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Les pêcheurs tunisiens portent secours aux migrants en Méditerranée

« Bien sûr que nous les aidons », s’exclame un pêcheur de Zarzis. « Que pouvons-nous faire ? Les laisser tomber ? Ils ne savent même pas nager. »
Un pêcheur tunisien répare son filet dans le petit port de Zarzis, près de la frontière libyenne (MEE/Nicholas Linn)

Assis sur un tas de filets de pêche, dans la ville portuaire de Zarzis, Ahmed se cache du soleil de plomb sous un auvent de toile improvisé. Munis d’une bobine de fil, ses doigts agiles réparent le filet, le préparant à reprendre la mer.

« Les migrants ? Je les vois passer tout le temps. Même si je ne les vois pas de mes propres yeux, il y a toujours d’autres pêcheurs pour me raconter comment ils les ont ramenés au port », indique-t-il. « Les bateaux viennent de Libye. Ils sont tous de Libye. »

Se trouvant à seulement 60 kilomètres de la côte libyenne, Ahmed et ses collègues voient ces bateaux passer depuis des années. La vision de migrants fuyant pour l’Europe n’est pas nouvelle. C’est le nombre de migrants qui l’est.

L’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a estimé que près de 220 000 migrants ont atteint l’Europe par voie maritime en 2014, alors qu’ils étaient moins de 60 000 à le faire l’année précédente. Ces jours-ci, la majorité d’entre eux se faufilent à travers le littoral désormais poreux de la Libye, un État failli qui permet aux trafiquants d’opérer pratiquement sans encombre.

Pendant des décennies, Mouammar Kadhafi a assuré un contrôle strict du littoral libyen, mais depuis sa chute en 2011, l’émigration en provenance de la Libye a fortement augmenté. La frontière terrestre du pays, longue et isolée, est facilement accessible pour les migrants fuyant l’Afrique centrale et orientale, ainsi que pour ceux tentant d’échapper aux plus récents conflits au Yémen et en Syrie.

« En général, ils sont Somaliens, Érythréens et Soudanais », précise Ahmed. « Mais récemment, on voit même des Syriens et des Égyptiens. »

Les réseaux de trafiquants d’être humains qui opèrent depuis deux décennies à travers la Méditerranée sont submergés par ces nouvelles vagues d’immigrations. Trop souvent désormais, quand Ahmed va pêcher en mer, il est interpelé par les appels paniqués des passagers des embarcations, dont la coque dépasse à peine de la surface de l’eau. Bien que la Tunisie ait cherché à moderniser et étendre sa flotte, ayant acquis depuis 2003 vingt-deux nouveaux navires, ses capacités à patrouiller dans les eaux internationales au large de son littoral demeurent limitées. Dans de nombreux cas, les pêcheurs comme Ahmed sont les premiers à repérer les bateaux et à alerter les gardes-côtes.

Si les bateaux tombent en rade près de la côte tunisienne, ils n’ont aucune chance d’être secourus, à moins de parvenir à atteindre le périmètre d’action des gardes-côtes italiens – à plusieurs centaines de kilomètres de là. En 2013, l’Italie a lancé Mare Nostrum, une opération de 114 millions d’euros visant à porter secours aux migrants, à réduire le trafic d’êtres humains et à renforcer la sécurité en Méditerranée. L’opération a permis de sauver 150 000 migrants et d’arrêter 330 trafiquants. Cependant, l’UE a cessé de financer cette opération un an plus tard, la replaçant par le programme Triton de la direction Frontex, beaucoup moins onéreux.

Triton n’est pas conçu pour les opérations de recherche et de sauvetage de migrants et ne cherche pas activement les embarcations en situation de détresse. C’est la raison pour laquelle il incombe à nouveau aux gardes-côtes italiens de porter secours aux migrants en Méditerranée. Souvent, cependant, le temps que ces bateaux rejoignent le périmètre des gardes-côtes italiens, il est déjà trop tard. Selon un report de l’UNHCR, depuis le début de l’année, 31 000 personnes ont tenté la traversée pour rejoindre l’Europe. Parmi elles, 8 500 ont été secourues par les gardes-côtes italiens et 900 se sont noyées. Ceci est d’autant plus préoccupant que la haute saison des migrations en Méditerranée a à peine commencé. Amnesty International indique que le nombre actuel de décès équivaut à « presque cinquante-trois fois ce qu’il était à la même période en 2014 ».

Avec de nombreuses autres organisations de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch a critiqué l’approche adoptée par l’UE pour faire face à cette récente vague d’immigration illégale : « Un véritable engagement en faveur de la vie [des réfugiés] et de leur protection ne devrait pas chercher avant tout à empêcher les départs ou à juguler le flot des personnes fuyant les conflits et les persécutions, mais devrait commencer par rétablir les opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée à leur niveau de 2014, au minimum », a déclaré Human Rights Watch dans un récent communiqué.

Le dernier plan de l’UE pour freiner cette tendance dangereuse de migrations illégales consiste à lancer des offensives militaires contre les trafiquants eux-mêmes dans les eaux libyennes. La proposition a été soumise à l’examen du Conseil de sécurité de l’ONU. Si elle est approuvée, les forces navales italiennes mèneront l’offensive, accompagnées par dix autres pays européens.

Pendant ce temps, la vie de centaines de migrants continue de dépendre des humbles pêcheurs de Zarzis.

« Bien sûr que nous les aidons », s’exclame Ahmed. « Que pouvons-nous faire ? Les laisser tomber ? Ils ne savent même pas nager. »

Traduction de l’anglais (original).

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