés dans les Balkans

Les bombes à fragmentation et les mines déposées par diverses armées et factions paramilitaires constituent un risque pour les réfugiés, alors que les itinéraires de migration deviennent de plus en plus irréguliers
Un jeune Croate tient des morceaux de mine trouvés dans sa maison, située à proximité immédiate de la frontière serbe (AFP)

Les évolutions des itinéraires de migration dans les Balkans exposent les réfugiés au risque de se rapprocher de plus en plus des champs de mines disséminés à travers la région.

Ces champs de mines, vestiges des guerres de Yougoslavie qui ont sévi dans les années 90, jonchent non seulement la frontière serbo-croate mais aussi des secteurs du sud de la Serbie et une grande partie de la Bosnie-Herzégovine.

Au total, environ 750 kilomètres carrés seraient toujours parsemés de munitions non explosées en ex-Yougoslavie (environ 50 000 en Croatie et jusqu’à 120 000 en Bosnie), selon le Centre d’action antimines de Bosnie-Herzégovine.

La question a attiré l’attention internationale ce mercredi, lorsque des dizaines de réfugiés ont commencé pour la première fois à entrer en Croatie depuis la Serbie, mais l’afflux de réfugiés vers l’UE au cours des derniers mois avait déjà provoqué l’organisation de travaux de déminage d’urgence en Serbie et en Bosnie.

Au début du mois, Norwegian People’s Aid (NPA) a dépêché des équipes d’urgence dans le sud de la Serbie pour accélérer les travaux de démarcation et de déminage, mais aussi pour sensibiliser les populations sur l’existence de ces mines en distribuant des tracts en arabe et en anglais afin d’avertir les arrivants. L’organisation a également indiqué réfléchir à la façon dont son action en Bosnie sera affectée par un éventuel afflux de migrants et de réfugiés.

Si la question des migrations n’est pas nouvelle, Darvin Lisica, directeur régional de NPA pour l’Europe du Sud-Est, a expliqué à Middle East Eye que les passages aux frontières sont de plus en plus irréguliers. Avant, les gens passaient en grande partie par la route ou avaient recours à des passeurs pour les aider. Mais depuis cet été, alors que de plus en plus de personnes arrivent, ces dernières empruntent désormais des itinéraires illicites qui les mettent davantage en danger.

« Nous pouvons voir que les itinéraires changent en effet très rapidement, a précisé Lisica. Nous l’avons constaté très clairement plus tôt cette semaine, lorsque la Hongrie a fermé sa frontière [mardi matin]. Les gens ont changé d’itinéraire, et nous avons vu des milliers de personnes se diriger soudain vers la frontière croate, où se trouvent des champs de mines non déminés. »

Bien que ces champs de mines en Croatie soient signalés, la possibilité que les gens (en particulier ceux qui traversent la nuit ou à la hâte) ne puissent pas voir les panneaux suscite une grande préoccupation.

Toutefois, la situation en Serbie et en particulier en Bosnie, où les mines sont parsemées de manière bien plus imprévisible et couvrent 2 à 3 % de la superficie totale du pays, est beaucoup plus précaire.

Champs de mines suspectés (en jaune)

La Serbie a déjà été traversée cette année par plus de 120 000 réfugiés et migrants, principalement en provenance du Moyen-Orient. Selon les estimations, 35 000 se trouvent encore dans le pays, tandis que d’autres doivent arriver de Macédoine. Bien que très peu d’entre eux aient atteint la Bosnie jusqu’ici, plusieurs groupes ont indiqué à MEE qu’ils s’attendaient à ce que les réfugiés puissent bientôt entrer et qu’ils se préparaient à leur arrivée.

En Serbie, près de la frontière avec le Kosovo, se trouvent des champs de mines non signalés et inconnus, abandonnés par des groupes paramilitaires serbes à la fin des années 90 lorsque les tensions avec les Albanais se sont intensifiées. Aucune trace de leur emplacement n’a été conservée.

Compliquant davantage la situation, des bombes à fragmentation larguées en Serbie par l’OTAN lors de sa campagne de bombardement de 1999 pour mettre fin à l’agression du Kosovo par les Serbes sont encore présentes.

En 2008, 111 pays se sont accordés pour les rendre illégales en vertu du droit international, mais ces armes meurtrières et non discriminantes n’ont jamais été retirées. Le Centre d’action antimines serbe a indiqué que des munitions à fragmentation peuvent encore être trouvées dans une zone d’environ 6 kilomètres carrés.

Alors que les habitants ont tendance à connaître les zones à éviter, peu de migrants et de réfugiés sont au courant du danger.

« Certains arrivants que nous rencontrons, mais pas tous, savent qu’il y a eu une guerre, mais ces personnes pensent très rarement qu’il est possible qu’il y ait des mines ici », a précisé Lisica.

« Ces choses ne sont malheureusement pas prises au sérieux jusqu’à ce que quelqu’un meure, et quand quelqu’un est tué, il est trop tard. »

En Croatie, les autorités estiment que depuis le début des guerres balkaniques en 1991, environ 2 500 personnes ont été tuées par des mines terrestres, et environ 500 depuis la fin du conflit. En Bosnie, les chiffres sont encore plus importants : plus de 8 000 personnes ont perdu la vie, dont 1 732 depuis la fin du conflit à la fin de l’année 1995.

Rien que l’année dernière, six personnes ont été tuées et dix autres ont été blessées en Bosnie.

« Cela fait beaucoup de morts pour un pays en paix où le conflit est terminé depuis plus de vingt ans », a déploré Lisica.

Selon Adam Komorowski, directeur du marketing au sein de l’organisation britannique Mines Advisory Group, le problème est que si l’intérêt et l’aide internationale pour le déminage étaient importants au départ, ils se sont estompés une fois que les zones à haut risque que les civils avaient tendance à fréquenter ont été démarquées et déminées.

Mais la « crise des réfugiés a de nouveau fait de ces mines un problème grave, dans la mesure où les réfugiés sont susceptibles de prendre beaucoup plus de risques, a indiqué Komorowski à MEE. Ainsi, ces mines reviennent tout à coup sous les feux des projecteurs. »

Il ne s’agit pas non plus des premiers champs de mines que les réfugiés syriens ont pu rencontrer au cours de leur périple vers l’Europe, où ils espèrent obtenir l’asile dans des pays comme l’Allemagne ou la Suède.

De larges secteurs de la frontière entre la Syrie et la Turquie sont également recouverts de mines qui n’ont jamais été enlevées.

« Il y a des centaines de milliers de mines étalées littéralement sur toute la longueur de cette frontière, a expliqué Komorowski. La guerre en Syrie a freiné l’avancée du déminage, et on rapporte que de nouvelles mines ont été ajoutées. »

Les équipes de déminage dans les Balkans ont affirmé surveiller la situation de très près et investir des ressources supplémentaires pour s’assurer que les migrants et les réfugiés restent en sécurité ; toutefois, leur travail est contrecarré par les changements constants des voies de migration.

« La situation évolue très rapidement, presque tous les jours », a indiqué à MEE un porte-parole de la Croix-Rouge en Serbie. « Il est difficile de savoir où les gens se trouveront et où ils installeront leurs campements. »

Darvin Lisica, de NPA, a expliqué que ses équipes devaient réaliser en permanence des « micro » analyses visant à avoir une connaissance en temps et en heure de l’emplacement des migrants.

La frontière serbo-hongroise semblant vouée à rester fermée, une évolution plus large est attendue au cours des prochaines semaines alors que les nouveaux arrivants en Grèce recherchent des itinéraires alternatifs vers les États plus riches de l’UE.

Les menaces du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui a prévenu que son pays allait bientôt commencer à construire une barrière sur des secteurs de sa frontière avec la Croatie (après avoir terminé la construction du mur à sa frontière avec la Serbie et la Croatie), auront probablement comme seule conséquence de contraindre les migrants et les réfugiés à chercher de nouvelles options.

L’hiver qui approche, où les températures tombent facilement bien en dessous de zéro dans la plupart des pays des Balkans, devrait également modifier les trajectoires des migrants.

Lisica estime que l’itinéraire de migration se rapprochera bientôt des côtes, où le climat est plus doux. Cela apportera une plus grande incertitude et une nouvelle série de défis.

« Nous avons l’obligation de travailler tous ensemble car c’est un problème régional, et pas uniquement celui de la Serbie. Nous devons tous comprendre que [l’afflux de réfugiés] aura un impact sur l’ensemble de l’Europe du Sud-Est et ne se terminera pas de sitôt. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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