Tunisie : pourquoi les élections municipales sont les plus importantes depuis la révolution
TUNIS - C’est une date symbolique, celle de l’immolation de Mohamed Bouazizi – à l'origine de la révolution tunisienne il y a maintenant sept ans – qui a été choisie.
Ce lundi, la date des élections municipales, objet de nombreux reports, a enfin été fixée par l’Instance électorale (ISIE) au 17 décembre prochain.
« Cette date est en effet très symbolique car la décentralisation est une révolution en soi dans le système politique, et elle répond aux questions de discriminations régionales qui sont l’un des facteurs de la révolution. C’est donc une très bonne chose qu’elles aient lieu le 17 décembre », explique à Middle East Eye Chaima Bouhlel, la présidente de l’ONG Al Bawsala qui a aussi mis en place un programme autour de la transparence des municipalités, Marsad Baladia.
Pour l’ISIE, le choix de la date était plus pragmatique. « La rencontre avec le gouvernement, les partis politiques et la société civile le 14 mars avait donné le 26 novembre comme premier palier, ce qui était conforme à la loi. Ensuite, ils ont proposé des dates pendant les vacances scolaires pour que les jeunes puissent aussi aller voter, c’est pourquoi nous sommes tombés d’accord sur la date anniversaire de la révolution », explique Chafik Sarsar, président de l’ISIE à MEE.
En raison du retard pris sur le vote de la loi électorale (votée seulement en janvier 2017 alors qu’elle était dans les tuyaux depuis 2015), la tenue des élections pour 2017 était devenue aléatoire. Mais comme l’a expliqué l’ISIE, il fallait qu'elles aient lieu avant la fin de l’année afin de permettre un écart d’au moins deux ans avant les prochaines élections législatives et présidentielles de 2019.
« Nous ne pouvions pas fixer les élections à mars 2018 comme certains le préconisaient, car l’électeur n’aurait pas eu le temps de revoir ses choix politiques, ni d’avoir assez de recul pour chaque élection qui arriverait au coup par coup », précise Chafik Sarsar.
Une des polémiques concernant le vote de la loi électorale portait sur le fait de donner ou non le droit de vote aux forces de l’ordre et aux militaires, l’article avait finalement été adopté.
Un code des collectivités locales à adopter pendant l’été
Ces premières élections municipales depuis la révolution, qui concernent près de 350 municipalités, devront aussi amorcer les premières politiques de décentralisation dans le pays, comme l’a affirmé le Premier ministre Youssef Chahed dans une allocution le 14 mars au moment où l’ISIE parlait encore d’élections pour le mois de novembre.
« Ne pas voter le code des collectivités avant les élections, ce serait nous condamner à rester dans un système défaillant »
-Chaima Bouhlel, président de l’ONG Al Bawsala
« Les élections ne sauront se tenir sans l’autre date butoir d’août 2016, à laquelle sera voté le code des collectivités locales », explique à MEE Manel Lahrabi, responsable du suivi et de l’évaluation des projets dans l’ONG Mourakiboun, qui a observé les deux processus électoraux et fait des recommandations pour que les municipales se tiennent en mars 2018.
Le nouveau code sur les collectivités locales devrait notamment garantir un autonomie financière et administrative des collectivités.
« Si on ne vote pas ce nouveau code avant les élections municipales alors c’est comme si on élisait une assemblée sans Constitution. Le code des collectivités régit les municipalités et les dote de responsabilités. Ne pas le voter avant les élections, ce serait nous condamner à rester dans un système défaillant », ajoute Chaima Bouhlel.
Les municipalités sont actuellement dirigées par des « délégations spéciales » qui sont aussi représentées dans les délégations (circonscription intermédiaire entre le gouvernorat et la municipalité, une délégation pouvant comprendre plusieurs municipalités), d’où une « confusion des rôles », selon Chaima Bouhlel, « qui illustre un manque de gouvernance critique ».
« Les municipalités ne sont pas là juste pour collecter les poubelles comme on peut l’entendre souvent ! Elles ont des budgets, elles sont en charge du développement, de l’infrastructure, leur rôle est très important », conclut-elle.
Des Tunisiens à sensibiliser pour qu’ils s’inscrivent sur les listes
L’autre enjeu de ces élections reste l’inscription des électeurs sur les listes électorales, comme le souligne Chafik Sarsar. Seuls 5,4 millions de Tunisiens sont inscrits sur les quelque huit millions que compte le corps électoral. Les jeunes et les femmes représentent les deux catégories de population votant le moins.
Selon l’enquête de l’Observatoire national de la jeunesse menée auprès de 1 232 jeunes, seulement 37 % d’entre eux auraient l’intention de voter lors des prochaines municipales. Les inscriptions seront ouvertes à partir de juin selon l’ISIE, avec une campagne de sensibilisation.
L’abstention reste aussi un autre enjeu. En 2014, seulement 3,2 millions d’électeurs avaient voté soit seulement 40 % sur le potentiel de 8 millions en âge de voter.
Différentes règles ont été mises en place par la nouvelle loi électorale pour favoriser le vote. Les partis devront respecter une parité horizontale sur les listes : en clair, qu’il y ait autant d’hommes que de femmes qui se présentent.
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Une autre mesure a été mise en place selon un membre de l’Instance, Nabil Baffoun : celle pour les listes et les partis politiques ayant reçu moins de 3 % des voix aux dernières élections, de présenter un récépissé de leur remboursement de la subvention publique dont ils avaient bénéficié pour pouvoir se représenter. La somme à rembourser à l’État pour les élections de 2011 et de 2014 s’élève à 5 millions de dinars (2 millions d’euros).
« Il faut entre douze et soixante candidats minimum par liste. Et les jeunes doivent être les premiers sur les listes »
-Chafik Sarsar, président l’Instance électorale
Toujours sur le plan financier, l’Organisation I Watch avait indiqué en janvier dernier que près de 96 % des partis refusaient la transparence sur leurs sources de financement.
De nouvelles conditions de participation pour les partis
Mais entre les conflits internes à Nidaa Tounes, allié du parti islamiste Ennahdha dans le gouvernement d’union nationale, et les naissances de nouveaux partis rivaux comme Machrou Tounes, le parti de Mohsen Marzouk, ancien secrétaire général de Nidaa Tounes et le parti tout récemment lancé de l’ancien Premier ministre Mehdi Jomaa, Al Badil Ettounsi (Tunisie Alternatives), les politiques devront aussi composer avec de nouvelles restrictions pour leur candidature.
« Il faut prendre en considération que les conditions de candidature sont plus restrictives qu’en 2011 et 2014 : il faut entre douze et soixante candidats minimum par liste. Et les jeunes doivent être parmi les premiers sur les listes, tout comme les personnes porteuses de handicap. Donc il y aura forcément une sélection au sein des indépendants et des partis », analyse Chafik Sarsar.
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