Tunisie : bienvenue à Grombalia, bonne élève de la gouvernance
GROMBALIA, Tunisie – Dans les bâtiments de la municipalité de Grombalia, petite commune de 24 000 habitants à 40 kilomètres de Tunis, une dizaine d’habitants attendent déjà en ce matin d’août.
Ils apportent leurs doléances. Mohamed Habib Saoudi, le délégué nommé par l’État, reçoit avec le sourire mais ne cache pas sa fatigue.
« C’est un travail pénible, je souhaite beaucoup de courage à mon successeur », explique à Middle East Eye celui qui dirige cette ville depuis juillet 2015. Pas mécontent de passer la main en fin d’année, Mohamed Habib Saoudi est tout de même fier de ses réalisations, au premier rang desquelles, l’application « Mouwatin Tounsi » (citoyen tunisien) dont l’objectif principal est d’améliorer la propreté de Grombalia.
Mise en place en début d’année, l’application pour smartphone permet, grâce à un GPS et à un système de puce électronique, de contrôler le travail des éboueurs et d’anticiper leur passage. « Chaque conteneur poubelle est équipé d’une puce intégrée qui est lue par le camion-poubelle. Nous pouvons donc savoir en temps réel que les agents sont en train d’effectuer leur tâche et pas de boire un café... » détaille Mohamed Habib Saoudi.
Dans le bureau du délégué, Abdelkader Gzara, un des trois employés municipaux en charge de l’application fait une démonstration. Sur l’écran du téléphone, des points verts situent les bennes qui ont été vidées alors que les autres apparaissent en rouge.
Mais l’application ne se limite pas seulement aux poubelles. Elle offre la possibilité d’effectuer des sondages et contient des informations concernant les pharmacies de nuit (localisation, numéro de téléphone...), les taxis en service ou les prix des légumes.
Profitant de la crise économique et politique qui occupe le pouvoir, commerçants, restaurateurs et autres ont pris peu à peu possession des trottoirs
Abdelkader Gzara va ainsi chaque matin au marché pour faire une moyenne des prix. « Je suis constamment sur cette application. Les gens peuvent également nous envoyer des alertes avec une photo si par exemple un trottoir est utilisé de façon illégale. Nous recevons 30 à 50 réclamations chaque mois. »
Une façon de répondre à un mouvement qui a rencontré un grand succès en Tunisie : « Winou Etrottoir ? » (Où est le trottoir ?). Cette page Facebook relève les infractions au code de l’urbanisme. Profitant de la crise économique et politique qui occupe le pouvoir, commerçants, restaurateurs et autres ont pris peu à peu possession des trottoirs.
« Mouwatin Tounsi » ressemble à une autre application, « Nettoyer la Tunisie ». Cette dernière a été lancée en juin dernier par le gouvernement, parallèlement à la création de la police de l’environnement, chargée de punir les incivilités telles que le dépôt d’ordures en dehors des lieux prévus à cet effet. Ce nouveau corps sera en fonction dans 74 municipalités fin 2017 et 26 nouvelles en 2018.
De nombreux problèmes de propreté
Depuis la révolution de 2011, les villes tunisiennes sont confrontées à de nombreux problèmes de propreté. Les citoyens déposent parfois leurs déchets dans des lieux non prévus à cet effet et quelle que soit l’heure. Les sacs-poubelles sont détruits par les animaux errants (chiens, chats) qui en font leur repas et les contenus restant pourrissent au soleil. Une situation aggravée par le fait que parfois, certains agents ne font pas toujours preuve de professionnalisme.
Zyed Ruissi, conseiller auprès du ministère des Affaires locales et de l’Environnement, sollicité par MEE, salue cette avancée : « Grombalia n’est pas la première ville en Tunisie à mettre en place une telle application. Avant, il y a eu Sayada [près de Monastir] et La Soukra [près de Tunis], mais celle-ci est la plus performante. Nous encourageons les municipalités à suivre cet exemple. »
À Grombalia – où la police de l’environnement n’entrera certainement pas en fonction avant 2019 – tous les citoyens interrogés par MEE reconnaissent l’intérêt de l’application « Mouwatin Tounsi ». Pourtant, l’application, qui a coûté environ 15 000 dinars (5 200 euros) à la municipalité ne rencontre pas un réel succès dans la pratique : seuls 200 téléchargements ont été effectués.
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« Il n’y a pas eu assez de communication autour de l’application », estime Mohamed qui passe devant la municipalité pour se rendre au travail. Mohamed Habib Saoudi le reconnaît lui-même : « Nous envisageons d’organiser des réunions avec les jeunes, plus ouverts à ces technologies, pour leur présenter l’application. Nous espérons qu’ensuite, ils en parleront à leurs parents. »
Elyes Zainine, président bénévole de la délégation d’honneur de Grombalia de 2011 à 2015, a téléchargé Mouwatin Tounsi et l’utilise de temps en temps. Mais il admet : « Les habitants n’ont pas le réflexe d’utiliser l’application. »
C’est également tout un état d’esprit qu’il faut changer, car l’application n’empêche pas les habitants de jeter leurs déchets n’importe où.
Contrairement à certaines villes ou quartiers du Grand Tunis, Grombalia offre, au moins, des conteneurs un peu partout sur son territoire. Les parcs et les places sont propres et relativement bien entretenus.
« La municipalité est certes active, mais il lui faut un moteur »
- Ghazi Zaghbani, directeur du festival de la vigne
La municipalité a aussi lancé différents projets d’aménagement, pour une valeur de 5 millions de dinars (1,7 million d’euros) comme l’asphaltage des routes, les réhabilitations du stade de foot, de la salle couverte omnisports et du théâtre. Mais ces travaux ne sont pas une garantie d’amélioration de la vie quotidienne.
Elyes Zainine note : « Pendant mes quatre ans de mandat, nous avons refait des rues qui dataient des années 1960. L’Office national de l’assainissement [ONAS] a tout détruit pour ses propres aménagements, sans concertation avec la mairie. » L’homme remarque que l’extension récente du territoire communal – quatre villages ont été rattachés à Grombalia – a augmenté les coûts de fonctionnement. « L’infrastructure n’est plus adéquate. »
« La municipalité est certes active, mais il lui faut un moteur », reconnaît quant à lui Ghazi Zaghbani auprès de MEE. Le jeune homme est le directeur du festival de la vigne, dont la 56e édition a eu lieu à Grombalia du 10 au 25 août. Au programme : concerts, spectacles humoristiques, animations dans les rues et foire autour des métiers de la vigne, culture importante de la petite cité aux pieds de la région viticole du Cap Bon.
Corruption et difficultés sociales
« Le festival a été arrêté pendant deux ans après la révolution. Si nous, un groupe de jeunes de Grombalia, n’avions pas poussé les choses, il serait toujours à l’arrêt. »
Hédi Toumi, maire de la ville de 1995 à 2000, accuse Ennahdha (parti islamoconservateur à la tête de la Troïka) de ne pas avoir favorisé ce retour. « Pour eux, l’alcool pose problème. Nous ne poussons aucunement les gens à boire, ils le font en leur âme et conscience. Et il fait partie intégrante de notre culture. »
Mohamed Habib Saoudi se dit « débordé ». Il ne doit pas simplement s’occuper de sa ville, mais également gérer quelque 160 agents municipaux, pas tous coopératifs.
« Les élèves parcourent deux à trois kilomètres à pied pour aller à l’école, parfois dans la boue »
- Elyes Zainine, président bénévole de la délégation d’honneur de Grombalia de 2011 à 2015
« Lorsque je suis arrivé en 2015, il y avait un problème de corruption. Nous avons déposé six plaintes avec l’aide de deux équipes de contrôle du ministère de l’Intérieur et des Finances qui sont restées un mois et demi à la municipalité. » La pratique consistait à demander une plus forte somme d’argent aux usagers de l’administration et à falsifier les souches des reçus. Selon lui, à son arrivée, les finances de la municipalité étaient dans un état critique.
À cela s’ajoutent les difficultés sociales des habitants de Grombalia. Elyes Zainine évoque notamment le quartier marginalisé de Douwar Hlel où « les élèves parcourent deux à trois kilomètres à pied pour aller à l’école, parfois dans la boue. » Sous son mandat, il a permis la construction d’un pont reliant ce quartier à la ville.
« Nous cherchons des solutions au cas par cas », explique Mohamed Habib Saoudi qui estime que Grombalia s’en sort mieux que d’autres villes. « La commune capte 70 % de la culture des vignes en Tunisie. Nous avons aussi de nombreuses industries, notamment de fabrication de câbles ou d’équipements de voiture. » À mi-chemin entre Nabeul et Tunis, Grombalia bénéficie à la fois de la ligne de train et de l’autoroute.
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L’homme diplômé en droit défend son bilan : « Mon prédécesseur avait un autre travail. Moi, je suis là à 100 %, donc nous avons pu lancer une dynamique, même si tout ne peut pas être parfait. »
En 2016, la municipalité a reçu un prix du gouvernorat de Nabeul pour avoir accompli 127 % du programme prévu en 2015, alors que certaines villes ne parviennent pas à la moitié.
Sur le portail des collectivités locales du ministère des Affaires locales et de l’Environnement, Grombalia est classée au 61e rang sur 248, selon des critères de gouvernance, de gestion et de pérennité des projets.
Des résultats positifs qui ne coupent pas court à l’envie d’élections locales. Najma, une jeune habitante de Grombalia, estime : « L’actuel délégué est actif. Mais c’est un administrateur. Il n’est pas de Grombalia, il ne connaît pas les problèmes des résidents. Il est grand temps d’avoir un maire élu. »
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