Maroc : des militants accusés d’atteinte à la sécurité nationale pour avoir utilisé une application
MARRAKECH, Maroc – Le procès de sept écrivains et activistes pro-démocratiques marocains vient d’être renvoyé à une date ultérieure, une fois de plus. Certains d’entre eux sont accusés de saper la sécurité nationale, dans un contexte de répression des défenseurs de la démocratie.
Tous les sept ont été accusés de promouvoir le journalisme indépendant, après avoir appris à des citoyens journalistes comment se servir Story Maker, application sur smartphone permettant de produire et publier des informations.
Cinq d’entre eux sont accusés d’atteinte à la sécurité nationale et encourent cinq ans de prison. Les deux autres sont accusés d’avoir reçu des financements de l’étranger pour porter atteinte à l’image du Maroc.
« C’est un procès politique », affirme Maâti Monjib, historien marocain à l’Université Mohammed V à Rabat, qui fait partie des prévenus accusés d’atteinte à la sécurité nationale. « Le but c’est de nous faire taire ».
Un tribunal de Rabat a ajourné mercredi le procès, pour la neuvième fois en deux ans.
« C’est un procès politique… Le but c’est de nous faire taire »
- Maâti Monjib, accusé
Cet ajournement n’est qu’une tactique visant à intimider les prévenus, affirme Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch (HRW).
« Ce n’est pas la première fois que les autorités marocaines maintiennent leurs poursuites judiciaires tout en retardant le procès pendant des années, afin qu’une épée de Damoclès menace le plus longtemps possible Maâti Monjib et ses co-accusés », dénonce-t-il.
Maâti Monjib – dont les recherches ont été publiées par des think tanks comme la Brookings Institution et The Carnegie Endowment for International Peace – est également membre de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation, et l’un des fondateurs du Centre Ibn Rochd d’études et de communication, fermé en 2014 suite aux pressions du gouvernement.
Il est co-fondateur de Freedom Now, une organisation qui défend la liberté d’expression et le journalisme indépendant. Il commente aussi régulièrement l’actualité marocaine dans les médias internationaux.
« En 2013, le régime a commencé à chercher à se venger de toute personne ayant participé au Mouvement du 20 février », précise-t-il, en référence aux manifestations de 2011 au Maroc, réclamant démocratie et autres réformes politiques et économiques.
Des ratés dans le changement
Suite à ces manifestations, le roi Mohammed VI avait semblé ouvert aux réformes, mais les critiques disent que le moteur du changement connaît des ratés.
« Le procès de Maâti Monjib et de ses collègues marque une étape de plus dans le long glissement continu vers un règne autoritaire flagrant, sans adjectifs pour le qualifier », déplore Abdeslam Maghraoui, professeur de sciences politiques à l’Université Duke (États-Unis) et expert d’Afrique du Nord.
« Les avocats de la démocratie au Maroc devront cesser de se faire des illusions quant à l’éventualité de réformes démocratiques venant d’en haut. Cela n’arrivera pas. »
« Les avocats de la démocratie au Maroc devront cesser de se faire des illusions quant à l’éventualité de réformes démocratiques venant d’en haut. Cela n’arrivera pas »
- Abdeslam Maghraoui, expert d'Afrique du Nord
Les groupes de défense des droits de l’homme ont dénoncé ce procès, à leurs yeux une nouvelle indication de l’érosion permanente des libertés au Maroc ces dernières années, puisque l’État a pris d’énergiques mesures de répression à l’encontre des voix pro-démocratiques enhardies par le Printemps arabe, il y a sept ans.
Cette année, plusieurs journalistes, dont des citoyens journalistes couvrant les troubles dans la région du Rif au nord du Maroc, ont été incarcérés.
Maâtib Monjib n’a appris qu’il faisait l’objet d’une enquête que lorsqu’il fut brièvement retenu et interrogé par les autorités en août 2015 à l’aéroport de Mohammed VI à Casablanca, lors de son retour d’un voyage à l’étranger.
La police l’a de nouveau interrogé au cours des semaines suivantes et, pendant quelque temps, on lui a interdit de quitter le pays.
Après l’avoir empêché de se rendre à Barcelone et en Norvège en 2015, il a, en octobre cette année, entamé une grève de la faim pour protester contre ce harcèlement et son interdiction de sortie du territoire – interdiction levée par la suite, mais il fut dans la foulée officiellement traduit en justice.
Le porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi, n’a pas souhaité répondre à nos demandes de commentaires.
Reporters sans Frontière (RSF), association de défense de la liberté d’expression et de la presse, a averti que l’état de la liberté d’expression au Maroc donnait le signe d’« un lent mais permanent déclin ».
Selon HRW, les autorités marocaines harcèlent des journalistes, organisent des procès partiaux, emprisonnent des journalistes et leur imposent de lourdes amendes pour les dissuader de mener des enquêtes critiques.
Puisque le code pénal punit toujours de peines de prison le discours non-violent, un grand nombre de journalistes marocains pratiquent l’autocensure.
L’article 206 du code pénal prévoit qu’une « personne se rend coupable d’atteinte à la sécurité publique intérieure [...] si elle reçoit, directement ou indirectement, [des soutiens de l’étranger en vue du financement, futur ou déjà effectif], d’une activité ou d’une propagande susceptible d’atteinte à l’intégrité, la souveraineté ou l’indépendance du royaume »
Maâti Monjib et ses coaccusés sont mis en examen au titre de cet article 206 du code pénal, qui déclare qu’ « une personne se rend coupable d’atteinte à la sécurité publique intérieure [...] s’il reçoit, directement ou indirectement, [des soutiens de l’étranger en vue du financement, futur ou déjà effectif], d’une activité ou d’une propagande susceptible d’atteinte à l’intégrité, la souveraineté ou l’indépendance du royaume ».
Fuite du Maroc
Ces dernières années, les dirigeants marocains ont muselé les organes de presse indépendants par le biais de boycotts publicitaires, entre autres moyens de pression sur les journalistes. En cas d’infraction, les peines se sont durcies, également. Toute critique de la famille royale ou de l’islam, par exemple, est un délit passible de peines de prison.
Trois des co-accusés ont fui le Maroc, dont Hicham Mansouri, jeune journaliste d’investigation et ancien collègue de Monjib.
En 2015, Mansouri a passé plusieurs mois en prison, accusé d’adultère, car il est illégal dans ce pays d’avoir des relations sexuelles hors mariage. Plusieurs groupes de droits de l’homme maintiennent que ces accusations avaient des motivations politiques.
« Je ne veux pas passer cinq ans de ma vie en prison dans des conditions infernales. Je préfère me consacrer à ma thèse de doctorat »
- Hicham Mansouri, accusé
Le jour après sa sortie de prison, Mansouri a quitté le Maroc. Il a passé quelques temps en Tunisie et en Pologne et réside maintenant à Paris, après avoir obtenu le statut de réfugié de la part des Nations unies. Il étudie maintenant les sciences politiques en France.
« J’ai perdu toute confiance en la justice marocaine », déplore Mansouri.
« Il n’est pas rassurant de constater que le juge qui m’a mis en prison – malgré le grand nombre d’arguments motivés présentés par mes avocats et mes voisins – est aussi celui en charge de mon procès. Je n’ai pas envie de passer cinq ans de ma vie en prison dans les conditions infernales. Je préfère me consacrer à ma thèse de doctorat. »
Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabiès.
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