« Personne ne veut se battre à cet âge » : les soldats du Yémen se battent jusqu’à la sénilité
TA’IZZ, Yémen – Abdulwasse Mohammed se réveille tous les jours à 5 heures et, à 6 heures du matin, il est à son poste de contrôle près de la ligne de front de Ta’izz, Kalachnikov à la main. Aux heures creuses, il laisse passer les voitures et prend ses repas au soleil. Aux heures de pointe, il se précipite vers le front pour éliminer les Houthis avec une mitrailleuse lourde.
Ce n’est pas la première guerre de Mohammed, ni la seconde. Mohammed est un vétéran qui a connu trois conflits au Yémen, sur plus de 30 ans. Aujourd’hui dans la cinquantaine, ce soldat au visage tanné a, comme beaucoup d’autres de son âge, été ramené vers la guerre en tant que membre de la Résistance populaire.
« Personne ne veut se battre à cet âge, mais je suis un soldat et c’est mon rôle », a-t-il déclaré à Middle East Eye, posant les bras sur la ceinture de munitions entourant son abdomen.
« Beaucoup de mes camarades ont été promus ou ont pris leur retraite, je n’ai pas fait d’études et je n’ai pas d’autre option, les huit membres de ma famille dépendent de mon salaire. »
« Je veux prendre ma retraite, mais la guerre requiert tout le monde. »
Mohammed ne connaît pas l’année exacte de sa naissance, mais depuis son plus jeune âge, il n’a connu que la violence, tout comme son pays.
Il a rejoint l’armée nationale en 1982 en tant que nouvelle recrue, il a effectué son premier tir en 1994 tandis qu’un bref conflit séparatiste déchirait son pays, puis dix ans plus tard lors des soulèvements houthis contre le président de l’époque, Ali Abdallah Saleh.
Il a combattu à Sanaa, Saada, Shabwa, Abyan et Imran. Mais la guerre actuelle, provoquée par la chute de Saleh en 2012 et l’essor des Houthis soutenus par l’Iran, est de loin la plus dure.
« En 1994, j’étais encore un homme fort et j’étais sur la ligne de front, mais les combats ne duraient pas plus de quelques jours », a-t-il rapporté. « Les guerres contre les rebelles houthis n’étaient pas aussi dangereuses – elles étaient limitées à la province de Saada. »
« Celle-ci est bien pire, elle affecte plus de gens et la crise économique frappe tout le monde, partout. »
Bien qu’un homme dans la cinquantaine puisse être considéré comme relativement jeune, les Yéménites vieillissent rapidement. L’espérance de vie des hommes n’est que de 64 ans – vingt ans de moins qu’au Royaume-Uni, par exemple.
Et aucun pays n’enverrait ses aînés à la bataille, à moins, peut-être, d’être face à une défaite totale.
Pour Mohammed et ses commandants, son âge avancé n’est qu’un détail.
« Je veux prendre ma retraite, mais la guerre requiert tout le monde. Je suis un soldat et c’est mon rôle » – Abdulwasse Mohammed
Certes, il est plus difficile de se battre à un âge avancé. Les vétérans sont souvent transportés par des véhicules militaires pour leur éviter une marche éprouvante, et sont chargés de diriger leurs camarades plus agiles ou de s’occuper des mitrailleuses pour couvrir leurs avancées.
« Les anciens combattants ont aussi de l’expérience et ils conseillent les nouvelles recrues. C’est un de nos devoirs », a-t-il déclaré.
Un leader de la Résistance populaire de Ta’izz a déclaré à MEE qu’il avait besoin des vieux combattants comme conseillers : les muscles de milliers de nouvelles recrues, dont beaucoup sont plus jeunes que Mohammed lorsqu’il a rejoint l’armée, ont besoin du cerveau de leurs aînés.
« Tous les combattants ne se joignent pas à la bataille en première ligne », a déclaré le commandant. « Il y a différentes tâches pour les recrues. Le rôle principal des anciens combattants est d’enseigner aux nouvelles recrues les compétences de combat, et il est rare que les anciens combattants rejoignent le front. »
Néanmoins, dans les mois de violentes batailles qui ont déchiré Ta’izz, Mohammed dit n’avoir pas reculé devant son devoir.
Ziad al-Halaq (28 ans) a rejoint la Résistance populaire l’année dernière et a reçu un mois de formation, pas assez pour le préparer à la guerre.
« J’ai l’habitude de consulter les anciens combattants, ils ont de l’expérience ; c’est ce que font beaucoup de nouveaux combattants soit dans les camps soit sur les champs de bataille », a déclaré Halaq à MEE. « Ils sont indispensables. »
D’autres motivations inspirent les aînés à prendre les armes. Adburrab Aqlan, combattant salafiste de 60 ans, considère la résistance aux Houthis comme une tâche religieuse.
Aqlan, comme Mohammed, a combattu en 1994 et a repris les armes à Saada contre les Houthis une décennie plus tard. « Je suis encore un homme fort qui peut se battre et je dois soutenir l’islam contre l’invasion chiite », a-t-il affirmé.
« Les Houthis ne comprennent pas la paix, alors nous devons les combattre et libérer le Yémen de leurs idées. »
Aqlan a trois garçons, dont un combat avec les forces pro-gouvernementales à Marib tandis que les autres travaillent en Arabie saoudite.
Mohammed, cependant, pense différemment : la violence ne sauvera pas son pays. Il est analphabète, et ne sait rien d’autre, mais l’avenir appartient à la jeunesse du Yémen, notamment à ses quatre filles et ses deux fils.
« Les soldats n’ont pas de foyer et la terre est leur lit. […] Je ne veux pas voir mes fils devenir soldats » – Abdulwasse Mohammed
Mohammed a ajouté qu’il avait vu trop de morts et de trahisons au fil des années. Le président pour lequel il a combattu à Saada il y a toutes ces années est maintenant allié à ceux qu’il avait ordre de tuer.
« Cette guerre a révélé que Saleh et les Houthis étaient des alliés et que les soldats normaux ont été la victime des guerres de Saada », a-t-il déclaré.
« Je vais me battre jusqu’à la mort, mais je pense que la réconciliation est la seule solution. »
« Les soldats n’ont pas de foyer et la terre est leur lit. J’ai insisté pour que mes fils reçoivent une éducation, l’un d’entre eux est enseignant et l’autre est comptable, je ne veux pas voir mes fils devenir soldats. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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