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L’Allemagne, nouvelle destination rêvée des migrants légaux de Tunisie

Un jeune Tunisien sur deux veut partir : plus de 40 000 ingénieurs et plus de 3 300 médecins ont émigré ces cinq dernières années
Elyes Jelassi, 28 ans, s’apprête à quitter la Tunisie pour l’Allemagne, où il a décroché un contrat de travail dans une clinique. Photo prise le 28 novembre 2022 (AFP/Fethi Belaid)
Elyes Jelassi, 28 ans, s’apprête à quitter la Tunisie pour l’Allemagne, où il a décroché un contrat de travail dans une clinique. Photo prise le 28 novembre 2022 (AFP/Fethi Belaid)
Par AFP à TUNIS, Tunisie

France, Canada, Golfe, et dorénavant Allemagne. Malgré la barrière de la langue, les jeunes Tunisiens sont de plus en plus nombreux à vouloir émigrer légalement vers la première économie européenne, en manque criant de main-d’œuvre.

Cet exode croissant – avec 5 474 autorisations de travail accordées par l’Allemagne à des Tunisiens de janvier à octobre 2022, après 4 462 en 2021, et 2 558 en 2020 – est stimulé par une absence de quotas et une reconnaissance accrue ces dernières années des diplômes étrangers, y compris pour les qualifications d’avant bac.

L’Allemagne, pays à très faible natalité, a d’énormes besoins de main-d’œuvre notamment dans l’hôtellerie-restauration (AFP/John MacDougall)
L’Allemagne, pays à très faible natalité, a d’énormes besoins de main-d’œuvre notamment dans l’hôtellerie-restauration (AFP/John MacDougall)

L’Allemagne, pays à très faible natalité, a « d’énormes besoins de main-d’œuvre, pas seulement dans la santé ou l’informatique, mais aussi dans l’hôtellerie-restauration, le bâtiment, la pose de fibre optique ou la conduite de poids lourds », explique à l’AFP Narjess Rahmani, directrice de l’agence d’aide à l’émigration Get In Germany.

Dans les secteurs sous tension, certains employeurs procurent au candidat un contrat d’embauche ou d’apprentissage pour faciliter l’obtention du visa, et financent même sa formation linguistique de base (niveau B1, environ six mois d’allemand).

Yeft Benazzouz, directeur de l’école de langue Yeft, a vu la demande de cours d’allemand exploser depuis 2020. « Avant, j’avais des groupes d’une ou deux personnes, et c’est monté à six ou sept », dit-il. Même si depuis l’été, le rythme s’est ralenti à cause d’une forte inflation et chute du pouvoir d’achat en Tunisie.

Les Tunisiens s’intègrent très facilement

En plus de la langue, Yeft Benazzouz enseigne les comportements de base à adopter, utilisant volontiers des proverbes pour marquer les esprits comme « Pünktlich ist schon spät » (« À l’heure c’est déjà tard »). 

« Pour aller en Allemagne, il faut comprendre la mentalité : ce sont des bosseurs, et ils misent beaucoup sur la motivation des jeunes, le sérieux du travail », souligne Narjess Rahmani.

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Selon elle, les Tunisiens s’intègrent très facilement : « Parce qu’on a eu la colonisation française, les jeunes sont habitués aux langues étrangères. On est aussi très ouverts aux autres cultures, à travers le tourisme et le mélange culturel tout au long de notre histoire ».

Les étudiants de Yeft sont souvent très qualifiés, dans un pays où la formation initiale est réputée et où le chômage des jeunes diplômés atteint des sommets : environ 30 %.

L’ingénieure hydraulique Nermine Madssia, 25 ans, a opté pour l’Allemagne comme sa sœur future infirmière, délaissant des offres en France « où il y a du racisme » antimusulman, selon cette jeune fille qui porte le voile. 

Elle pense y trouver « du respect et de la considération avec un bon salaire », contrairement à la Tunisie, où la rémunération moyenne plafonne à 1 000 dinars (environ 300 euros) et où même un ingénieur informaticien – métier très prisé – touche à peine deux fois ce montant en début de carrière.

« Pour aller en Allemagne, il faut comprendre la mentalité : ce sont des bosseurs, et ils misent beaucoup sur la motivation des jeunes, le sérieux du travail »

- Narjess Rahmani, directrice de l’agence d’aide à l’émigration Get In Germany 

La Tunisie traverse de graves difficultés économiques avec une croissance poussive (moins de 3 %) et une dette publique énorme, creusée par le covid, puis la guerre en Ukraine. Le tout doublé d’une crise politique depuis que le président Kais Saied s’est emparé de tous les pouvoirs en juillet 2021.

Résultat : un jeune sur deux veut partir, que ce soit légalement (plus de 40 000 ingénieurs ont émigré ces cinq dernières années, plus de 3 300 médecins...) ou illégalement avec 16 000 Tunisiens arrivés clandestinement en Italie depuis début 2022.

« Revenir en Tunisie à l’âge de 50 ans »

Elyes Jelassi, 28 ans, boucle sa valise en prenant soin d’y insérer de l’huile d’olive et des épices, « un bout de Tunisie », avant de s’envoler pour l’Allemagne. 

Sous les yeux de sa famille rassemblée dans leur ville de Korba, cet infirmier assure qu’initialement, « il ne pensait pas quitter le pays ».

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« Après trois ans d’études et stages dans plusieurs hôpitaux, j’ai décidé de ne pas faire carrière en Tunisie. À l’étranger ce sera mieux », dit-il à l’AFP.

Recruté à distance, Elyes Jelassi a décroché un contrat de travail en Allemagne dans une clinique de Wiesbaden (ouest), qui le logera même gratuitement les six premiers mois.

Au-delà de l’argument salarial, il est convaincu d’y trouver des conditions plus propices qu’en Tunisie où « les hôpitaux souffrent d’un manque de matériel, ce qui provoque des conflits avec les citoyens, et rend le travail stressant ».

Mais il n’imagine « pas rester à vie » dans ce pays, et aimerait « revenir en Tunisie à l’âge de 50 ans ».

Par Françoise Kadri.

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