L’oppression en Égypte est « pire qu’avant », mais peu ont envie de combattre
Il y a cinq ans, environ deux millions d’Égyptiens sont descendus dans les rues de la capitale pour exiger la fin du gouvernement de Hosni Moubarak, mais on n’attend pas de tel spectacle cette fois-ci.
Au lieu de célébrer le cinquième anniversaire de l’insurrection du 25 janvier, de nombreux jeunes égyptiens disent qu’ils resteront chez eux et pleureront la mort de leur révolution, laquelle a selon eux été marquée par les violations des droits de l’homme et une répression étatique croissante.
« Nous ne manifestons pas aujourd’hui parce que c’est inutile… plus de gens mourraient et seraient envoyés en prison », a déclaré Amal Sharaf, porte-parole du mouvement du 6 avril, une des principales forces à l’origine des manifestations de 2011 qui ont renversé l’ancien homme fort.
Bien que personne ne s’attendait à ce que la transition vers la démocratie se fasse sans à-coups, de nombreux militants affirment que la situation est plus dangereuse qu’elle ne l’était sous Moubarak.
Pendant la révolution, les militants et les manifestants ont pris des risques. Pendant des semaines, ils ont enduré l’intimidation et les violences des autorités. Selon des responsables du ministère de la Santé, plus de 840 personnes ont été tuées et près de 6 500 blessées, mais jour après jour ils sont venus protester.
De nombreux vétérans du 25 janvier disent qu’ils ont perdu leur zèle révolutionnaire et ont été usés par des années de répression et de brutalité policière accrue.
« Au cours de l’ère Moubarak, le pire qui pouvait arriver c’était d’être [arrêté et] torturé pendant quelques jours, tandis qu’[ils menaient leur enquête] sur la sécurité nationale », a expliqué Amal Sharaf. « Maintenant, [le gouvernement] kidnappe, rend des verdicts insensés et fabrique des accusations. »
« L’heure n’est pas à davantage de confrontations. L’oppression dont nous sommes témoins aujourd’hui est pire que tout ce que nous avons vu auparavant », a-t-elle poursuivi.
Environ la moitié des membres du mouvement du 6 avril et d’autres figures révolutionnaires ont été emprisonnés, tandis que les autres sont menacés de détention, d’après Amal Sharaf. À l’approche de cet anniversaire, trois leaders ont été arrêtés et emprisonnés pour avoir appelé les gens, via les médias sociaux, à retourner place Tahrir.
L’alliance anti-coup d’état, composé essentiellement des Frères musulmans et de divers partis islamistes, avait tenté de relancer le mouvement, appelant à une vague de manifestations surnommées « Together We Stand » avant cet anniversaire mais, jusqu’ici, peu ont répondu leur appel, le groupe Students Against the Coup (Étudiants contre le coup d’état) a rapporté de petites manifestations « contre les atteintes commises par la police » dans différents gouvernorats, y compris Sharqeya, Qalyubiya, Beheira et Gharbeya.
Après la chute de Moubarak, la puissante armée égyptienne a pris le contrôle jusqu’à la tenue des élections. Lorsque le vote a eu lieu en 2012, le candidat des Frères musulmans Mohammed Morsi a été élu président de peu lors d’élections largement acceptées comme libres et équitables. Sa courte présidence a été mouvementée, marquée par des problèmes économiques et une peur profonde de la domination islamiste.
Un an plus tard, des centaines de milliers de personnes sont une fois de plus descendues dans les rues pour exiger le départ de Morsi. L’armée a surgi, prétendant représenter la volonté du peuple, l’a destitué et emprisonné.
Peu de ceux qui ont manifesté contre Morsi étaient prêts pour ce qui s’est passé après. Les groupes des droits de l’homme estiment que 40 000 personnes, principalement des partisans des Frères musulmans, ont été jetés en prison. Des centaines ont été condamnés à mort lors de procès de masse controversés, bien que certaines de ces sentences aient été annulées. Plus de 1 250 personnes sont mortes dans la répression policière des manifestations, pacifiques pour la plupart, ce que Human Rights Watch a qualifié de possibles crimes contre l’humanité.
Les Frères musulmans ont été les plus durement touchés, mais les groupes libéraux, de gauche et de la jeunesse ont également été la cible des mesures de répression de l’État. Le mouvement des Frères musulmans a été interdit et désigné comme « groupe terroriste » en 2013, le mouvement du 6 avril a également été interdit en 2014.
Dans la période qui a précédé le cinquième anniversaire de la révolution, le porte-parole des Frères musulmans, Mohamed Montaser, a déclaré dans un communiqué que le groupe soutenait « tout appel sincère qui cherche à restaurer les acquis démocratiques de la révolution : la liberté, la justice sociale et la dignité humaine, tout en assurant que les criminels putschistes recevraient une punition juste et rapide, la fin du coup d’état et le rétablissement de Mohamed Morsi en tant que président ».
« Un jour quelconque »
Iman, qui a refusé de donner son nom pour des raisons de sécurité, a déclaré à Middle East Eye qu’en 2014, elle a été arrêtée pour avoir manifesté sur le campus de l’Université al-Azhar et emprisonnée pendant des mois sans avoir été inculpée. La jeune femme a finalement été libérée, mais son université l’a expulsée.
« Tout le monde pense que ce [l’anniversaire] sera un jour quelconque… même si quelque chose arrive, cela n’aura aucun effet, cela va tout simplement arriver et passer », a-t-elle déclarée. « Ils vont peut-être libérer quelques personnes de prison… mais un changement réel, non. »
Le danger d’introduire la politique sur le campus – un vivier traditionnel de changement – a incité de nombreux jeunes à céder. Durant l’année scolaire 2014/2015, les forces de sécurité ont arrêté au moins 761 étudiants, dont beaucoup au sein et autour de leurs campus universitaires et d’autres chez eux, selon l’Association for Freedom of Thought and Expression (AFTE).
« C’est le mieux que nous pouvons espérer pour l’instant, que les peines prononcées contre [les étudiants] soient abandonnées et que nous puissions revenir à l’université », a déclaré Iman.
Mohamed Abdelsalam, un chercheur spécialiste des mouvements étudiants et de la liberté académique avec l’AFTE, a indiqué qu’il n’y avait pas d’appels importants à des manifestations estudiantines à la date anniversaire.
Au lieu de cela, ils choisissent d’agir par d’autres moyens, moins conflictuels.
« Les étudiants islamistes et des Frères musulmans, en général, n’ont pas la capacité de sacrifier davantage d’étudiants et évitent les manifestations », a déclaré Mohamed Abdelsalam, ajoutant que de nombreux étudiants de ces mouvements avaient déjà été tués ou arrêtés.
D’autres groupes d’étudiants tentent de se ménager de petits espaces où ils peuvent commencer à opérer. Le groupe des Socialistes révolutionnaires et les étudiants soutenant le parti libéral al-Dostour ont déplacé leur travail politique vers les élections aux syndicats étudiants, en essayant d’étendre la sensibilisation sur des questions telles que les prisonniers politiques et les libertés démocratiques.
Malgré peu d’attentes concernant une quelconque action le 25 janvier, les forces de sécurité ont continué à arrêter des militants. « L’État est vraiment nerveux et tendu, car il comprend qu’il ne dispose pas d’une vraie légitimité », a déclaré Mohamed Abdelsalam.
De nouvelles lois sévères
Les habitants du centre du Caire près de la place Tahrir se sont plaints sur les médias sociaux les 16 et 17 janvier que les forces de sécurité avaient perquisitionné des maisons dans le quartier et fouillé leurs téléphones mobiles et leurs ordinateurs portables. Des sources gouvernementales ont déclaré aux organes de presse égyptiens qu’ils « avaient inspecté » 5 000 appartements dans le cadre de plans de sûreté avant l’anniversaire.
Le ministère égyptien des Affaires étrangères a écrit sur les « réalisations de la révolution du 25 janvier » sur un hashtag qu’il a appelé « l’Égypte d’aujourd’hui est mieux ». Sous ce slogan, le ministère a indiqué « la garantie des droits et de la participation politiques ».
Le nouveau parlement égyptien doit examiner les lois décrétées en son absence sous l’égide de l’ancien président par intérim Adli Mansour et l’actuel président Abdel Fattah al-Sissi. Des organisations de défense des droits ont appelé les parlementaires à rejeter la loi sur les manifestations mais les lois controversées sur l’anti-terrorisme et la prison ont déjà été ratifiées.
La loi sur l’anti-terrorisme met en place des tribunaux spéciaux, impose de nouvelles sanctions aux personnes impliquées dans des activités « liées au terrorisme » et punit la publication de « fausses informations ou de données » qui contredisent « les données officielles ».
Les groupes des droits locaux et internationaux ainsi que des journalistes ont critiqué cette loi parce qu’elle peut cibler quiconque s’oppose au récit officiel du gouvernement. La loi sur la prison, d’autre part, a été critiquée parce qu’elle renforce le droit pour l’administration pénitentiaire de recourir à la force contre les détenus.
Le cabinet a également approuvé un projet de loi criminalisant les « symboles terroristes », a rapporté plus tôt ce mois-ci l’agence de presse publique MENA. La loi cible plus spécifiquement les symboles des Frères musulmans et du 6 avril tels que les quatre doigts commémorant le massacre de Rabaa et le poing fermé qui symbolise le mouvement du 6 avril.
Amal Sharaf a déclaré que, quelle que soit la situation actuelle, une « vague révolutionnaire est inévitable même si elle ne se produit pas le 25 janvier… parce que [l’]oppression est nuisible et parce que tous les motifs pour lesquels les gens ont manifesté [en 2011] sont toujours là et c’est même encore pire ».
Malgré tout cela, elle a conclu : « le 25 janvier sera toujours le plus grand jour dans l’histoire ».
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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