Aller au contenu principal

Au Maroc, des femmes s’imposent dans l’univers masculin de la musique gnaoua

Le festival gnaoua musiques du monde qui s’est tenu fin juin à Essaouira a vu se confirmer une tendance : les femmes sont de plus en plus nombreuses à s’emparer de ce genre musical
Asma Hamzaoui, Casablancaise de 26 ans, est l’une des premières femmes à avoir investi ce milieu grâce à son père, un maâlem (maître) gnaoua qui l’a initiée dès son jeune âge (AFP/Fadel Senna)
Asma Hamzaoui, Casablancaise de 26 ans, est l’une des premières femmes à avoir investi ce milieu grâce à son père, un maâlem (maître) gnaoua qui l’a initiée dès son jeune âge (AFP/Fadel Senna)
Par AFP à ESSAOUIRA, Maroc

Elles s’appellent Asma, Hind ou encore Yousra. De jeunes Marocaines évoluent désormais dans le cercle fermé de la musique gnaoua, traditionnellement réservée aux hommes, donnant à cet art multiséculaire, inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, une impulsion nouvelle et inclusive. 

« La tagnaouite [tradition de la musique gnaoua] a acquis une renommée mondiale avec son inscription à l’UNESCO [en 2019]. Pourquoi des femmes ne feraient-elles pas partie de cette dynamique ? », lance Asma Hamzaoui, rencontrée à Essaouira (sud-ouest) pendant le récent festival gnaoua et musiques du monde.

Cette Casablancaise de 26 ans est l’une des premières femmes à avoir investi ce milieu grâce à son père, un maâlem (maître) gnaoua qui l’a initiée dès son jeune âge. 

L’artiste marocaine Hind Ennaira, membre d’un groupe traditionnel gnaoua, lors de la 24e édition du Festival des musiques du monde Gnaoua à Essaouira, le 24 juin 2023 (AFP/Fadel Senna)
L’artiste marocaine Hind Ennaira, membre d’un groupe traditionnel gnaoua, lors de la 24e édition du Festival des musiques du monde Gnaoua à Essaouira, le 24 juin 2023 (AFP/Fadel Senna)

« Je l’accompagnais dans ses soirées dès l’âge de 7 ans. J’ai appris au fur et à mesure à jouer du guembri », un luth à trois cordes en peau de dromadaire, raconte la jeune femme qui a créé son propre groupe en 2012, Bnat Timbouktou (les filles de Tombouctou en dialecte marocain).

« Mon père a fait en sorte que j’apprenne le maximum de choses avant que je ne prenne mon propre envol », se souvient-elle.

À Essaouira, la formation exclusivement féminine – Asma Hamzaoui au chant et au guembri et quatre joueuses de qraqebs, les fameuses castagnettes en acier typiques du genre gnaoua – a enflammé le public, aux côtés des Amazones d’Afrique, un groupe féminin malien. 

« C’est exceptionnel de voir des femmes jouer de la musique gnaoua, qui ne devrait pas rester dans le giron des hommes. Elles donnent un nouveau souffle à cette musique », s’exclame Hamza Tahir dans le public. 

« Nourrir l’esprit »

Sur les pas de Bnat Timbouktou, Hind Ennaira, une étoile montante de la tagnaouite, a décidé de tenter l’aventure depuis sa ville natale d’Essaouira. 

Cette citadelle fortifiée au bord de l’Atlantique est un vivier de cette tradition musicale mystique, où les invocations religieuses se mêlent à celles des ancêtres et des djinns, les esprits magiques.

Au fil du temps, cette musique, initialement portée par des descendants d’esclaves et dont les racines remontent au moins au XVIe siècle, est sortie de la sphère privée des lilates, des veillées accompagnées de rituels thérapeutiques, vers des manifestations publiques moins codifiées, comme des concerts et des festivals.  

Essaouira : la ville marocaine des vents entre en transe sacrée
Lire

« La ville d’Essaouira est la source de la tagnaouite. C’est un patrimoine très beau qui nourrit l’esprit. Il est important que des jeunes le valorisent », confie Hind Ennaira qui a appris à jouer du guembri aux côtés d’amis. 

La jeune femme, de la même génération qu’Asma Hamzaoui, a fait le choix de diriger un ensemble gnaoua traditionnel avec une étincelle électrique en intégrant un guitariste et un batteur aux joueurs de qraqebs

« Au début il y a eu des décalages, car ils n’étaient pas habitués à travailler avec une femme, mais après quelques durs exercices, ils se sont adaptés à moi et on est devenus complémentaires », affirme l’artiste.  

Des difficultés, Yousra Mansour, la tête d’affiche du groupe Bab L’bluz, qui fusionne gnaoua, rock et blues, en a également éprouvées dans le milieu musical.

« Il y avait deux contraintes pour moi : d’abord le fait que ce milieu soit habituellement réservé aux hommes mais aussi le fait d’interpréter une musique traditionnelle. Ce n’est pas très accepté ni même toléré par les ‘’rigoristes’’ », témoigne la musicienne présente à Essaouira. 

Musique spirituelle portée initialement par des descendants d’esclaves au Maghreb, le ganoua été inscrit sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2019 (AFP/Fadel Senna)
Musique spirituelle portée initialement par des descendants d’esclaves au Maghreb, le gnaoua a été inscrit sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2019 (AFP/Fadel Senna)

Des barrières qui ne l’ont pas empêchée de fonder avec le Français Brice Bottin Bab L’bluz (la porte du blues) dans le but de valoriser la musique gnaoua et ses instruments traditionnels. 

« On a remplacé la basse par le guembri et la guitare par l’awisha [un petit guembri] et on a créé une sorte de ‘’power trio’’ à la Jimi Hendrix avec des instruments traditionnels revisités », détaille Yousra Mansour.

La vocaliste de 32 ans défend avec ferveur les libertés des femmes. « Parce qu’en tant que femme je n’ai pas eu une vie très facile ».

« Il manquait de femmes dans ce milieu. Quand je vois Asma Hamzaoui ou Hind Ennaira, elles sont magnifiques, ce n’est pas facile d’évoluer dans un univers exclusivement masculin mais on voit le changement se profiler », se félicite-t-elle.

Par Kaouthar Oudrhiri.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].