Susana Muhamad, la ministre et écologiste colombienne façonnée par ses origines palestiniennes
Pendant son enfance dans la capitale colombienne Bogotá, Susana Muhamad savait qu’elle n’était pas comme les autres. Son nom de famille était un rappel constant d’une différence héritée, quelque chose de « bizarre ».
Son nom complet est María Susana Muhamad González. Et la rareté de son patronyme arabe lui était un peu difficile à comprendre lorsqu’elle était enfant.
« Vous avez un nom de famille dont vous ne saisissez pas très bien d’où il vient ni quelles sont ses racines, et vous avez l’impression qu’il manque quelque chose. Il y avait toujours une question », déclare Susana Muhamad à Middle East Eye.
« À partir de l’âge de 5 ans, j’ai dû épeler mon nom aux gens, et je me suis dit : ‘’Ce n’est pas d’ici, c’est bizarre’’. »
Son patronyme lui a été transmis par son grand-père, un musulman palestinien arrivé en Colombie en 1925, alors qu’une importante vague d’émigration depuis l’Empire ottoman alors en plein déclin atteignait les côtes latino-américaines.
Susana Muhamad se souvient que son grand-père « parlait bizarrement » et mettait consciemment de côté son origine palestinienne pour s’intégrer plus facilement dans son pays d’adoption.
Il s’est abstenu de parler arabe à ses enfants et n’a transmis aucune tradition religieuse, gardant son Coran sur sa table de chevet, dans l’espoir de faciliter l’intégration de sa famille.
« Ce qu’ils [les immigrés palestiniens] ont fait a été de couper complètement leurs liens religieux et culturels afin de s’assimiler et de survivre. »
Bien que son grand-père soit décédé lorsqu’elle n’avait que 6 ans, il a contribué à façonner la politique et la personnalité de la politicienne et écologiste colombienne de renommée internationale.
Un pèlerinage personnel en Palestine
Ce qui semblait autrefois bizarre ou incongru est devenu une source de fierté pour Susana Muhamad. Elle est actuellement la ministre de l’Environnement de la Colombie et la toute première ministre d’origine palestinienne du pays, un fait qu’elle avoue être « important » pour elle personnellement.
Afin de mieux comprendre les origines de sa famille, elle s’est rendue en Palestine en 2009 pour visiter la ville natale de son grand-père et « répondre aux questions » qu’elle se posait sur le passé de sa famille et le poids de son nom.
« Je voulais juste aller visiter les lieux et mieux comprendre, mais quand je suis arrivée, j’ai trouvé là-bas toute une famille. C’était très surprenant parce que c’était intense », confie-t-elle, les larmes aux yeux, alors que sa voix se brise à l’évocation de ces souvenirs.
« Rencontrer cette famille, c’était comme me compléter », explique-t-elle. « Être témoin de ce lien familial de tant de décennies, [avoir] cette question et y répondre était très important pour moi. Cela a répondu à beaucoup d’interrogations personnelles. »
Susana Muhamad porte son héritage palestinien sur elle, et elle a imbriqué les origines de sa famille dans sa politique et sa croissance personnelle. Le pèlerinage dans la patrie de ses ancêtres et la rencontre de ses parents éloignés ont ému la ministre : le poids personnel du voyage est évident même quatorze ans plus tard.
« J’ai réalisé que ce n’était pas seulement un nom de famille, c’est le produit d’un processus historique. Je suis impliquée dans ce processus historique et il a un sens, donc j’ai toujours quelque chose qui me rappelle ces origines », dit-elle à MEE.
Elle porte en permanence un collier qu’une parente éloignée lui a offert lors de son voyage en Palestine et l’effleure de temps en temps pendant l’entretien tout en se remémorant la visite et son impact. Une boîte ornée de calligraphies arabes et pleine de pâtisseries arabes locales orne également la table de son bureau.
Influence politique
Susana Muhamad est désormais une figure éminente du cabinet du président colombien Gustavo Petro, le premier dirigeant de gauche de l’histoire du pays et un défenseur déclaré de la cause palestinienne.
En tant que ministre, elle a été chargée de diriger un programme environnemental ambitieux et travaille sur la transition énergétique du gouvernement en vue d’orienter la Colombie vers les énergies renouvelables et durables.
Avant d’être nommée ministre, elle a également été secrétaire à l’environnement ainsi que secrétaire générale de la mairie de Bogotá, quand Gustavo Petro était maire de la capitale entre 2013 et 2016. En 2015, alors que Susana Muhamad était à la mairie, le drapeau palestinien a été hissé sur la place Bolívar, au centre de Bogotá, pour refléter un geste similaire des Nations unies.
La ministre a en outre été récemment incluse dans la liste des 25 femmes les plus influentes dans la lutte contre le changement climatique élaborée par Reuters.
« Je me demande parfois si mon grand-père aurait imaginé que je serais dans la position où je suis aujourd’hui », dit-elle en retenant ses larmes.
Susana Muhamad avoue que son origine palestinienne l’a aidée à la façonner politiquement et se considère comme une avocate active de la cause palestinienne.
Cependant, elle reconnaît que sa position de ministre limite ce qu’elle peut faire en matière de défense de la cause palestinienne. « Je suis une défenseure de la cause palestinienne, mais maintenant, en tant que fonctionnaire du gouvernement colombien, c’est complexe.
« J’essaie de pousser ce gouvernement en interne – je ne peux pas le faire en externe – à avoir une position forte dans ses relations internationales concernant les demandes de la nation palestinienne et, espérons-le, à dénoncer les violations d’Israël », explique-t-elle.
« Je suis une défenseure de la cause palestinienne »
- Susana Muhamad, ministre colombienne de l’Environnement
En avril, elle a répondu à un tweet du président Petro en disant : « Il y a beaucoup à faire pour la Palestine, à commencer par renégocier l’accord de libre-échange [de la Colombie] avec Israël. »
En mai dernier, elle a célébré la décision du conseil municipal de Bogotá de renommer une rue de la capitale « rue de l’État de Palestine ».
Lors de l’investiture présidentielle de Gustavo Petro en août dernier, Susana Muhamad a également partagé une photo d’elle aux côtés du ministre palestinien des Affaires étrangères, Riyad al-Maliki, qui avait assisté à la cérémonie à Bogotá.
Elle écrivait dans la légende accompagnant la photo : « Je porte toujours dans mon esprit les racines palestiniennes dont je suis issue, ce fut un honneur d’accueillir le ministre des Affaires étrangères de la Palestine et de parler de l’avenir de nos peuples. »
Aujourd’hui, son patronyme n’est plus une source de confusion mais plutôt un rappel d’un lien familial et d’une cause collective qui sont venus façonner Susana Muhamad.
Si elle est assise dans un bureau flanqué du drapeau colombien, son héritage est clair, tout comme son lien personnel et politique avec la cause palestinienne et le pays que son grand-père a quitté il y a près d’un siècle.
Traduit de l’anglais (original).
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