Ménaka, un concentré de tous les maux du Mali
Truelle en main, le gouverneur en uniforme et le maire en boubou jaune ceint d’une écharpe tricolore posent en cette fin juin une symbolique première pierre. Vétuste et étriqué, le marché de Ménaka, ville poussiéreuse perdue dans le désert du nord-est malien, va être rebâti, équipé d’un point d’eau et de latrines, et même électrifié.
« Ça nous fait plaisir que le marché évolue, parce qu’il n’y a pas assez de place pour tout le monde », approuve Issa Maïga, un commerçant de 54 ans, un œil sur la cérémonie officielle, l’autre sur son étal de patates douces et d’oignons.
Sous le soleil écrasant, la ville, proche de la frontière nigérienne, semble fondue dans le désert. De l’étendue ocre rouge émergent des maisons de torchis, égayées de volets vert d’eau ou de terrasses dentelées. Nichés dans les acacias, des lambeaux de plastique noir prennent des airs de corbeaux.
« C’est bien de commencer par-là, car le marché c’est le cœur de la ville », où s’échangent marchandises et nouvelles, observe le gouverneur, Daouda Maïga. D’autres chantiers doivent suivre dans la région : un abattoir et un marché à bétail – très attendus par des habitants qui vivent à 80 % de l’élevage –, des centres de santé, des adductions d’eau.
Ces projets sont financés par l’Agence française de développement (AFD), qui concentre ses dons à l’Afrique notamment sur la bande sahélienne, de la Mauritanie au Tchad, avec un effort tout particulier pour le Mali. Parmi les autres acteurs européens, l’UE et l’agence de coopération allemande sont également très présentes dans la région.
Seul du personnel local peut y travailler et les rares visites de bailleurs ou de journalistes étrangers se font sous stricte escorte militaire
« Dans les zones dégradées du Sahel, l’État est bien souvent absent ou fragilisé », explique Philippe Chedanne, directeur régional de l’AFD pour le Sahel, « on essaye de faciliter le financement et la mise en œuvre d’activités simples et rapides, qui correspondent aux besoins des populations ». Avec un objectif clé : empêcher les islamistes armés de regagner le terrain repris par les militaires.
À Ménaka, située à 1 500 kilomètres de la capitale et longtemps délaissée par le pouvoir central, les besoins sont énormes. Sous l’afflux des déplacés, la population de la ville, devenue en 2016 capitale d’une des deux nouvelles régions administratives du nord, a gonflé à quelque 30 000 habitants.
Mais la tâche est ardue pour les ONG chargées de conduire ces projets dans une région minée par l’insécurité. Seul du personnel local peut y travailler et les rares visites de bailleurs ou de journalistes étrangers se font sous stricte escorte militaire.
« La racine de tout ça, c’est le chômage »
« La semaine dernière, il y a eu un mort toutes les nuits et plusieurs cambriolages. Tous les axes pour quitter Ménaka sont très dangereux, avec des coupeurs de route partout. Ils prennent tout, sinon ils tuent », déplore Mohamed Agali, chargé de projets de développement auprès des autorités transitoires régionales.
L’unique ambulance du seul hôpital de la région est garée tous les soirs dans l’enceinte du gouvernorat pour décourager les braqueurs, qui ont déjà volé la quasi-totalité des motos du personnel de santé, rapporte un autre responsable régional.
« Tous les axes pour quitter Ménaka sont très dangereux, avec des coupeurs de route partout. Ils prennent tout, sinon ils tuent »
- Mohamed Agali, chargé de projets de développement
Les fonctionnaires, rares salariés, sont des cibles de choix. Du coup, la plupart des enseignants ont quitté la région, plus de la moitié des écoles sont fermées.
Un juge a été nommé mais refuse pour l’instant de s’installer à Ménaka, inquiet pour sa sécurité. Policiers et gendarmes sont moins d’une cinquantaine, réduits à une quasi-impuissance. Pour être jugés et emprisonnés, les délinquants doivent être emmenés à Gao, à plus de 300 kilomètres.
« Il y a trop d’armes, même au marché les gens sont armés », soupire Bachar al-Moustafa, étendu sur une natte derrière un gros sac de tabac à chiquer qu’il vendait en cachette du temps de la mainmise des groupes armés sur le nord en 2012.
« Ce sont nos fils qui font du banditisme. La racine de tout ça, c’est le chômage », estime Adizatou Anaby, présidente de la Coordination des associations de femmes et d’ONG (CAFO) de Ménaka.
La ville est un concentré des maux du Mali. Tombée avec le reste du nord sous la coupe d’une coalition entre la rébellion touareg et des groupes islamistes armés qui ont rapidement évincé les rebelles, elle a plusieurs fois changé de mains après l’intervention française de 2013.
Signataires d’un accord de paix en 2015 avec le gouvernement, ex-rebelles et groupes pro-Bamako s’en sont disputé le contrôle à plusieurs reprises. En raison des retards persistants dans l’application de l’accord qui prévoit leur intégration dans l’armée malienne ou leur démobilisation, leurs combattants attendent, l’arme au pied.
Et les tensions intra et intercommunautaires sont légion. Interrompant une réunion au gouvernorat, des hommes en colère lancent non loin de là quelques rafales d’avertissement, faisant bondir les forces de sécurité.
« Le désarmement c’est le nœud gordien », insiste le gouverneur, « pour arriver à une paix, il faut que les armes se taisent ».
par Marie Wolfrom
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