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Maroc : comprendre les élections en cinq questions

Les enjeux du scrutin, les favoris, le poids de l’abstention... : petit décryptage pour suivre les élections législatives qui se tiennent aujourd’hui au Maroc
Abdelilah Benkirane, le Premier ministre et secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), favori dans cette élection, en meeting en septembre à Rabat (AFP)
Par MEE

Quels sont les enjeux du scrutin ?

Ces élections législatives sont une échéance électorale importante : 395 sièges sont à pourvoir au parlement et pour y prétendre, un parti a besoin de recueillir au moins 3 % des suffrages. Les dernières législatives se sont tenues en novembre 2011 et avaient été remportées par le Parti de la justice et du développement (PJD).

Selon les termes de la nouvelle Constitution, adoptée en 2011 dans le sillage du Printemps arabe, le parti vainqueur prend la tête du gouvernement de coalition.

Pour les partis en général, « il y a en jeu une présence au parlement, des postes de ministres, l’intégration de leur élite dans les institutions », explique à MEE Omar Brouksy, professeur de droit constitutionnel et de droit public à l’Université de Settat, et auteur de Mohammed VI derrière les masques. Le fils de notre ami.

Pour le PJD en particulier, cette élection est un test : selon le score réalisé, il pourra mesurer si sa popularité présumée est réelle ou pas, s’il reste la première force politique du pays.

L’autre enjeu de ce scrutin, c’est l’abstention, d’habitude très élevée. « La tendance est lourde : les Marocains s’inscrivent moins, se déplacent moins pour voter et mettent de plus en plus de bulletins nuls dans l’urne, alors même que l’offre politique devient, à chaque élection, plus pléthorique », relève Le Maroc vote, un guide diffusé au mois d’octobre, réalisé sous la direction de Nabil Mouline, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

D'autant que très peu de Marocains votent. Seuls 15,7 millions de personnes, sur presque 34 millions d’habitants, sont inscrites sur les listes électorales, une démarche obligatoire pour voter. « Si on prend en compte les votes blancs, les Marocains ne sont que 20 à 25 % à voter », estime l’économiste Abdelkader Berrada, joint par Middle East Eye

Pour comprendre de quelle manière l’abstention modèle les résultats, il faut regarder les chiffres. « En 2011, la victoire du PJD n’était pas le résultat d’un raz-de-marée. Le parti n’a en réalité obtenu que 10 % des votes exprimés [sur 45 % de votants] », relativise Omar Brouksy.

Quels sont les principaux acteurs ?

Les trois plus grands partis du paysage politique – le PJD (islamistes toutes tendances), le Parti authenticité et modernité (PAM, socio-libéral) et le Parti Istiqlal (PI, nationalistes de droite) – sont les seuls à présenter des listes dans les 92 circonscriptions du pays.

Derrière, suivent les formations de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), le Parti du progrès et du socialisme (PPS, communistes) et la Fédération de la gauche démocratique (FGD). Puis le Rassemblement national des indépendants (RNI), le Mouvement populaire (MPE), l’Union constitutionnelle (UC) et les sans appartenance politique.

Dans le groupe des formations les moins représentées (moins de 70 listes) : le Front des forces démocratiques (FFD), le Mouvement démocratique et social (MDS), l’Alliance Al Ahd et du renouveau, le Parti des néo-démocrates et le Parti de la réforme et du développement.

Sur les 395 sièges, 90 seront réservés à ce qu’on appelle la « liste nationale » composée de femmes et de jeunes. « Au début considérée comme un mécanisme d’intégration, cette liste est aujourd’hui très controversée car elle est devenue une rente pour les proches des dirigeants des partis », poursuit Abdelkader Berrada.

Un parti, le Parti libéral marocain (PLM), et un mouvement islamiste, Al Adl wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), tous les deux marginaux, ont décidé de boycotter les élections. Pour le premier, « le pouvoir marocain n'est pas prêt pour une véritable alternance » et n'offre aux Marocains qu'un choix « entre le pôle conservateur réactionnaire et un pôle faussement moderniste autoritariste ». Pour le second, la Constitution « despotique dans le texte et dans la pratique ne permet pas des élections démocratiques ». 

La très médiatique Fédération de la gauche démocratique peut-elle créer la surprise ?

À Casablanca ou à Rabat, peut-être. Mais probablement pas à l’échelle du pays. Le mouvement, qui réclame une nouvelle Constitution pour que soit mise en place une monarchie parlementaire, « a compris que des changements étaient possibles à l’intérieur du système et que la politique de la chaise vide, menée pendant des années, n’a pas payé », souligne Omar Brouksy.

Mais selon Ali Amar, fondateur du site d’information ledesk.ma, « cette sympathique ‘’troisième voie’’ menée par Nabila Mounib » est « inaudible et loin d’être en capacité de mobiliser les masses populaires. Son discours, ses idées, ses aspirations sont salutaires, mais son programme économique parcellaire et non abouti – par son rejet fondamental de la social-démocratie, ressassant des idées moribondes puisées dans la littérature altermondialiste – démontre une réalité indépassable : ses leaders ne sont pas encore aptes à conquérir la moindre once de pouvoir. »

Pour les électeurs, les programmes font-ils la différence ?

Non. Les grandes orientations de la politique du gouvernement (en matière d'économie, de défense, d'aménagement du territoire, etc.) sont définies par le roi et aucun parti ne les remet en cause. 

« Les élections se jouent moins sur les programmes que sur les personnes », explique Mohammed Tozy, enseignant en sciences politiques à l'Université de Casablanca et à Sciences Po Aix (en France).

« Ce qui se joue dans la confrontation PJD-PAM n'est pas lié à la gestion politique mais à des projets de société. Celui du PJD est plutôt conservateur, celui du PAM, plus progressiste. La victoire de l'un ou de l'autre dessinera pour les cinq prochaines années la tendance sur les questions sociales, religieuses, sur les valeurs. »

Pourquoi dit-on que tout est joué d’avance (que le PJD va gagner) ?

Parce que les projections faites sur la base des élections régionales de septembre (les sondages sont interdits dans le royaume) donnent le PJD gagnant. « Face à lui, le néant ou presque. Un quarteron de partis laminés ou préfabriqués et sur les ruines encore fumantes de la Gauche, la lueur vacillante de la Fédération de la gauche démocratique », résume Ali Amar dans son édito.

Le suspense se limite en réalité au face à face entre le PJD d’Abdelilah Benkirane et le PAM, créé en 2008 par Fouad Ali el-Himma, un conseiller du roi, et dirigé aujourd'hui par Ilyas el-Omari. Le PJD dirige depuis cinq ans une coalition gouvernementale avec des communistes, des centristes et des indépendants. Mais c’est le PAM qui a remporté le plus de voix aux dernières élections locales de 2015.

« Le résultat n’est pas joué d’avance, tout dépend du taux d’abstention et du vote en milieu urbain. Si les mécontents vont voter, ils iront voter contre le PJD », prévient l’économiste Abdelkader Berrada. « L’Union marocaine du travail [UMT, un des trois syndicats les plus influents] est sortie de sa réserve et a appelé à un vote sanction contre le gouvernement, du jamais vu depuis les années 60 ! »

Car le bilan du parti de Benkirane est très mitigé : en augmentant les prix du carburant de 25 % entre 2011 et 2014, les prix du gasoil de 30 %, les prix de l’eau et de l’électricité de 12 à 15 %, en réformant la Caisse marocaine des retraites (CMR), « des mesures qui n’ont été ni efficaces, ni justes socialement et qui ont affecté le pouvoir d’achat de la classe moyenne et des fonctionnaires », le gouvernement Benkirane se serait mis à dos de nombreux électeurs.

Il n’y a en tout cas pas de bouleversement politique majeur à attendre de ces élections. Comme le rappelle Omar Brouksy, « les décisions les plus importantes sont prises au Palais où le roi garde le contrôle sur l’exécutif – pendant que le gouvernement se contente de coordonner l’action entre les ministères ».

Le Palais mise sur le PAM, qui, lui-même « téléguidé par l’entourage royal et appuyé par des soutiens locaux importants, compte sur le pouvoir financier et social pour gagner les élections », souligne l’universitaire. Même si le PJD a fait beaucoup de concessions – en gardant le silence lorsque le Palais interdisait les rassemblements pacifiques ou arrêtait des militants –, la monarchie, par ailleurs un peu agacée par sa popularité, pense qu’il serait probablement plus facile de gouverner avec le PAM.

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