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Qui sont les mercenaires à la tête des forces des Émirats arabes unis au Yémen ?

Les EAU ont fait appel à des officiers étrangers expérimentés pour commander une force d’élite sous les ordres du prince héritier Mohammed bin Zayed
Mike Hindmarsh, commandant de la Garde présidentielle des EAU, reçoit une médaille (forces armées des EAU)

Un citoyen australien commande une unité militaire d’élite des EAU déployée au Yémen au sein de la coalition dirigée par les Saoudiens, que des associations de défense des droits de l’homme accusent de crimes de guerre.

Mike Hindmarsh, 59 ans, est un ancien officier supérieur de l’armée australienne, officiellement désigné comme commandant de la Garde présidentielle des EAU.

Cette Garde présidentielle est une unité regroupant des unités de la marine et de l’aviation, des brigades de reconnaissance, ainsi que des forces spéciales, d’après le site web du Département d’État américain.

Mike Hindmarsh a supervisé la formation de la garde au début des années 2010, peu après avoir accepté sa mission, rémunérée environ 500 000 $ net par an, à Abu Dhabi, où il fait rapport directement au Prince héritier Mohammed bin Zayed al-Nahyan.

La Garde présidentielle a été saluée pour son rôle clé dans la coalition arabe menée par les Saoudiens pour réinstaller le gouvernement yéménite en exil du Président Abd Rabbuh Mansour Hadi.

Cette coalition a été formée en mars pour repousser le mouvement rebelle Houthi, que les États du Golfe considèrent comme appuyé par l’Iran, leur rival régional.

Les troupes de la Garde présidentielle sont au Yémen depuis le 4 mai, et auraient joué un rôle clé dans la reprise, le 17 juillet, de la ville portuaire d’Aden par les forces locales alliées à Hadi.

Des groupes de défense des droits de l’homme, y compris Amnesty International, ont appelé à une suspension des exportations d’armes aux membres de la coalition saoudienne après avoir signalé ce qu’ils ont décrit comme une “preuve accablante” de crimes de guerre au Yémen.

Il n’est en revanche pas prouvé que Mike Hindmarsh soit responsable de ces crimes présumés dénoncés par les groupes de défense.

Au moins 5 700 personnes – des civils pour la moitié d’entre eux – ont été tués depuis l’entrée en campagne de la coalition. Le Yémen souffrait déjà d’une grave crise humanitaire avant l’entrée en guerre de la coalition ; cependant, la situation du pays s’est considérablement aggravée, avec plus de 80 % de la population (24,5 millions) nécessitant une aide humanitaire.

La connexion australienne

Si la coalition arabe combattant au Yémen est généralement décrite comme étant menée par l’Arabie Saoudite, une personnalité officielle du Golfe a indiqué au Middle East Eye, sous couvert d’anonymat, que les forces terrestres extérieures étaient en réalité dirigées par les EAU.

Plus de 10 000 hommes de la coalition ont été envoyés au Yémen et, bien qu’aucun chiffre officiel n’ait été rendu public, on pense qu’au moins 1 500 hommes des Émirats prennent part aux opérations terrestres.

Les troupes de la coalition les mieux entraînées et équipées sont probablement constituées par la Garde présidentielle des EAU, qui était la seule force arabe à effectuer des opérations militaires en Afghanistan, où elle combattit aux côtés des soldats américains.

Un site web de défense estime que la Garde présidentielle compte environ 5 000 soldats.

Il a été annoncé en 2014 que les EAU allaient payer $150mn les Marines US pour entraîner les gardes. Il a été dit que le Prince héritier Mohammed bin Zayed aurait commandé d’inculquer à ses forces l’ « éthos du guerrier ».

Mike Hindmarsh, qui a connu une carrière remarquable au sein de l’armée australienne avant de venir à Abu Dhabi, a supervisé le développement de cette unité d’élite.

Il a servi dans l’armée de son pays natal entre 1976 et 2009, période au cours de laquelle il a reçu 11 récompenses et a pris part à des tournées comprenant des déploiements au Moyen-Orient.

Mike Hindmarsh (Forces armées des EAU)

Après avoir dirigé le SAS australien entre janvier 1997 et janvier 1999, il a commandé les Forces Spéciales australiennes d’octobre 2004 à janvier 2008, avant de diriger les forces australiennes au Moyen-Orient de mars 2008 à janvier 2009.

Mike Hindmarsh, basé à Bagdad, a supervisé le déplacement de la base régionale australienne vers les EAU après leur retrait d’Irak. Un média local a indiqué que, pendant cette période, Hindmarsh « traitait aux plus hauts niveaux de sécurité avec les hauts responsables et les militaires des EAU ».

Depuis lors, des troupes australiennes sont installées à la base de Minhad Air, et plus tôt cette année, le Premier ministre Tony Abbott a annoncé que 600 soldats australiens seraient envoyés aux EAU pour participer à la lutte contre le groupe État islamique en Syrie et en Irak.

Après être revenu du Moyen-Orient en Australie, il obtient une nouvelle affectation en mars 2009 pour diriger l’Army Training Command (centre de formation militaire) des Victoria Barracks à Sydney pour un salaire annuel de $230 000.

Toutefois, en octobre 2009, il est annoncé que le gouvernement australien a accepté que Mike Hindmarsh prenne sa retraite de l’armée pour prendre de nouvelles fonctions au commandement de la Garde présidentielle des EAU.

L’expert militaire Michael Knights dit que le rôle d’Hindmarsh dans la Garde, signalé sur Twitter, était une action « intelligente » de la part des EAU.

« Tous les États du GCC (Conseil de coopération du Golfe) devraient faire cela. Pas uniquement acheter le meilleur équipement mais également le talent », écrivit-il, faisant référence aux énormes investissements des États du Golfe en matériel militaire.

Il semblerait que les EAU aient adopté le principe de faire appel à l’expérience pour développer la Garde présidentielle, car une recherche rapide sur LinkedIn montre qu’un grand nombre de soldats expérimentés – la plupart australiens – occupent des postes principaux dans la force d’élite.

Parmi ceux qui travaillent à Abu Dhabi, Peter Butson, ancien soldat australien et officier des services de renseignement, est depuis février 2014 un conseiller de la Garde présidentielle.

Scott Corrigan, un ancien commandant des opérations spéciales de l’armée australienne, est conseiller spécial de la Garde présidentielle depuis janvier 2013. Kevin Dolan est un évaluateur de la Garde après avoir été adjudant dans les armées britannique et australienne. Steve Nichols est également un ancien officier supérieur de l’armée australienne devenu, depuis cinq ans, conseiller principal des gardes.

On ne sait pas combien d’Australiens travaillent pour le compte de l’armée des EAU; cependant, les média locaux ont indiqué qu’à l’époque de la nomination de Hindmarsh, il y en avait des « douzaines » exerçant des « rôles de direction, de formation et d’encadrement ».

Si les Australiens semblent dominer les contingents étrangers de la Garde présidentielle, des officiers d’autres nationalités conseillent et entraînent cette unité.

Dizzy Dawson, ancien directeur au ministère de la Défense de Grande-Bretagne et ancien officier de la marine royale, est conseiller principal en matière de sécurité de la Garde. L’Américain Robert B. Cross Sr a dirigé l’Institut de la Garde présidentielle des EAU dans le cadre du programme de formation des Marines.

En réponse aux critiques sur l’emploi de mercenaires par les EAU, l’expert militaire Michael Knights a tweeté : « C’est le même boulot, que ce soit pour votre État d’origine ou un autre. Un bon général peut terminer une guerre plus rapidement, et sauver des vies. »

Il a ajouté que l’emploi de mercenaires étrangers « faisait en général partie d’un conflit avant l’époque du nationalisme ».

Mike Hindmarsh parle devant une assemblée d’Émiratis (Forces armées des EAU)

Des mercenaires tués au Yémen

Quelques mercenaires ont été tués au Yémen. Saba News, site dirigé par les Houthis, signalait le 8 décembre que six Colombiens et leur commandant australien avaient été tués autour de la poudrière qu’est la province sud-est de Ta’izz.

Saba News a actualisé son article le 9 décembre en écrivant que 14 mercenaires étrangers avaient été tués – y compris deux Britanniques et un Français en plus de l’Australien et des Colombiens – bien que cette information ne soit pas confirmée.

Il a d’abord été signalé que des mercenaires colombiens avaient combattu au Yémen en octobre, lorsqu’il a été dit que près d’une centaine d’anciens soldats colombiens auraient rejoint les troupes de la coalition, 800 hommes au total devant être envoyés pour soutenir les forces pro Hadi.

On pense que ces Colombiens auraient été recrutés par les EAU pour combattre au Yémen. Le New York Times annonçait en 2011 qu’il aurait été proposé des salaires élevés à des soldats colombiens expérimentés pour qu’ils rejoignent une force secrète des EAU mise sur pied en réponse aux soulèvements du Printemp arabe.

Nous ne savons pas si les Colombiens combattant au Yémen sont liés à la Garde présidentielle. Toutefois, la force secrète créée en 2011 et la Garde dépendent directement de Mohammed bin Zayed.

De nombreux rapports font référence à des Colombiens comme étant employés de Blackwater – une société militaire américaine controversée dont les gardes ont tué 17 civils irakiens à Baghdad en 2007. Cependant, comme l’a écrit Brian Whitaker, ancien rédacteur en chef pour la section Moyen-Orient du Guardian, une société appelée Reflex Responses a mis sur pied cette force des EAU.

Reflex Responses, également connue sous le nom de R2, a nié qu’Erik Prince, ancien dirigeant de Blackwater, soit derrière leur entreprise.

Le recrutement de la Garde présidentielle

Alors que les mercenaires colombiens et australiens restent essentiellement dans les coulisses, la Garde présidentielle des EAU ne dissimule pas ses activités, et encore moins ses stratégies de recrutement.

La Garde a été élevée au rang de symbole de la force nationale, s’enorgueillissant de la puissance acquise par les EAU depuis leur création en 1971.

Les EAU se sont engagées dans des actions militaires dans toute la région, y compris dans la coalition menée par les Saoudiens et celle dirigée par les États-Unis pour combattre le groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie.

Abu Dhabi, décrit comme un “puissant allié” des États-Unis, a, de son côté, mené des attaques aériennes en Libye – à la surprise des autorités américaines.

Cette évolution de la puissance militaire est mise en évidence dans une vidéo promotionnelle pour la Garde présidentielle de 2011. Des images d’hommes en uniforme de combat entonnant des chants nationalistes alternent avec celles des dirigeants du pays et des photos du matériel militaire des EAU.


Une présentation de recrutement mise en ligne en octobre 2013 dit que la Garde est au « cœur de la nation ». La présentation indique que le recrutement doit cibler des hommes et des femmes entre 16 et 29 ans qui sont à un  « moment décisif » de leur vie.

La Garde a une page Facebook et un compte Twitter. Le recrutement a fait l’objet de publicités, présentant les membres des Émirats comme de fiers citoyens protégeant leur pays.

La Garde présidentielle n’a pas seulement cherché à augmenter son effectif mais l’expérience de ses soldats a également servi dans la formation de jeunes hommes achevant leur service national.

Le service national obligatoire a été instauré par les EAU en juin 2014. Tous les hommes entre 18 et 30 ans qui ont achevé leurs études secondaires doivent servir pendant neuf mois, les autres devant servir pendant deux ans. Le service national est volontaire pour les femmes, et celles qui s’engagent sont formées pendant neuf mois.

Une manière d’effectuer son service national est de s’entraîner avec la Garde présidentielle, d’après le profil LinkedIn d’un Émirati.

Certains conscrits ont été envoyés combattre au Yémen. Mais cela a été arrêté en septembre après la mort de 45 soldats des Émirats lors d’une attaque Houthi.

Des familles ont raconté à MEE en août qu’ils avaient été choqués que leurs fils aient été envoyés au Yémen sans aucune expérience de la guerre.

À cette époque, l’expert militaire Michael Knights déclarait que la justification de cet envoi au Yémen était plutôt d’offrir une expérience aux soldats non entraînées en tant qu’exercice d’édification de la nation.

Il n’y a pas de décompte officiel des soldats des EAU morts aux Yémen.

« S'allier avec les Frères musulmans »

Il n’y a pas de signes annonçant une fin de la guerre au Yémen. Les pourparlers de paix entre factions opposées se sont achevés en Suisse ce mois-ci sans grand progrès alors que les combats se poursuivent sur le terrain.

D’après un officiel du Golfe, les EAU devraient établir des alliances plus pragmatiques sur le terrain au Yémen s’ils veulent que la guerre se termine rapidement.

Cet officiel, qui parlait à MEE sous couvert d’anonymat, disait que la guerre pourrait se terminer « en deux ou trois semaines » si les Émiratis acceptaient de s’allier avec Islah, la branche  des Frères musulmans au Yémen.

« Mais ils ne le veulent pas parce qu’ils ont ce problème avec les Frères musulmans », poursuivait l’officiel.

Les EAU ont mené un assaut dans la région sur les Frères musulmans, y compris en étiquetant le groupe comme terroriste et en soutenant l’armée égyptienne dans la destitution de Mohamed Morsi, le premier président élu d’Égypte, lui-même chef des Frères musulmans.

Abu Dhabi a refusé de travailler avec Islah, et les autorités des Émirats ont reproché aux Frères musulmans de ne pas avoir évincé les rebelles Houthis des régions du pays, y compris de la province de Ta’izz.

Le mépris des Émirats pour les Frères musulmans est si profond que des sources haut placées ont raconté à l’époque au Middle East Eye qu’Abu Dhabi aurait aidé et encouragé la prise de Sana’a, la capitale yéménite, par les Houthis en septembre de l’année dernière afin de discréditer le rôle joué par Islah dans la gouvernance du pays.

Aujourd’hui, 15 mois plus tard, les Émiratis sont enlisés dans une bataille pour repousser les Houthis, tout en évitant de renforcer les Frères musulmans, leur ennemi.

L’officiel du Golfe dit : « Il est temps pour les EAU de donner la priorité à la vie des Yéménites et de s’allier avec Islah. Leurs hommes sont tués par les Houthis et il y a un moyen sûr d’en terminer avec cela. »

Traduction de l'anglais (original) par STiiL Traduction. 

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