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L’interdiction israélienne d’un parti islamique marque un « tournant dangereux »

Selon les dirigeants palestiniens en Israël, Netanyahou exploite les attentats de Paris pour « fermer la porte » à l’activité politique de la minorité
Le leader du Mouvement islamique en Israël, le cheikh Raed Salah, à la sortie d’un tribunal de Jérusalem (AFP)

NAZARETH, Israël – La décision prise par le gouvernement israélien mardi d’interdire le principal mouvement islamique du pays marque un tournant dangereux dans les relations d’Israël avec son importante minorité palestinienne, ont prévenu les dirigeants palestiniens en Israël.

Cette décision pousse à la clandestinité un mouvement religieux, politique et social représentant les opinions d’une partie non négligeable des 1,6 million de citoyens palestiniens d’Israël, soit un cinquième de sa population.

Jamal Zahalka comptait parmi les membres palestiniens du parlement israélien qui ont qualifié cette décision de « déclaration de guerre » contre la minorité palestinienne du pays.

« Il s’agit d’une attaque non seulement contre la branche nord du Mouvement islamique, mais contre l’ensemble de notre communauté », a-t-il déclaré à Middle East Eye.

Avec d’autres dirigeants de la communauté, ils ont noté que le Mouvement islamique n’a pas eu recours ni appelé à la violence. Selon lui, l’interdiction a été motivée uniquement par le programme extrémiste du Premier ministre Benjamin Netanyahou et de la droite israélienne.

« Netanyahou est un leader qui a besoin de se créer des ennemis », a déclaré Zahalka. « Le récent accord des États-Unis avec l’Iran l’a privé de son principal croque-mitaine. L’Autorité palestinienne l’aide en matière de sécurité en Cisjordanie. Gaza est calme. Alors il fait des citoyens palestiniens du pays un ennemi.

« Lors des élections [en mars], il a commencé sa lamentable provocation en disant que nous sortions voter ‘’en masse’’ ». Désormais, il a le Mouvement islamique dans son viseur. Mais il ne s’arrêtera pas là. »

Il y a deux ans, Netanyahou avait évoqué pour la première fois ses plans pour démanteler la branche nord du Mouvement islamique, dirigé par le charismatique cheikh Raed Salah.

Cependant, la peur de la condamnation internationale, ainsi que les conseils de ses services de renseignement expliquant qu’une telle mesure ne pouvait pas être justifiée par des raisons de sécurité, ont semblé avoir arrêté sa main.

Déclarée « organisation illégale »

Asad Ghanem, professeur de sciences politiques à l’Université d’Haïfa, a déclaré que Netanyahou avait commencé à exploiter les attentats de Paris vendredi dernier, lesquels ont été revendiqués par l’État islamique (EI) et ont fait 129 morts.

« Il établit une comparaison totalement fausse entre le Mouvement islamique et les groupes islamiques armés les plus violents afin de convaincre les Européens que ceci est lié à leur lutte contre le terrorisme », a-t-il déclaré à MEE.

Déclarant la branche nord du Mouvement islamique comme « organisation illégale », Netanyahou a affirmé que celle-ci « nie le droit [d’Israël] à exister et appelle à la création d’un califat islamique à sa place ».

Tôt mardi matin, la police a perquisitionné les bureaux du siège du mouvement à Umm al-Fahm, ainsi que des dizaines d’organisations caritatives et d’assistance sociale islamiques dans des communautés palestiniennes telles que Nazareth, Jaffa, Kfar Kana, Turan, Beersheva et Rahat.

Environ dix-sept organisations connexes ont également reçu l’ordre de cesser leurs activités. Les dirigeants du groupe ont été convoqués pour interrogatoire. Des ordinateurs et des documents ont été saisis et les comptes bancaires de ces organisations gelés.

Ghanem a indiqué que cette décision signale aux citoyens palestiniens qu’ils « ne peuvent participer au processus démocratique ».

Il a ajouté : « En plus d’être dangereux sur le plan politique, ce sera également considéré comme une attaque contre la foi islamique. Le mouvement finance et organise les associations étudiantes qui enseignent le Coran. Elles seront désormais traitées comme illégales. »

Ghanem a précisé que le Mouvement islamique n’avait rien changé ces dix dernières années. « La seule chose qui a changé, c’est l’extrémisme politique de Netanyahou et de son gouvernement. »

Mesure draconienne

Adalah, un groupe juridique pour les Palestiniens en Israël, a déclaré que l’ordre du ministre de la Défense, Moshe Yaalon, reposait sur des dispositions d’exception datant du mandat britannique.

La décision menace d’arrestation et d’emprisonnement toute personne qui continue à être impliquée avec l’organisation ou lui offre des services informatiques.

Adalah l’a qualifiée de « mesure draconienne et agressive » qui « réprime un mouvement politique qui représente une grande partie de l’opinion publique palestinienne en Israël ».

Salah a dénoncé cette interdiction, disant que son mouvement continuera à défendre Jérusalem et le complexe de la mosquée al-Aqsa des « menaces israéliennes ».

Pendant plus de dix ans, Salah a affronté les responsables israéliens en menant une campagne sous le slogan « al-Aqsa est en danger », avertissant qu’Israël cherche à éroder la souveraineté islamique dans la zone de la mosquée.

En septembre, le gouvernement a interdit les mourabitoun, étudiants musulmans envoyés par le Mouvement islamique dans l’enceinte d’al-Aqsa. Ils avaient régulièrement affronté les extrémistes juifs de plus en plus nombreux autorisés à pénétrer dans la zone par les autorités israéliennes.

Netanyahou et d’autres ministres ont accusé Salah d’incitation à la haine et l’ont tenu responsable de la vague de protestations palestiniennes et des attaques perpétrées par des « loups solitaires », à l’arme blanche dans de nombreux cas, au cours de ces dernières semaines.

Salah a annoncé : « Je vais prendre toutes les actions légitimes possibles, en Israël et à l’étranger, pour lever les mesures prises contre le mouvement. »

Services sociaux menacés

Le Mouvement islamique a été fondé dans les années 70 à la fois comme un parti politique et un fournisseur de services religieux et sociaux. Il s’est scindé en deux factions au milieu des années 90, avec le refus de la « branche nord » de Salah de prendre part aux élections parlementaires.

L’organisation gère des crèches, des dispensaires, des mosquées, un journal et une ligue sportive.

C’est également un membre clé du Comité de suivi, seul organisme national représentant la minorité palestinienne. Mohammed Barakeh, à la tête du comité, a déclaré que le Mouvement islamique continuera à y prendre part au mépris de cette interdiction.

Il y a seulement une quinzaine de jours, le quotidien israélien Haaretz a rapporté qu’une enquête d’un an du service de renseignement intérieur israélien, le Shin Bet, n’avait pas permis de trouver de raisons de sécurité justifiant la fermeture de l’organisation.

Deux ministres du gouvernement ont confié au journal que Yoram Cohen, le chef du Shin Bet, avait dit au cabinet de sécurité qu’il était opposé à toute initiative visant à criminaliser les plus de 10 000 membres du mouvement. Cela ferait « plus de mal que de bien », leur aurait-il dit.

Ghanem a déclaré que l’avis du Shin Bet reposait sur le constat que permettre au Mouvement islamique de fonctionner « assurait que ses activités politiques étaient plus ouvertes et plus conventionnelles et permettrait d’éviter qu’il soit contraint de passer dans la clandestinité ».

« L’adoption du point de vue opposé par Netanyahou nous montre qu’il s’agit d’une décision politique, pas sécuritaire. »

Zahalka et Ghanem ont tous deux déclaré qu’ils craignaient que Netanyahou cible ensuite le parti nationaliste démocratique de Zahalka, Balad. Le mois dernier, le Premier ministre israélien a accusé le parti Balad de conspirer avec le Hamas et l’État islamique.

Allégations de liens terroristes

Le gouvernement a immédiatement lancé une campagne médiatique insinuant que le mouvement de Salah avait agi de connivence avec le « terrorisme » contre Israël.

Un document publié par le bureau de Netanyahou indiquait que le groupe était « affilié à l’organisation terroriste Hamas. Ces organisations coopèrent secrètement et activement. »

Le ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan, est allé plus loin, arguant : « Le Mouvement islamique, le Hamas, Daech et les autres organisations terroristes ont un programme idéologique commun qui conduit à des attaques terroristes dans le monde et à la vague d’attentats terroristes en Israël. »

Ghanem a jugé absurde de prétendre que le Mouvement islamique avait des points communs avec l’État islamique.

Il a également observé que, bien que le Mouvement islamique et le Hamas partagent une même idéologie politique et religieuse, le groupe de Salah a renoncé à la violence et au militantisme dans la poursuite de ses objectifs.

Zeki Aghbaria, un porte-parole de la branche nord du Mouvement islamique, a qualifié cette caractérisation de l’organisation par le gouvernement de « provocation politique ».

« Aujourd’hui, je me suis soudain rendu compte que j’étais devenu un criminel », a-t-il déclaré à MEE. « Cela signifie qu’ils viennent criminaliser tout soutien à la défense d’al-Aqsa ou au peuple palestinien sous occupation ou à l’égalité des droits pour les citoyens palestiniens en Israël, ou à la fourniture d’aide sociale aux étudiants et aux personnes handicapées. »

En fait, cette décision met le Mouvement islamique sur un pied d’égalité avec le mouvement Kach, un groupe extrémiste juif interdit dans les années 90 après que l’un de ses membres, Baruch Goldstein, a abattu 29 fidèles dans la mosquée Ibrahimi à Hébron.

Les membres du Kach, qui sont encore fortement présents dans certaines colonies en Cisjordanie, appellent à la violence contre les Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés et exigent leur expulsion.

« Persécution anti-démocratique »

Ayman Odeh, le chef de file de la Liste unifiée rassemblant tous les partis palestiniens au parlement, a déclaré de cette initiative contre le Mouvement islamique : « Il s’agit incontestablement d’un cas de persécution politique et anti-démocratique qui fait partie de la campagne de délégitimation menée par le gouvernement de Netanyahou à l’encontre des citoyens arabes du pays ».

Cependant, la décision a bénéficié du soutien écrasant des partis juifs israéliens, y compris le principal parti d’opposition de centre-gauche, l’Union sioniste.

Le timing de l’annonce de Netanyahou profite du climat de plus en plus hostile à l’activisme politique islamique aux niveaux local, régional et international.

Compte tenu de l’état d’esprit en Europe et aux États-Unis après les attentats de Paris, Netanyahou peut probablement compter sur la communauté internationale pour ne pas examiner de trop près les comparaisons entre le Mouvement islamique, le Hamas et l’État islamique.

À l’échelle régionale, le Mouvement islamique est quant à lui au plus bas. Son organisation sœur, les Frères musulmans, a été interdite en Égypte voisine, tandis que Le Caire aide Israël à isoler le Hamas à Gaza.

Par ailleurs, au niveau local, le public juif israélien veut un responsable sur lequel rejeter la faute après des semaines d’attaques palestiniennes (notamment des attaques au couteau) à Jérusalem, en Cisjordanie et en Israël.

Les services de renseignement ont admis qu’ils ont peu d’idée de la façon de gérer les « loups solitaires », ces Palestiniens affiliés à aucune faction politique qui sont derrière la plupart des attaques.

Zahalka a déclaré que Netanyahou voulait un bouc émissaire et en avait trouvé un idéal dans Salah. Dans des déclarations mardi, Netanyahou a mis les semaines d’agitation sur le compte de ce qu’il appelle l’« incitation » à la haine du Mouvement islamique à propos du statu quo à al-Aqsa.

Sammy Smooha, sociologue à l’Université d’Haïfa, a déclaré aux journalistes que ses sondages ont montré que 42 % des citoyens palestiniens s’identifiaient au Mouvement islamique.

La semaine prochaine, Salah devrait aller en prison pour onze mois après avoir été reconnu coupable par un tribunal israélien d’incitation à la haine au cours d’un sermon prononcé à Jérusalem en 2007. C’est sa dernière condamnation à une peine de prison en date.

 

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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