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À Raqqa, l'évacuation des civils se fait grâce aux tribus locales

Plus de 3 000 civils ont évacué Raqqa aux termes d’un accord négocié avec les chefs tribaux
Des civils syriens se rassemblent sur le front-Ouest après avoir fui le centre de Rakka, le 12 octobre (AFP)

RAQQA, Syrie – Couverts de poussière et pour beaucoup, blessés, quelque 250 civils escortés par les combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), viennent d’arriver à une mosquée dans la région-Ouest de Hawi al-Hawa.

Ceux soupçonnés de liens avec le groupe État islamique (EI) ont été rapidement emmenés par les forces du renseignement. Les autres sont restés et ont été traités par des personnels médicaux volontaires.

Les FDS, soutenues par les frappes aériennes américaines, essaient depuis juin de reprendre Raqqa à l’EI. C’est la première grande ville prise par le groupe, quand il a attaqué la Syrie et l’Irak et déclaré la fondation d’un « califat » en 2014.

Selon les forces américaines, environ 3 500 civils se sont, la semaine dernière, échappés des quartiers tenus par l’EI. Et beaucoup d’entre eux, comme ceux qui se trouvent dans la mosquée, doivent leur salut à de délicates négociations entre tribus locales et combattants de l’EI, qui résistent toujours à l’intérieur de la ville.

Une Syrienne lance un signe de victoire alors que des civils se rassemblent sur le front de l’ouest après avoir fui le centre de Raqqa (AFP)

Un convoi de combattants de l’EI et leurs familles a quitté la ville dimanche, à la faveur d’un contrat d’évacuation négocié avec les anciens des tribus. Les combattants de l’EI ont, en échange, garanti la sécurité des civils pendant leur transfert.

Fatima Adnan Salam, 26 ans, l’une des personnes qui ont fui, raconte avoir essayé de s’échapper plusieurs fois auparavant, sans succès. Son mari n’a pas survécu.

« Chaque fois des snipers nous tiraient dessus, et chaque jour, je me disais qu’il me fallait absolument partir de Raqqa », rapporte-t-elle en évoquant les horribles conditions de vie à l’intérieur de la ville.

« Nous mangions du pain rassis. Nous n’avions pas d’eau du tout et sommes restés sans pouvoir nous laver pendant un mois et demi. »

« Chaque fois des snipers nous tiraient dessus, et chaque jour, je me disais qu’il me fallait absolument partir de Raqqa »

- Fatima Adnan Salam

« Il y avait beaucoup de blessés, mais l’EI ne fournissait aucun médicament. Ma fille avait besoin de se faire opérer, mais elle n’a pas pu aller à l'hôpital. Aujourd’hui, elle est handicapée. Ils m’ont battu et brisé les mains ».

Tout espoir semblait perdu. Mais alors que la bataille pour Raqqa touchait à sa fin, les tribus arabes à l’intérieur de la ville ont contacté la semaine dernière le Conseil civil de Raqqa, administration instaurée par les FDS et les combattants de l’EI pour négocier un arrangement et faire cesser le massacre.

« Les chefs tribaux sont venus nous voir pour nous dire que leurs enfants se faisaient tuer et leurs maisons étaient détruites », raconte à Middle East Eye Omar Aloush, l’un des chefs principaux du conseil.

« Chaque fois que vous tuez un combattant de l’EI, vous condamnez à mort 40 civils. Il nous faut absolument trouver une solution [nous ont-ils dit]. »

Aloush précise que le commandement général de la coalition anti-Daech en Syrie et en Irak n’a pas autorisé les combattants de l’EI à quitter Raqqa. La coalition menée par les États-Unis craignait que cette initiative ne renforce l’EI dans la province de Deir Ezzor, où le gouvernement syrien et les FDS combattent Daech.

« Trouvez seulement un moyen d’évacuer les civils et de permettre à Daech de se rendre, et alors nous cesseront les combats », a demandé un général de la coalition aux tribus arabes, d’après Alouch.

Par conséquent, la coalition menée par les États-Unis a temporairement interrompu ses frappes aériennes pendant quelques jours la semaine dernière.

« Les combats ont cessé pendant deux jours et de nombreux civils sont partis et se sont rendus à nous », souligne Aloush.

Rojda Felat, haut commandant des FDS, explique à MEE : « Nous avons cessé de recourir aux frappes aériennes et aux attaques au mortier. Nous nous sommes limités aux armes de poing à cause de la présence de femmes et d’enfants ».

Des civils évacuent Raqqa après un accord négocié avec les chefs tribaux (MEE/Wladimir Van Wilgenberg)

Aucun accord concernant les combattants étrangers

Le conseil local a toutefois indiqué dimanche que les combattants de l’EI n’ont pas été autorisés à partir dans le cadre de cet accord.

Cette déclaration a été faite après la déclaration d’un de ses membres aux journalistes, selon laquelle une « partie des étrangers sont partis » – allusion aux combattants étrangers de l’EI à Raqqa.

Selon Nicholas Heras, chercheur spécialiste du Moyen-Orient au Centre pour une nouvelle sécurité américaine, les États-Unis craignent que tout combattant étranger autorisé à sortir constitue une menace éventuelle à l’avenir.

« L’action des militaires américains est sous-tendue par l’idée que, si ces combattants étrangers sont autorisés à quitter volontairement Raqqa, sans reddition inconditionnelle, ils risquent de partir se battre ailleurs, en Syrie ou en Irak, ou sinon d’essayer de recommencer le djihad sous la bannière de l’EI, dans leur pays d’origine », explique-t-il à MEE.

De plus, les hauts fonctionnaires américains estiment qu’après la planification d’attaques en Europe, dont Paris, dans lesquelles ces combattants étrangers ont été impliqués, il y a d’autant plus de raisons d’être méfiant à l’idée de les laisser partir.

« La ville est devenue un pôle d’attraction pour les combattants étrangers. Des attentats dans le monde entier – comme ceux de Paris, Bruxelles, Nice et Manchester, entre autres – ont été soit planifiés, soutenus et financés, soit inspirés par les chefs de l’EI à Raqqa. Daech a profité de plus de trois ans d’occupation pour transformer la ville en garnison militaire fortifiée », relève un porte-parole de coalition à MEE.

En même temps, selon des civils qui ont réussi à fuir Raqqa, certains combattants étrangers ont refusé de partir.

« Nous sommes heureux d’avoir quitté Raqqa, et le gouverneur [tunisien] de cette ville a permis aux civils d’en partir, mais les combattants étrangers refusent de partir », regrette une journaliste locale. « Ils ont peur de se faire tuer par les combattants kurdes, mais nous, les Syriens, on se comprend », confie-t-elle.

Des civils évacuent Raqqa, le 16 octobre 2017 (MEE/Wladimir Van Wilgenberg)

Capitulation

Mais d’autres combattants étrangers, ainsi que des Syriens affiliés à EI, ont compris qu’il leur fallait capituler.

« Certains ont perdu leur combativité parce qu’ils se sont retrouvés assiégés pendant des mois dans un réduit de résistance, sans la moindre nourriture », raconte à MEE Abdul Hussain, 49 ans, qui s’est échappé de Raqqa jeudi.

« Plus de 100 terroristes de l’EI ont capitulé à Raqqa au cours des 36 dernières heures, ils ont été expulsés de la ville », indique un porte-parole de la coalition à MEE.

« Un grand nombre de combattants de l’EI désertent tout simplement, et leurs chefs ont complètement perdu la maîtrise de la situation. Ils ne contrôlent plus leurs forces ».

Au même moment, les FDS « ont accepté de recevoir ceux qui veulent sortir de la ville de Raqqa, les Syriens tout particulièrement », précise Cheikh Hamed Abdul Rahman al-Faraj, président du conseil tribal de réconciliation à Raqqa.

Il reste pourtant entre « 300 et 500 combattants de l’EI à Raqqa », note un porte-parole de la coalition à MEE, ajoutant qu’on ne peut confirmer avec certitude quelles sont leurs nationalités.

« Nous nous attendons toujours à des combats difficiles dans les prochains jours et il est actuellement impossible de fixer à quelle date précise nous pensons avoir complètement vaincu Daech à Raqqa. »

Le responsable rencontré à Raqqa, Omar Aloush, redoute toujours que des combattants étrangers sortent de la ville, et agissent comme à Manbij en août l’an dernier : après avoir enlevé 2 000 civils dans cette ville, ils s’en sont servis comme boucliers humains pour atteindre Jarablus.

« Daech risque de prendre des civils pour sortir d’ici et éventuellement aller ensuite à Deir Ezzor », craint-il.

« Dans ce cas-là, les FDS et la coalition seront dans l’impossibilité de leur tirer dessus, comme c’est arrivé à Manbij. »

Ryan Dillon, colonel de la coalition menée par les États-Unis, l’a promis : quels que soient les accords passés, ses forces ne tireront pas sur les convois contenant des combattants de l’EI en raison de la présence de « familles ou de civils ».

Pendant ce temps, souligne Dillon, les frappes aériennes effectuées par la coalition menée par les États-Unis ont continué lundi sur les zones tenues par Daech.

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.

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