Les Rohingyas réfugiés au Bangladesh sceptiques sur leur retour en Birmanie
« Nous allons devoir rester ici pendant longtemps, peut-être des générations », confie, résigné, Ali, un Rohingya ayant trouvé refuge à Kutupalong, le plus grand camp de réfugiés du monde, situé à la pointe sud du pays à proximité de la frontière birmane.
L’accord entre la Birmanie et le Bangladesh signé en janvier dernier prévoyait au départ que quelque 750 000 réfugiés rohingyas puissent rentrer sur le territoire birman.
La Birmanie n’a validé pour l’heure que 675 noms sur une liste de 8 000 réfugiés soumise par Dacca, invoquant des problèmes avec les preuves de résidence en Birmanie fournies – une exigence intenable selon les ONG, les Rohingyas ayant souvent fui leurs villages dans la précipitation.
« Nous allons devoir rester ici pendant longtemps, peut-être des générations »
- Ali, Rohingya refugié au Bangladesh
Ce week-end, une première famille de cinq Rohingyas est rentrée en Birmanie, un retour très exploité médiatiquement en Birmanie avec photos des revenants dans la presse officielle.
Mais ce retour a été critiqué par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) comme « un exercice de relations publiques destiné à détourner l’attention des crimes commis ».
Et cette famille n’était selon le Bangladesh même pas entrée en territoire bangladais mais vivait dans le « no man’s land » entre la Birmanie et le Bangladesh.
« Ils n’ont pas réussi à créer les bases de la confiance », critique lui aussi Asaduzzaman Khan, le ministre bangladais de l’Intérieur, dans une interview à l’AFP.
Et pendant ce temps, le Bangladesh, déjà l’un des pays les plus pauvres et les plus densément peuplés du monde, croule sous la charge.
Car au total, c’est près d’un million de membres de cette communauté persécutée en Birmanie qui ont trouvé refuge au Bangladesh ces dernières décennies.
Les générations de réfugiés se succèdent, de ceux ayant fui la répression de la junte militaire birmane à la fin des années 70 aux 700 000 partis depuis 2017.
Ceux qui sont sur la liste des 8 000 candidats au retour proposée par Dacca n’ont même pas été informés. « Nous n’avons pas essayé d’obtenir leur approbation », explique benoîtement à l’AFP un haut responsable bangladais, sous couvert de l’anonymat.
Dacca a sa part de responsabilité dans le chaos administratif : certains détails exigés par les Birmans, comme l’adresse du père du chef de famille, n’ont pas été donnés dans les fiches.
Sécurité et citoyenneté
Les Rohingyas espérant rentrer malgré toutes ces embûches expliquent que la garantie de leur sécurité est leur souci principal.
« [Ce retour est] un exercice de relations publiques destiné à détourner l’attention des crimes commis »
- Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH)
Ils exigent aussi que la citoyenneté birmane leur soit rendue. La junte militaire longtemps au pouvoir les en a privés en 1982, en faisant des citoyens de seconde zone, privés d’accès à l’éducation et aux soins.
« Nous ne rentrerons pas sans la citoyenneté et la sécurité... Sinon, ils vont nous remettre dehors », résume Mohammad Sadek, un Rohingya de 24 ans ayant trouvé refuge à Kutupalong.
Le Bangladesh, qui a fait scandale avec son projet de parquer les Rohingyas sur une petite île inondée pendant la mousson, assure que l’enregistrement biométrique en cours du million de réfugiés rohingyas qui se trouvent dans le pays permettra de procéder à un retour d’ampleur.
Mais la sincérité de la Birmanie quant à sa volonté d’accueillir les candidats au retour est remise en question par les Rohingyas, désillusionnés par des décennies d’exils entrecoupés de courts retours.
« Revenez et appréciez » à quel point la Birmanie a « changé », a lancé le ministre birman des affaires sociales Win Myat Aye lors d’une récente visite à Kutupalong.
« L’armée persécute toujours la population rohingya », a contesté la communauté rohingya locale dans une lettre.
Ceux qui rentrent doivent aussi accepter de se voir attribuer des papiers d’identité les qualifiant de « Bengalis » et non de « Rohingyas ».
Les Birmans, qui ont fait des Rohingyas leur bête noire, ne supportent pas l’emploi du terme « Rohingya », revendiqué par une communauté qu’ils considèrent comme des immigrés illégaux du Bangladesh voisin, d’où le mot « bengali ».
Le plan actuel ne prévoit pas de retour dans les villages originels, mais dans des camps de transit, où les candidats au retour ont peur de se retrouver coincés.
« Nous ne rentrerons pas pour vivre dans des camps là-bas. C’est mieux d’être dans des camps ici », soupire Mohammad Ihaya, Rohingya de 23 ans.
par Aidan Jones en collaboration avec Sam Jahan et Shafikul Alam, à Dacca (Bangladesh)
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