Offensive à Mossoul : attentats-suicides, terre brûlée et adrénaline
KHAZER, Irak – Un pick-up vide et criblé de balles est immobilisé sur la route menant au village de Barzakat, à environ 15 km de Mossoul.
Mardi matin, le véhicule de l’État islamique (EI) a été stoppé par les combattants peshmergas armés de fusils automatiques. Huit militants de l’EI se trouvaient à son bord : quatre d’entre eux ont été abattus puis enterrés par les Kurdes à une centaine de mètres de là.
Les quatre autres sont parvenus à s’enfuir. Au moment d’écrire ces lignes, les combattants kurdes sont à leur recherche dans les ruines des villages voisins.
Les forces irakiennes et kurdes ont procédé à un important rassemblement sur la ligne de front orientale proche de la ville de Mossoul. Mais si les troupes semblent euphoriques, il subsiste une anxiété sous-jacente. Les plus proches positions de l’EI sont à 2 km.
« Par ici, tout est truffé de mines – absolument tout ! »
– Muquadem Saïd, officier kurde
À découvert, les troupes de la coalition irako-kurde sont exposées à l’artillerie et aux attentats-suicides. L’ennemi peut frapper à tout moment.
Muquadem Saïd est officier au sein du cinquième régiment de la division kurde Zeryhwan. « Les attentats-suicides sont notre principal problème », affirme-t-il. « Les voitures piégées et les mines. Par ici, tout est truffé de mines – absolument tout !
« C’est pour cela que nous avons progressé aussi lentement ces deux derniers jours. Nos unités doivent déminer les villages avant que nous puissions avancer. »
Mercredi, la zone entourant Barzakat était l’une des lignes de front à la limite orientale du périmètre actuel de l’offensive.
Les avions militaires américains enflammaient le ciel. Leur principale fonction consistait à bombarder les positions de l’EI dans la ville et aux alentours. De temps à autre, l’artillerie lourde venait en renfort pour pilonner la deuxième plus grande ville d’Irak.
La fumée semblait omniprésente. Ces trois derniers jours, au moins une douzaine de villages voisins ont été rasés par des raids aériens. Réduits en cendres, ces hameaux sont désormais considérés comme « libérés ».
Dans l’un de ces villages, j’ai croisé un petit garçon qui semblait pétrifié, le regard perdu dans le vide
Dans l’un de ces villages, j’ai croisé un petit garçon qui semblait pétrifié, le regard perdu dans le vide. Dans un autre, tout ce qu’il restait était un couple de moutons. Les seuls murs encore debout dans ces hameaux étaient couverts de graffitis de l’EI, une pratique qui fait depuis longtemps partie du folklore du groupe.
Des carcasses d’animaux méconnaissables jonchaient les cratères creusés dans les rues fraîchement bombardées. Au milieu d’une route à deux voies, une roquette n’ayant pas explosé était plantée verticalement dans le sable. Les combattants kurdes avaient décidé de la marquer à l’aide d’un petit drapeau rouge.
De jeunes hommes parcouraient la route à vive allure sous les effets de la décharge d’adrénaline liée aux événements en cours et à venir. Dans cette zone, le fait de conduire peut constituer l’aspect le plus dangereux du métier de correspondant.
Partout, les soldats ont creusé des tranchées ou mis en place des tas de sable défensifs. Des kilomètres et des kilomètres de pâturages et de champs ont été brûlés dans le cadre des plans de l’EI visant à essayer de stopper les bombardiers grâce aux flammes et à la fumée. Des vents chauds font tourbillonner le sable du désert.
Deux hélicoptères Black Hawk du gouvernement irakien survolent la ligne de front à une altitude dangereusement basse. Ils auraient facilement pu être pris pour cible tandis qu’ils réalisaient une manœuvre inutile que l’on ne pardonnerait pas même aux plus inexpérimentés des pilotes.
Des embouteillages qui mettent des vies en danger
Une circulation chaotique affluait dans toutes les directions, à la fois vers la ligne de front et dans l’autre sens. Ici, au pire endroit possible, de dangereux embouteillages se formaient constamment. La moindre grenade ou roquette de l’EI pouvait facilement massacrer une dizaine d’hommes ou plus.
Les renforts continuaient de rouler vers la ligne de front tenue conjointement par les combattants kurdes et les soldats du gouvernement irakien. Bon nombre des nouveaux arrivants étaient des volontaires qui avaient simplement pris les armes et étaient partis combattre l’EI.
Le décor sur la route principale entre Erbil et Mossoul me faisait penser à la première chute de Mossoul en 2003, lorsque la ville était devenue une destination très appréciée des voleurs et autres adeptes du tourisme de guerre.
Cette fois-ci, les chaînes de commandement semblaient loin d’être claires, ce qui devint évident lorsqu’un convoi composé d’au moins 70 véhicules blindés des forces irakiennes s’approcha de la ligne de front à grande vitesse, rejoint par un certain nombre de miliciens chiites vêtus de noir.
Le convoi n’avait clairement pas de temps à perdre dans la circulation chaotique et fit rapidement comprendre à tout le monde qu’il avait la priorité. De part et d’autre, les personnes se jetaient dans la boue pour lui échapper.
Les conducteurs, dont bon nombre étaient eux-mêmes des réfugiés, faisaient des embardées dans ce qui ressemblait à un mouvement de panique. Même les soldats du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) cédaient la place.
Dix-mille d’entre eux étaient rassemblés sur la ligne de front à Mossoul, nombre qui pourrait facilement doubler dans un avenir proche.
Le chaos du quotidien sur la ligne de front
Muquadem Saïd est convaincu que les forces combattant l’EI « ont fait du bon travail » jusqu’à présent, mais que la bataille pour reprendre Mossoul sera longue et difficile.
« Nous devons nous arrêter ici », indique l’officier. « Seule l’armée irakienne peut continuer. C’est ce qui a été convenu entre Erbil et Bagdad. Nous allons respecter cet accord. »
Il affirme que ce qui compte, c’est que l’EI finisse par se retirer de Mossoul, ce qui revêt une importance primordiale pour tout le Moyen-Orient. En l’état actuel des choses, les Kurdes ne sont pas autorisés à pénétrer dans le centre-ville de Mossoul. Il en va de même pour les milices chiites. Mais les conditions sur la ligne de front sont si chaotiques que presque tout est possible.
Mercredi, il était difficile de déterminer qui était à la tête de cette vaste et chaotique opération militaire.
Aujourd’hui encore, dans sa phase initiale, plus de 30 000 soldats ont été déployés, parmi lesquels des Kurdes, des troupes gouvernementales, des miliciens chiites irakiens et iraniens et des volontaires.
« La coopération est bonne », affirme Muquadem Saïd. « Personne ne peut agir sans consulter les autres. Nous avons un ennemi et des objectifs communs.
La moindre grenade ou roquette de l’EI pouvait facilement massacrer une dizaine d’hommes ou plus
« La majeure partie des forces de l’État islamique s’est dispersée en nous voyant arriver. Puis ils ont organisé les attentats-suicides.
« Ils ont peur de nous. Ils savent de quoi nous sommes capables au combat. »
Le véritable combat ne fait que commencer
Les soldats de Muquadem Saïd s’efforcent de construire des abris temporaires dans les maisons voisines (ou dans celles qui ont tant bien que mal résisté aux bombardements de la coalition). Pendant ce court répit, le corps des ingénieurs s’est appliqué à réparer les véhicules blindés. La plupart des véhicules étaient d’origine américaine, bien qu’un certain nombre soit apparemment issu de la production artisanale dans les ateliers locaux et équipé façon Mad Max.
Les images que nous avons prises sur la ligne de front ce jour-là avaient un air d’apocalypse.
Les troupes gouvernementales irakiennes ont avancé vers Mossoul tandis que les combattants kurdes cédaient à la tentation de crier victoire avant l’heure, brandissant de nombreux drapeaux et interprétant bruyamment des chants de guerre traditionnels.
Ils devront se frayer un chemin dans le centre-ville rempli de tunnels de Mossoul, que l’on dit truffé de mines
Bon nombre d’entre eux sont des vétérans chevronnés des combats des années 1980 et 1990. Les combattants kurdes sont en moyenne plus âgés que les soldats du gouvernement irakien. Fait préoccupant, ces derniers semblent pour la plupart inexpérimentés. Pourtant, c’est sur leurs épaules que le plus gros du combat reposera très certainement.
Ce sont eux qui devront se frayer un chemin dans le centre-ville rempli de tunnels de Mossoul, que l’on dit truffé de mines.
Le véritable combat pour reprendre Mossoul ne fait que commencer.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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