Pour fuir les persécutions, des Sahraouis marocains partent chercher asile en Guyane française
Attablé seul à la terrasse des Amandiers, célèbre café de Cayenne en bord de mer, Said* échange frénétiquement des notes vocales avec sa famille. Régulièrement, il éclate de rire. Au milieu des conversations en créole, français et brésilien qui l’entourent, son arabe hassani dénote. Mais de moins en moins.
Saïd, 25 ans, est arrivé en Guyane en décembre 2022. Originaire de Guelmim (dans le sud-ouest du Maroc), il dit fuir « les persécutions du régime marocain » dans ce qu’il appelle « le Sahara occidental occupé ».
Le conflit du Sahara occidental, contrôlé à 80 % par le Maroc mais considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU, oppose depuis 1975 Rabat aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger.
Depuis la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par Washington en décembre 2020, en contrepartie de la reprise de ses relations avec Israël, Rabat presse la communauté internationale de suivre l’exemple américain.
Comme Saïd, depuis quelques mois, de plus en plus de Sahraouis arrivent sur ce territoire français d’Amérique du Sud pour demander l’asile.
Le phénomène est trop récent pour être quantifié. Mais il est observé par la Cimade (association française de soutien politique aux migrants) lors de sa maraude quotidienne.
Plusieurs militants sahraouis de France interrogés par Middle East Eye confirment ce constat, par ailleurs corroboré par une simple promenade dans les rues de Cayenne.
Escale en Turquie
Jusqu’à présent, les Marocains souhaitant migrer en Europe tentaient d’y accéder par la Méditerranée. Ceux qui quittent le sud du royaume embarquent parfois de Tan-Tan (dans le sud-ouest du Maroc) vers les Canaries.
Mais le danger de la traversée dissuade de plus en plus les prétendants au départ, racontent plusieurs demandeurs d’asile à MEE. Tel Yacoub*, rencontré dans un autre café du centre-ville de Cayenne.
Pour justifier son itinéraire, il nous montre une publication Facebook faisant état de plusieurs migrants retrouvés noyés à Sidi Ifni, au large de la côte atlantique.
Des Sahraouis décident donc de s’envoler vers le Brésil après une escale en Turquie, deux pays auxquels ils ont accès sans visa. Cette route migratoire est empruntée depuis quelques années déjà par des Syriens, des Afghans et des Palestiniens.
Yacoub est originaire d’un village proche d’Assab, oasis du sud-ouest marocain, à une soixantaine de kilomètres à vol d’oiseau du mur des Sables, sorte de forteresse de remblais de 2 700 kilomètres, érigée par le Maroc dans les années 1980 et coupant le Sahara occidental en deux parties, l’une contrôlée par le Maroc et l’autre par le Front Polisario, mouvement politique et armé réclamant l’indépendance du Sahara occidental.
Il a appris l’existence de cette alternative migratoire sur la chaîne qatarie Al Jazeera. Arrivés à Sao Paulo, les migrants prennent souvent plusieurs vols pour gagner Macapá, dans le nord-est du Brésil.
De là, ils rejoignent en bus le fleuve Oyapock, frontière naturelle avec la Guyane, par lequel arrivent de nombreux migrants. Saïd a opté pour une escale à Doha, pendant la Coupe du monde de football au Qatar, afin d’éviter les soupçons des policiers marocains.
Le tout avec des billets allers-retours bien sûr. Coût total du périple : environ 2 000 euros.
C’est en 2013 que les autorités marocaines ont commencé à avoir Saïd, membre d’une célèbre famille militante, « dans le collimateur », selon ses mots.
Guelmim se trouve pourtant à 300 kilomètres au nord du Sahara occidental.
Il manifeste, tient tête au professeur de géographie qui présente une carte du Maroc comprenant le Sahara jusqu’en Mauritanie, tague des slogans et drapeaux sahraouis sur les murs de la ville – dont il est fier de montrer les captations vidéo sur son téléphone.
Pendant ses études, il organise avec d’autres militants des rassemblements sur l’histoire du Sahara et les prisonniers politiques.
Résultat : convocation des parents, arrestations, gardes à vue et même actes de torture, assure-t-il sans s’épancher.
Le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est déclaré « préoccupé par les informations faisant état de restrictions excessives des libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association imposées par le Maroc » et celles « faisant état d’un usage de la force inutile et disproportionné par les forces de sécurité marocaines pour disperser les manifestations, de perquisitions sans mandat, d’arrestations et de détentions arbitraires, de mesures de surveillance illégales et arbitraires, de harcèlement, d’intimidation et de destruction de biens ».
Dormir sur un balcon
C’est d’ailleurs parce qu’il « a fini à l’hôpital » et que sa situation était la plus problématique qu’il a été le premier de la fratrie à partir.
« Inchallah mon grand frère me rejoindra bientôt », espère-t-il.
Par souci de bien faire, par crainte, peut-être, de ne pas être pris au sérieux, Saïd ponctue son récit en montrant des papiers de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de l’Office français de l’immigration et l’intégration (OFII) qu’il a minutieusement classés dans un protège-documents.
Le jeune diplômé d’économie attend désormais la réponse de l’administration française.
Hassan*, croisé aux Amandiers également, 28 ans, a déjà reçu la sienne : il est officiellement reconnu comme un réfugié.
Comme les autres, il vit dans un quartier périphérique de Cayenne. Il y loue une chambre 150 euros par mois, grâce aux 250 euros versés par l’État et les économies de sa famille.
Amina*, jeune militante sahraouie arrivée il y a quelques semaines à Cayenne sans maîtriser un mot de français ni d’anglais, dit dormir sur le balcon d’une connaissance.
« On revient de très, très loin en Guyane. À l’échelle départementale, c’est un territoire qui a toujours eu un nombre de demandes d’asile assez élevé mais un nombre extrêmement faible d’hébergements », décrit à MEE Lucie Curet, déléguée régionale Amériques de la Cimade.
L’État doit fournir un hébergement pendant la durée de la procédure de demande : il peut s’agir d’une place dans un Centre d’accueil ou dans un Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (CADA/HUDA), dans un hôtel ou encore un appartement...
En général, une partie de l’Allocation pour demandeurs d’asile (ADA) est ponctionnée automatiquement pour payer ce logement à l’hôtel, à l’association qui gère le lieu, etc. « Quand 40 % des demandeurs d’asile étaient hébergés dans l’Hexagone, le taux était en-dessous des 10 % ici », poursuit-elle.
Jusqu’en 2021, l’écrasante majorité venait d’Haïti et comptait sur la diaspora pour se loger, tant bien que mal, souvent dans des bidonvilles excentrés.
Face à l’arrivée de personnes originaires du Proche-Orient qui dormaient dans les rues du centre-ville, la préfecture a enfin mis en place des structures d’hébergement.
« On revient de très, très loin en Guyane. À l’échelle départementale, c’est un territoire qui a toujours eu un nombre de demandes d’asile assez élevé mais un nombre d’hébergements extrêmement faible »
- Lucie Curet, déléguée régionale Amériques de la Cimade
Mais leurs capacités restent insuffisantes. Hassan, Saïd, Yacoub et les autres Sahraouis rencontrés par MEE assurent ne pas y avoir accès. Ces structures publiques gratuites seraient réservées aux familles et personnes vulnérables.
Ils ne se plaignent pas pour autant de leurs conditions de vie. L’un d’eux insiste : « L’objectif était d’être en sécurité. C’est le cas, donc nous ne sommes pas déçus. »
Si Lucie Curet remarque que la Guyane enregistre désormais des taux de protection (c’est-à-dire une réponse positive à la demande de statut de réfugié ou au moins une protection subsidiaire) assez élevés (une information que les intéressés rencontrés ne semblent pas mettre en avant pour justifier leur venue ici plus qu’en métropole), ces jeunes ne sont pas certains d’obtenir le statut voulu.
En 2021, l’OFPRA a accordé une protection à 41 Sahraouis alors que 492 autres ont été déboutés. Sont comprises dans ce total les personnes provenant du Sahara occidental de part et d’autre du mur des Sables, notamment les réfugiés de Tindouf, en Algérie, opposés au Front Polisario.
Si la réponse de l’administration française est positive dans son cas, Yacoub ne souhaite pas rejoindre la métropole et préférerait rester en Guyane.
« Même si la vie est chère, les villes sont petites et le climat est doux, comme chez nous. » Prêt donc, pour sa sécurité, à échanger la chaleur sèche du sud marocain pour l’humidité amazonienne.
* Les prénoms ont été modifiés.
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