Sentiment anti-immigrant en Pologne : pure haine ou violence éphémère ?
WROCŁAW, Pologne – La Pologne a été largement épargnée par la crise des migrants et des réfugiés qui touche actuellement l’Europe, mais la question a divisé la société et provoqué une violente réaction contre les migrants.
Varsovie a été l’un des plus farouches opposants aux tentatives de l’UE visant à imposer à ses membres l’accueil d’une partie de quelque 120 000 réfugiés – un projet de loi qui a été présenté au Parlement européen mardi, malgré une vive opposition. En fin de compte, la Pologne a accepté et a voté pour, mais le débat précédant le vote montre à quel point cette question déchaîne les passions.
La société polonaise est l’une des plus homogènes au monde sur le plan ethnique, après la Corée du Nord, le Japon et l’Albanie. Selon les statistiques européennes officielles, les étrangers en Pologne ne représentent que 0,1 % de l’ensemble de la population, le plus faible pourcentage d’étrangers dans l’UE. Plus de 90 % de la population s’identifie ouvertement comme catholique, seuls 20 000 musulmans environ sont recensés dans le pays en 2010.
L’arrivée de dizaines de milliers de demandeurs d’asile vers les pays voisins ces derniers mois a suscité de fortes inquiétudes. Des vagues de protestations anti-migrants ont déferlé : des partisans de l’accueil des demandeurs d’asile ont reçu des menaces de mort et le gouvernement polonais a déclaré qu’il accueillerait des réfugiés à condition que l’UE accepte de « sceller » ses frontières. La perspective de nouveaux arrivants en Pologne ne devrait qu’exaspérer le sentiment d’hostilité à l’égard des migrants et des réfugiés. Néanmoins, tout le monde ne partage pas ce point de vue : beaucoup ont pris position plaidant pour davantage d’indulgence et d’intégration et révélant ainsi une dynamique sociale beaucoup plus complexe que ce qui est habituellement dépeint par les médias.
Les craintes irrationnelles de la Pologne
Abdulcadir Farah, un Somalien, fut le premier Africain à se voir accorder le statut de réfugié en Pologne, à la fin des années 80. Il a raconté que, à l’époque, le gouvernement polonais accueillait et hébergeait les demandeurs d’asile.
« Je n’ai jamais fait l’objet de discrimination, même si les gens ne connaissaient pas du tout le concept de demandeur d’asile », a confié Farah à MEE.
« Contrairement à aujourd’hui, il n’y avait aucun débat quant à savoir si les réfugiés devaient être acceptés en Pologne ou non », a déclaré Farah, qui était le président de la Foundation for Somalia, une ONG créée pour venir en aide aux réfugiés et aux migrants en Pologne, ainsi que pour fournir une aide humanitaire en Afrique. Farah s’est entretenu avec MEE quelques jours avant qu’il soit tué dans un attentat à Mogadiscio, ce qui souligne que de nombreux réfugiés continuent à faire face à un grave danger dans leur pays d’origine.
Depuis 1989, la chute du mur de Berlin et la désagrégation du contrôle de la Russie sur l’Europe de l’Est, la Pologne a connu des changements importants : sa transformation en une démocratie ainsi que son adhésion à l’UE et à l’OTAN. Aujourd’hui, elle est la sixième puissance économique de l’Union européenne. Cependant, tandis que de nombreux Polonais sont partis travailler ailleurs dans l’UE, le flux entrant a été limité et peu d’étrangers choisissent de vivre ou de travailler en Pologne.
Des documents internes du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) rédigés l’an dernier ont révélé que plus de 80 % des répondants polonais se sont déclarés « favorables » aux réfugiés, mais cela a changé lorsque l’afflux de migrants dans l’Union européenne s’est amplifié cette année et la situation s’est détériorée davantage lorsque l’UE a commencé à faire appel à ses membres pour élaborer une solution commune et réinstaller les réfugiés. Aujourd’hui, plus de 56 % des Polonais sont opposés à l’accueil de réfugiés en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
La première vague de messages xénophobes a inondé Internet en juillet, après que le ministère de l’Intérieur a accepté les propositions de l’UE concernant l’accueil de 2 000 réfugiés qui avait fui la guerre civile en Syrie ou les persécutions politiques en Érythrée. Le projet a été conçu sur deux ans avec l’arrivée des premières familles en Pologne en 2016. Après cette annonce, l’Institut de surveillance des médias (Institute of Media Monitoring) a relevé qu’un commentaire sur trois postés sur les plates-formes de réseaux sociaux contenait un discours de haine envers les demandeurs d’asile.
La majeure partie des critiques a pris la forme de l’islamophobie : les utilisateurs des réseaux sociaux craignaient que la plupart des demandeurs d’asile soient musulmans et donc qu’ils aient des liens avec des organisations terroristes.
Le gouvernement polonais, de centre-gauche, a essentiellement choisi de répondre à la crise des réfugiés par du conservatisme et du scepticisme.
Jusqu’à son revirement politique de dernière minute, la Première ministre Ewa Kopacz avait rejeté les propositions de l’UE sur les quotas obligatoires, en disant que la Pologne ne recevrait qu’« autant de réfugiés qu’elle le peut – pas un de plus et pas un de moins ».
Kopacz a également souligné à plusieurs reprises que la Pologne mettrait tout en œuvre pour faire la distinction entre les réfugiés et les migrants économiques, refusant d’accueillir les seconds.
La question de la sécurité nationale a dominé le débat de bout en bout.
« Nous devons être absolument certains que les personnes qui seront autorisées à pénétrer sur le territoire polonais ne seront pas une menace pour nos citoyens », a déclaré à MEE Jarosław Buczek, vice-directeur de la communication au ministère de l’Intérieur.
Le plus grand parti d’opposition de Pologne, le parti de droite Droit et justice (PiS), est allé encore plus loin.
« Toute personne arrivant en Pologne devra démontrer qu’il ou elle peut s’intégrer dans notre culture et notre société », a déclaré à MEE Witold Waszczykowski, un parlementaire appartenant au parti Droit et Justice.
« Par conséquent, nous pouvons espérer que les réfugiés chrétiens sont plus susceptibles d’être assimilés. »
Waszczykowski a expliqué que ses opinions ne sont pas discriminatoires mais ont été formées lorsqu’il travaillait en tant qu’ambassadeur de Pologne en Iran et en tant que diplomate ayant voyagé à travers la majorité des pays musulmans.
« Je dis cela en connaissance de cause et en faisant di du politiquement correct... la sécurité est plus importante que tous nos beaux idéaux », a déclaré Waszczykowski.
Les partisans de l’asile
Cependant, tout le monde n’est pas d’accord. Robert Biedroń, maire de la ville de Słupsk dans le nord de la Pologne, a présenté une approche différente envers les réfugiés. Il a ouvertement déclaré que la Pologne devait accueillir des Syriens fuyant la guerre et s’est engagé à organiser des cours pour sensibiliser et accroître la tolérance et pour lutter contre les discours de haine sur Internet.
Toutefois, la réaction des réseaux sociaux a été extrêmement négative, des commentaires discréditant la culture et la religion arabe.
« Quel ignorant ! Je n’accepterai jamais l’islam en Pologne. Il faut être fou pour inviter une culture étrangère dans notre pays », a écrit un utilisateur de Facebook.
D’autres sont allés plus loin en disant à Biedroń, qui est homosexuel, que des groupes comme l’État islamique exécutent ouvertement les homosexuels.
« A-t-on dit à Biedroń que les musulmans jettent les gays du haut des tours dans des exécutions brutales ? Quelqu’un sait s’il y a des bâtiments à Słupsk qui répondent à ces critères ? », demande un autre utilisateur de Facebook.
Pourtant, beaucoup de Polonais estiment que ce type de commentaires ne les représente pas et luttent activement contre ce sentiment.
« Quand je lis ces commentaires sur les réseaux sociaux, en tant que Polonaise, j’ai honte », a déclaré Agnieszka Kosowicz, directrice du Polish Migration Forum, une ONG consacrée à la promotion des droits des migrants en Pologne.
À son avis, ces points de vue négatifs résultent en grande partie de l’exposition à une presse dépeignant les musulmans surtout dans un contexte d’agression et de violence.
« Il n’y a absolument aucune communication positive sur les musulmans. Dans le même temps, les Polonais n’entretiennent pas de relations personnelles avec un pays voisin arabe qui pourraient prouver qu’il y a aussi de bons musulmans », explique Kosowicz. « Ce serait essentiel pour les aider à se faire leur propre opinion et contrebalancerait les nouvelles dans les médias discréditant la culture arabe et l’islam. Donc, il y a une énorme disproportion dans ce que nous savons. »
Marta Górczyńska, avocate à la Helsinki Foundation for Human Rights, a souligné que la Pologne a toujours été un pays tolérant. Elle a une minorité de moins de 2 000 Tatars musulmans, qui vivent pacifiquement dans le pays depuis des siècles. Leur présence n’a jamais été remise en question, ni généré de craintes ou de débats.
« Le gouvernement devrait s’opposer fermement à toute discrimination ou tout stéréotype et informer la société des faits et des statistiques réels. Des recherches montrent que le Polonais moyen pense qu’il y a 10 % de migrants en Pologne, alors qu’en fait, il ne s’agirait pas plus de 0,5 % », a déclaré Górczyńska.
Les opposants à l’asile et à l’immigration soulignent aussi régulièrement les facteurs économiques, en faisant valoir que les réfugiés refuseraient de s’intégrer et compteraient sur les prestations sociales de l’État, ou qu’ils prendraient les emplois faiblement rémunérés déjà rares, rendant plus difficile l’accès au travail pour les Polonais des classes économiques inférieures. Cependant, Kosowicz a rejeté ces craintes « irrationnelles » étant donné que la Pologne compte 38 millions de citoyens. L’UE demande d’accueillir environ 9 000 personnes de plus, ce qui aurait un impact négligeable, a-t-elle expliqué.
« Au fil des ans, la Pologne a accueilli des milliers de réfugiés et auparavant personne n’était inquiet pour la sécurité de son emploi. Ce débat est tout simplement de nature politique », expliquait Farah.
Dans les années 90, la Pologne a réussi à faire face à l’afflux d’environ 90 000 réfugiés fuyant la guerre en Tchétchénie et a reçu entre 6 000 et 10 000 demandes d’asile au cours des dernières années, bien que très peu réussissent en fin de compte.
L’expérience de la Pologne avec les nouveaux arrivants a été mitigée.
En juillet 2015, une organisation non-gouvernementale, la Fondation Estera, a organisé – avec l’approbation du gouvernement polonais – l’arrivée de plus de 150 réfugiés syriens chrétiens. Tous les réfugiés syriens ont été hébergés et ont reçu un soutien financier, mais le porte-parole de la fondation, Przemysław Kawalec, a confié à MEE que plus de la moitié d’entre eux ont déjà déménagé en Allemagne. Il y a également 21 réfugiés syriens détenus dans les centres de détention de la douane polonaise, qui ne souhaitent pas demander l’asile en Pologne, selon le porte-parole des douanes.
L’échec de l’intégration de ces deux groupes n’a fait qu’alimenter les sceptiques qui insistent pour que toutes les parties conviennent que seuls des États plus riches comme la Suède ou l’Allemagne – qui ont déjà de grandes communautés de migrants – sont aptes à accueillir de nouveaux arrivants. Des œuvres de bienfaisance polonaises déclarent néanmoins y voir une opportunité et pensent qu’en améliorant les conditions, ils seront en mesure d’aider les gens à s’intégrer. La première vague de réfugiés devrait commencer à arriver l’année prochaine ; la société polonaise devra donc faire face à ses divisions et à ces débats.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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