Officiels palestiniens : l’adhésion à la CPI fait partie d’une stratégie plus vaste pour l’indépendance
Le président palestinien Mahmoud Abbas a signé mercredi soir le traité de Rome, qui constitue la première étape du processus d’adhésion à la Cour pénale internationale (CPI), suite au rejet par le Conseil de sécurité de l'ONU d’un projet de résolution fixant un calendrier pour la fin de l’occupation israélienne.
Le statut signé a été présenté ce jeudi au secrétaire général de l'ONU Ban Ki Moon pour examen dans le cadre de la procédure relative à la demande d'adhésion à la CPI. Pour devenir membre de la cour, les Palestiniens doivent signer puis ratifier le traité.
Cette démarche permettra aux Palestiniens de poursuivre les responsables militaires et gouvernementaux israéliens pour crimes de guerre dans les territoires occupés. La CPI peut poursuivre les personnes accusées de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, commis depuis le 1er juillet 2002, date à laquelle le traité fondateur de la cour, le statut de Rome, est entré en vigueur.
Les responsables palestiniens affirment que l’adhésion à la CPI est un pas dans la bonne direction et fait partie d'un plan plus vaste visant à répondre aux aspirations du peuple palestinien.
« Cela fait partie d'une stratégie qui vise à créer une nouvelle dynamique et changer la ligne de conduite qui a permis à Israël de détruire unilatéralement les chances d’aboutir à la paix », a commenté Hanan Ashrawi, membre du comité exécutif de l'OLP.
« A partir de maintenant, toute manœuvre devra passer par le droit international, il s’agit d’une nouvelle phase, d’une nouvelle ère », a déclaré Ashrawi à Middle East Eye (MEE).
La requête a été signée au quartier général du président Abbas à Ramallah, moins de 24 heures après le refus du Conseil de sécurité d’adopter le projet de résolution palestinien. La résolution avait fixé un délai de douze mois pour parvenir à un accord de paix final et exigé un retrait israélien complet des territoires occupés d’ici fin 2017.
Pour les responsables palestiniens, le projet de résolution au Conseil de sécurité constituait leur dernière tentative pour aboutir à un processus de paix négocié avant de s’adresser à des organismes juridiques internationaux.
« Nous avons essayé vingt années de négociations avec les Israéliens, mais ces négociations ont été utilisés par ces derniers comme un écran de fumée », a déclaré Ashraf Khatib, du bureau du négociateur en chef de l'OLP Saëb Erekat.
« Après l'échec du processus de négociation politique de l'an dernier sous la supervision de John Kerry et celui du projet de résolution à l'ONU, il est devenu clair qu’Israël n’est pas sérieux au sujet des négociations », a déclaré Khatib.
Désormais, la direction palestinienne demande à ce que les négociations se basent sur des termes clairs.
« Nous n’avons pas abandonné les négociations, elles ont toujours fait partie de notre stratégie globale. Nous allons continuer à appeler à des négociations pacifiques, mais selon un cadre de références clair », a déclaré Khatib.
Selon Mahmoud al-Habbash, conseiller d'Abou Mazen [Abbas] aux affaires religieuses et islamiques, ces termes stipulent qu’« Israël accepte sans ambigüité le principe d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, la mise en place d’un calendrier pour les négociations, et un délai maximum pour un retrait de ses troupes des territoires palestiniens ».
En 2012, l'ONU avait accepté la Palestine comme Etat observateur non-membre. L’étape suivante était, pour les Palestiniens, de proposer un projet de résolution à l'ONU fixant un calendrier pour un retrait israélien de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, terres occupées à la suite de la guerre israélo-arabe de 1967.
Habbash estime que si les dirigeants palestiniens ont réussi en 2012 à obtenir la reconnaissance par l'ONU d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967, ils doivent maintenant traduire cette reconnaissance en une réalité sur le terrain. Pour lui, la stratégie palestinienne pour concrétiser ce changement implique un processus à trois niveaux, à savoir des négociations qui se dérouleront désormais en parallèle d’une action diplomatique (les résolutions des Nations unies) et juridique (rejoindre la CPI).
En plus du statut de Rome, Mahmoud Abbas a signé d'autres conventions internationales. « Outre le traité de Rome, nous avons rejoint dix-huit autres conventions et traités internationaux, afférents notamment aux droits relatifs à la mer Morte et aux droits des femmes », a déclaré Khatib.
La manœuvre a suscité une réaction virulente de la part du département d'Etat américain et une réponse railleuse de la part de Tel Aviv.
« Nous allons repousser cette tentative de nous imposer des diktats, tout comme nous avons repoussé le projet de résolution palestinien au Conseil de sécurité de l'ONU », a déclaré mercredi soir le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, insistant sur le fait que les Palestiniens avaient plus à craindre de la CPI qu'Israël.
De son coté, le département d'Etat a déclaré par la voix de son porte-parole, Jeffrey Rathke, que Washington était « profondément troublé » par la tentative d’adhésion à la CPI, avertissant que cela ne fera « qu'élargir le fossé entre les parties ».
« L'action menée aujourd'hui est tout à fait contre-productive et ne contribue pas à faire avancer les aspirations du peuple palestinien à un Etat souverain et indépendant. [La demande d’adhésion à la CPI] envenime les relations avec ceux-là mêmes dont les Palestiniens ont besoin pour finalement parvenir à un accord de paix », a-t-il ajouté.
Alors que les responsables américains et israéliens condamnaient la manœuvre, menaçant de prendre des mesures contre l'Autorité palestinienne, les dirigeants palestiniens déclaraient être prêts à en assumer toutes les conséquences.
« Les Palestiniens ont été menacés par Israël et les Etats-Unis et nous ne prenons pas ces menaces à la légère », a déclaré Ashrawi. « Il y aura des conséquences… [et] même si cela devait nous rendre la vie difficile, il est temps que cette ligne de conduite désastreuse change », a-t-elle indiqué à MEE, se référant à une série de menaces économiques et financières portées contre les Palestiniens.
Cependant, alors que l'Autorité palestinienne a maintenant bon espoir de changement, Abbas avait menacé de rejoindre la CPI à de maintes reprises par le passé, laissant de nombreux observateurs sceptiques quant à l'efficacité d’une telle démarche.
« Bien que l'Autorité palestinienne ait signé la demande d’adhésion à la CPI, Abbas se contentera d’adhérer à l'organisme. Il est peu probable qu'il prenne des mesures sérieuses contre Israël », a déclaré le coordinateur de la campagne Stop the Wall, Jamal Juma, à MEE mercredi. « L'Autorité palestinienne n’est pas intéressée à entrer en conflit avec les Etats-Unis et Israël. »
De même, Abdel Sattar Qassem, professeur de sciences politiques à l'université nationale An-Najah, a peu d'espoir en la prochaine phase. « La direction palestinienne a toujours été vague sur ses décisions, car elle n'a aucun pouvoir réel de les mettre en œuvre », a-t-il déclaré. « Et bien que l'Autorité palestinienne puisse rejoindre la CPI, elle ne prendra pas les mesures nécessaires pour traduire Israël devant la cour ou l’obliger à répondre de ses crimes. »
De son coté, le négociateur en chef Saëb Erakat a indiqué que les demandes d'adhésion à ces organisations entreraient en vigueur dans 90 jours. Il a promis que les Palestiniens retourneraient au Conseil de sécurité des Nations unies et continueraient de faire avancer d'autres plans pour la reconnaissance de l'Etat palestinien dans les instances internationales.
La CPI ne peut poursuivre un individu que si les crimes ont été commis sur le territoire d'un Etat membre – c’est-à-dire ayant signé et ratifié le statut de Rome – ou par un citoyen d'un tel Etat.
En 2009, les Palestiniens avaient demandé au bureau du procureur de la CPI d'enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité présumés commis par l'armée israélienne à Gaza. Israël a signé le traité mais ne l’a pas ratifié, ce qui rend la perspective d'une enquête sur les crimes ayant eu lieu sur le territoire qu'il contrôle extrêmement difficile.
Depuis l’offensive militaire lancée par Israël sur la bande de Gaza au début du mois de juillet, le Hamas et les responsables israéliens n’ont cessé de s’accuser mutuellement de crimes de guerre. Si la Palestine devait rejoindre la CPI, les différentes factions palestiniennes pourraient faire l’objet d’éventuelles poursuites. Malgré le risque, pour le Hamas, de faire l’objet de poursuites par la CPI, le groupe a fait pression sur Abbas afin qu’il progresse dans la voie de l’adhésion, selon un entretien exclusif obtenu par MEE en août dernier.
Le Hamas a dénoncé mercredi « l'échec » du président Abbas de faire passer une résolution à l'ONU. « C’était une décision prise unilatéralement par Abou Mazen [Abbas] qui a pris en otage le processus de prise de décision palestinien », a déclaré le porte-parole du Hamas, Fawzi Barhum, à l’AFP, décrivant la démarche comme un « nouvel échec » du leader palestinien.
Selon divers analystes et commentateurs, les Palestiniens avaient espéré obtenir les neuf voix nécessaires à l’adoption de la résolution, et pousser ainsi les Etats-Unis à utiliser leur droit de veto à défaut d’un vote affirmatif ou d’une abstention.
« Bien que n’ayant pas eu de grands espoirs de voir la résolution du Conseil de sécurité passer, cette démarche était nécessaire comme étape diplomatique avant de mettre en place les mécanismes juridiques », a déclaré Habbash.
« Nous pouvons maintenant dire que nous avons essayé de négocier la paix par le biais du Conseil de sécurité, mais que nous avons échoué. Rejoindre la CPI est une étape nécessaire pour compléter cet objectif et protéger les Palestiniens contre les crimes israéliens », a déclaré Habbash à MEE.
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