Selon les combattants kurdes, le groupe EI recule
MAKHMOUR, Irak – Le lieutenant Haider Jawher prend ses jumelles et regarde à travers la petite ouverture carrée d’un mur de sacs de sable au sommet d’une tour de terre excavée. On peut apercevoir à cinq kilomètres la silhouette des bâtiments dans un village occupé par des combattants du groupe État islamique (EI).
Il n’y a aucun signe de mouvement, mais lorsqu’un officier peshmerga allume sa radio de campagne et augmente le volume, on entend une voix parlant en arabe et appelant « Abdullah, Abdullah ». Jawher l’éteint, expliquant qu’il s’agit d’un combattant du groupe EI qui appelle un ami.
« Il est facile d’écouter leurs conversations, et nous le faisons souvent, mais je ne veux pas qu’ils entendent nos voix », précise-il.
Il fut interrompu par le sifflement des avions appartenant à la coalition menée par les États-Unis loin au-dessus de nos têtes, trop hauts et rapides pour être entrevus.
« Notre ciel est devenu une route », a souri Jawher. Nous sommes dans un avant-poste bien fortifié sur la ligne de front kurde contre le groupe EI, à environ 12 km à l’ouest de Makhmour. La route goudronnée en direction du village contrôlé par l’EI est bloquée par un mur de terre de trois mètres de haut, faisant partie d’un rempart qui s’étire sur des dizaines de kilomètres au nord et au sud à travers le semi-désert plat.
En août 2014, les combattants du groupe EI ont traversé un pont sur le Tigre et ont dévalé cette route, parvenant jusqu’à Makhmour, une ville d’environ 5 000 habitants majoritairement kurdes. Presque tout le monde a fui, mais les frappes aériennes américaines et l’arrivée des forces de défense kurdes, les peshmergas, ont repoussé le groupe EI hors de la ville quatre jours plus tard.
Les combattants du groupe EI ont battu en retraite à environ cinq kilomètres et ont érigé un petit rempart de terre comme ligne de défense. En décembre, les peshmergas sont passés par-dessus en avançant vers ce qui est devenu la nouvelle – et actuelle – ligne de front. Aucune des deux parties n’a tenté d’avancer depuis lors, mais ils échangent occasionnellement des tirs de mortier. Jawher montre les morceaux de métal d’un obus près de sa tour de terre.
Située à 50 kilomètres au sud-ouest d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien, Makhmour se trouve dans ce que l’on appelle les territoires contestés. Selon les Kurdes, ces territoires sont historiquement des terres kurdes, mais ils sont situés en dehors des frontières officielles du Gouvernement régional du Kurdistan (KRG) et, jusqu’aux attaques du groupe EI, étaient administrés par le gouvernement irakien de Bagdad. Les peshmergas ont pris le contrôle de la quasi-totalité d’entre eux après en avoir chassé le groupe EI.
Étant données les mauvaises relations qu’entretiennent Bagdad et Erbil, on voit mal le gouvernement irakien les récupérer de sitôt.
Pour vaincre l’EI, les peshmergas ont même avancé par-delà les territoires contestés dans certaines régions, notamment dans les zones où se trouvent des villages kurdes. Malgré leurs progrès militaires, les peshmergas disent être conscients du fait qu’ils sont en train de susciter l’hostilité des Arabes.
« Nous avons libéré les villages kurdes, mais seuls quelques villages arabes. Nous ne voulons pas entrer dans les zones arabes. Nous ne voulons pas créer de problèmes avec les communautés arabes », a déclaré le brigadier Zaryan Sheikh Wasany à Middle East Eye dans son quartier général de Makhmour. « Nous attendons que l’armée irakienne vienne, mais jusqu’à présent elle n’a rien fait. »
Cinq Humvee blindés sont stationnés dans la cour devant son bureau, vestiges de la fuite de l’armée irakienne, prise de panique lors de l’assaut de Mossoul, deuxième ville d’Irak, par l’EI l’an dernier. Les miliciens de l’EI avaient alors saisi les Humvee fournis par les États-Unis ainsi que des dizaines de chars de l’armée irakienne. Les peshmergas ont réussi à récupérer une partie de ce matériel.
Les civils kurdes sont revenus à Makhmour peu de temps après la retraite du groupe EI. Les combattants n’ont fait que peu de destructions, ils n’ont pas eu non plus le temps de piller.
« Daech [acronyme arabe de l’EI] est resté trois jours dans ma maison en périphérie de la ville. Ils n’ont tué qu’un de mes moutons pour manger », a déclaré Bajar Nameq, qui dirige une épicerie dans le bazar poussiéreux.
À l’hôpital Sabaha Mala, Sayeed, un membre du personnel médical, a déclaré que le groupe EI avait pris des ordinateurs et des médicaments, mais qu’autrement le bâtiment était resté intact.
Alors que la première ligne de Makhmour reste calme pour le moment, les forces kurdes ont lancé une offensive contre le groupe EI à 30 km à l’est, près de Dibis mercredi matin. Un commandant peshmerga a déclaré à l’agence de presse kurde Rudaw qu’ils avaient repris douze villages, appuyés par les frappes aériennes de la coalition menée par les États-Unis. Les combattants de l’EI les avaient abandonnés, laissant des pièges et des mines derrière eux.
Les peshmergas ont l’intention de reprendre sept autres villages dans la région près de Kirkouk. Il est impossible de connaître le bilan des victimes dans les rangs du groupe EI, mais du côté kurde, un responsable des médias pour les peshmergas a indiqué à MEE qu’onze soldats étaient morts.
Les forces kurdes sont armées et formées par plusieurs gouvernements occidentaux. Cependant, elles n’ont pas reçu de salaires ces trois derniers mois en raison de la crise budgétaire du KRG. Alors que le moral des peshmergas était bon lors de l’assaut initial visant à repousser le groupe EI l’année dernière, un diplomate occidental a indiqué que le manque de rémunération et l’inaction provoquée par la nature statique des lignes de front a érodé le moral des troupes.
« Nous avons repris 95 % des terres envahies par l’EI [dans les régions kurdes] et nous espérons reprendre les 5 % restants bientôt », a fait savoir Hemen Hawrami, le chef du bureau des relations extérieures du Parti démocratique kurde, à MEE. « Les tranchées des peshmergas sont mieux protégées. Ces derniers ont de meilleures armes et munitions. Le groupe EI a perdu l’offensive. Il n’a pas envahi le moindre kilomètre carré de terrain depuis août 2014. Les peshmergas ont détruit le mythe du groupe EI », a-t-il soutenu.
La question clé est de savoir si l’armée irakienne et les peshmergas vont aller de l’avant et tenter de libérer Mossoul – une ville désormais principalement habitée par des Arabes sunnites puisque la plupart des Kurdes et des chrétiens ont fui lorsque le groupe EI en a pris le contrôle.
Ce printemps, le Premier ministre irakien Haider al-Abadi clamait une avance sur Mossoul à l’automne, mais Hawrami a confié ne jamais avoir cru que cela adviendrait cet automne.
« L’armée irakienne n’est pas prête. Pour libérer Mossoul, les sunnites sont indispensables. Les peshmergas ne mèneront pas sa libération. Les sunnites doivent être le fer de lance », a-t-il déclaré.
Il a mentionné plusieurs problèmes. Le parlement irakien n’a pas encore adopté de loi instaurant une garde nationale. Les Arabes sunnites ne savent pas qui dirigerait Mossoul une fois la ville libérée. L’armée irakienne n’a pas encore suivi la formation adéquate.
Hawrami faisait référence au plan de garde nationale visant à permettre aux sunnites de mettre en place des milices locales pouvant intervenir aux côtés de l’armée irakienne, principalement chiite. Quant aux inquiétudes sunnites sur ce qui arrivera si le groupe EI est chassé de la ville, de nombreux sunnites de Mossoul estiment que l’administration précédente ne représentait pas leurs intérêts. Reste à voir si les peshmergas pourraient s’entendre avec la population locale de Mossoul.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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